172 research outputs found

    L’écrivain, son style et son double dans 14 de Jean Echenoz

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    International audienceLe style peut-il témoigner en faveur d'une figure d'auteur inscrite dans un texte, cet « autre moi » à l'existence duquel Proust croit, qui n'est justement pas un double du moi, mais son altérité, son fantasme-et quoi de plus réel qu'un fantasme ? 14, le récit d'Echenoz permet d'aborder cette question. Si Echenoz ironiste exécute brillamment une rhétorique belliciste datée (« la guerre sera courte, nous, Français, sommes les plus forts »), il exécute tout autant un projet romanesque (raconter la guerre) pour exhiber, au lieu d'un récit présenté comme impossible, une figure d'artiste intelligemment blasé. Le style ne sert plus à faire apparaître et le fantôme d'un autre moi qui fait rêver les exégètes, mais une caricature d'auteur qui s'est voulu brillant, trop brillant. Echenoz styliste fait apercevoir par contraste le charme du style : le charme de la suggestion de soi contre la pesante nécessité de son illustration

    « Sisyphe et le sucre : réflexions sur Le Bonheur : tableaux et bavardages »

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    International audienceIl y a dans l’oeuvre de Delerm une volonté persistante d’affirmation du bonheur ;mais à tant répéter qu’il est heureux, le locuteur finit par persuader du contraire ; le bonheurn’est que l’autre nom d’une mélancolie, d’une souffrance ou d’une névrose qui ne veut pasdire son nom. C’est cet écart cultivé entre le nom bonheur et ses exemplifications qui donne àl’œuvre d’échapper à la mièvrerie qu’on lui reproche parfois. Ce bonheur trompe-l’œils’inscrit dans la description esthétisée d’un quotidien petit bourgeois qui fait la part belle àl’effort de décoration : le caractérisant est la figure reine de cette prose poétique qui veutdonner du charme à la rassurante consistance des choses. Mais dès qu’elle quitte le mondeartificiel de l’objet, l’écriture retombe sur la question des affects : tristesse diffuse, sentimentd’impuissance, angoisse. L’art de Delerm consiste à s’accommoder à une finitude ; Delerminvente la résignation sans aigreur, un affect petit-bourgeois qui n’est pas sans noblesse

    La comparaison a ses raisons… Hadrien-Yourcenar et la manie évaluative

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    International audienceDans la ressaisie de soi et du temps par les mots qu’opère Hadrien, le locuteur des Mémoiresd’Hadrien, la comparaison joue un rôle crucial, car elle manifeste très explicitement le travailde la pensée à même la langue. Dire qu’une chose ou une situation ressemblent à une autre,malgré les différences pourtant évidentes qu’elles présentent, c’est poser l’existence d’unerelation par-delà les contiguïtés arbitraires ; c’est affirmer la puissance de l’esprit sur ladisparate des phénomènes. Dans une oeuvre littéraire, le travail de la pensée tend à se donnercomme un effet d’art. Ainsi la comparaison fait-elle miroiter la possibilité qu’une idée juste (àtous les sens du mot, à la fois exacte et moralement motivée) soit aussi une idée belle. Cedispositif exigeant prétend obtenir beaucoup : et pourtant, la comparaison est décriée parrapport à la métaphore, jugée moins didactique. C’est aussi une figure de pensée fragile, priseet compromise dans l’ordre du discutable, ce que résume le lapidaire comparaison n’est pasraison. Cette tension entre l’ambition affichée par la comparaison et ses limites attestéessemble plutôt gommée qu’exhibée par le style de Yourcenar. Peut-on considérer que cetteconfiance (peut-être excessive) vouée aux prestiges de la comparaison est un trait du style deYourcenar

    “Dieu ait son cul”. Le style de Momo-Rosa Romain Gary

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    International audienceDans La Vie devant soi, le style appartient à la communauté que forment Momo etRosa : car l’auteur du roman, par un pacte fictionnel qui fait entendre non sa « voix » maiscelle de son personnage-narrateur, s’est volontairement dépossédé du lien entre son nom(mais lequel ?) et son style. La Vie devant soi accrédite l’idée que le style est un idiolecte (unelangue ultra-minoritaire) qui espère essaimer et devenir non pas majoritaire (comme le sontles langues de pouvoir) mais exemplaire. Le style de Momo-Rosa voudrait ainsi donner legoût, signifier l’urgence, attester la vérité de ce « vivre pour aimer » qui est sa raison d’être.Ce style est ouvert aux influences de la solennité littéraire (grâce à l’enseignement de M.Hamil, grand lecteur de Hugo et du Coran), aux emprunts (le yiddish, l’arabe), et même à lalangue de l’ennemi, représentée par ces expressions figées-figeantes propres aux languesadministrative, médicale, journalistique. Poisseux, pesants, ces tours signifient et organisent ledéni du réel : le réel, c’est-à-dire la vie misérable de Rosa et Momo, vieille pute et enfant depute. Le style de Momo-Rosa opère donc à même la langue majoritaire ; en la déréglant, ilmontre en acte le dérèglement de ce monde mis en ordre par le pouvoir ; sur les débrislogiques, moraux, de cette pseudo-logique, de cette pseudo-morale, Momo et Rosa fontadvenir le rêve d’une vie utopique : celle où l’amour, résistant à l’ordre des lois, offre auxpauvres leur revanche inespérée sur la misère

    L’insignifiant : de Barthes à Proust

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    La difficulté d’appréhender la notion d’insignifiance s’explique par notre irrépressible désir de produire du sens : il suffit qu’une chose ait un sens pour qu’elle nous semble homogène à l’esprit et que, par conséquent, on s’imagine pouvoir agir sur elle. Le « sens » rassure ; le non-sens amuse, en tant que manifestation excessive, théâtrale d’un sens provisoirement congédié. L’insignifiant, lui, inquiète. Et s’il n’était que l’apparence trompeuse du signifiant ? Un signifiant méconnu et d’autant plus menaçant qu’il semble d’abord inoffensif ? En se limitant à Barthes et à Proust, cette étude voudrait contribuer à montrer la fécondité littéraire et heuristique d’un imaginaire poétiquement paranoïaque du sens, imaginaire pour lequel l’insignifiant représente à la fois un ennemi, un défi, un tourment, et la source d’une dilection sans doute masochiste, mais ô combien créatrice. Dans l’analyse célèbre de l’effet de réel, Barthes débusque le sens de ce qui prétend échapper au sens. Puis la réflexion du sémiologue évolue : dans l’anamnèse, le biographème ou encore la photographie, il s’agit plutôt de capter dans les étants une manifestation de l’être ; les choses comblent précisément par leur résistance à l’injonction de signifier. Mais le signe barthésien n’accueille l’insignifiance de la chose que lorsque celle-ci est morte, inaccessible : cette onto-sémiologie est mélancolique. Chez Proust, le statut et la valeur de l’insignifiant varient, selon le régime qui les assume. Dans le régime poétique de la mémoire involontaire, l’insignifiant ouvre la voie à la vraie vie, au passé retrouvé. Dans le régime obsessionnel de la quête de la vérité, l’insignifiant est un piège : il décèle l’information capitale, celle que l’aimée, maligne, veut dérober. Dans le régime de l’humour et de l’amour, l’insignifiant est reconnu comme un bienfait : on jouit (à deux) d’un réel (provisoirement) libéré du sens.What could be the significance of the notion of “insignificance”? We are compelled by an overwhelming desire for “sense” that impels us to impose a meaning upon every aspect of reality. We tend to believe that the best or even the only way of acting is to discover what things mean. In this respect, meaningful events are reassuring; our ability to unveil their signification situates them within structures of human rationality. On the other hand, we tend to suspect that an insignificant phenomenon contains a foreboding meaning that we cannot hope to grasp. This paper makes a literary attempt to illustrate the poetic or heuristic benefits of this restless anxiety-ridden search for meaning, exemplified by the works of Proust and Barthes. In Barthes’s famous analysis of “l’effet de réel” (“the reality effect”), the “presence for presence’s sake” was meant to suppress “meaning” and to fixate a critical measure of reality. Then insignificance ceased to appear as suspect: it was defined as the most moving manifestation of life. Photography, the practice of “anamnesis” and tiny biographical details were considered as subtle attempts to recapture the transient insignificance of life. Proust was also concerned with “meaninglessness.” In his chief novel, In search of lost time, this notion seems to be very highly praised since the past, “le temps retrouvé,” can only be recalled through these tiny, insignificant sensations, deprecatingly discarded by a rational approach to life. However, the jealous Narrator persists in raking his brain in a futile effort to find significance in insignificant details about his purportedly lesbian mistress. Humour and disinterested love ultimately allowed him to accept and enjoy the insignificance of life

    « Une humanité fantastique  » : Némirovsky et Dostoïevski

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    Pourquoi se référer à Dostoïevski quand on veut comprendre l’oeuvre de Némirovsky ? Cet article montre que la romancière elle-même tenait à distance son prédécesseur, redoutant d’être lue à la lumière, selon elle déformante, de ce que le lectorat français de l’époque jugeait caractéristique de Dostoïevski : l’expression de l’âme russe. Pourtant, ces « premiers » lecteurs français de Dostoïevski, qui voyaient en son oeuvre une tentative exemplaire de comprendre la vie au lieu de l’expliquer et de la juger, à la façon des moralistes, offrent une clé toujours valide pour pénétrer l’univers romanesque de Némirovsky ; car elle assume, bien qu’elle en ait, l’héritage du maître russe. En quoi consiste-t-il ? Empruntée au phénoménologue Michel Henry, la notion d’appréhension pathétique de la vie, qui remet en cause le dogme moderniste de l’impossibilité pour les individus de se connaître, et de se communiquer les uns aux autres la singularité de leur vie intérieure, permet de relier, par-delà toutes les différences, Némirovsky à Dostoïevski.Why refer to Dostoevsky when we seek to understand Nemirovsky’s work? This article demonstrates that the novelist herself was anxious to keep her predecessor at a distance, dreading the idea of being read in the distorted (in her view) light of what the French readership of the time deemed characteristic of Dostoevsky: the expression of the Russian soul. However, these “first” French readers of Dostoevsky, who saw in his work an exemplary attempt to understand life instead of to explain and judge it, after the fasion of moralists, offers a key that is still valid for penetrating Nemirovsky’s fictional universe; although she refuses to be identified to him, she assumes the heritage of the Russian master. What does this consist of? Borrowed from the phenomenologist Michel Henry, the notion of the pathetic apprehension of life, which questions modernist dogma concerning the impossibility for individuals to know each other and communicate to each other the singular nature of their interior life, makes it possible to link Nemirovsky to Dostoevsky despite all their differences

    « Consentante », « concertante » et déconcertante » : les critères stylistiques de la valeur littéraire dans la production romanesque contemporaine

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    Jusqu’où pratiquer, dans l’enseignement des lettres contemporaines, l’extension des œuvres à étudier ? Qu’inclure et que rejeter ? Peut-on définir ce qui fait la valeur littéraire d’une œuvre contemporaine ? En faisant un détour par la chanson, genre populaire pour qui se pose la question de la valeur, mais en restreignant l’enquête au cas du roman policier, cette étude reprend l’utile tripartition de Dominique Viart (littérature consentante ou commerciale, concertante ou déconcertante) en montrant que le critère clé du cliché (sa nature, sa fonction poétique et la distance du narrateur à son égard) permettent de classer les œuvres ; un enseignement renouvelé et étendu des lettres contemporaines se fonderait alors sur une étude contrastive des clichés et de leur usage romanesque. On échappe ainsi à la question de la valeur et du goût pour ne s’attacher qu’à la description et à l’interprétation d’un dispositif énonciatif et poétique.Is it sensible to teach contemporary literature to students without determining the value of the texts selected by the teacher ? Why should it be compulsory to read this novel and to ignore that one ? The study of popular music and songs is confronted with the same problem. The point of this article is to show that the presence of clichés is a critical test to classify texts ; the three categories labelled by Dominique Viart, littérature consentante (complying with the literary market), littérature concertante (complying with a traditional approach of literary art) and littérature déconcertante (complying with a modernist poetics) can be used by a teacher willing to compare the nature, the function and the use of clichés in contemporary novels

    LAURENT MAUVIGNIER, DES HOMMES : QU’EST-CE QU’UN BON PAGE TURNER ?

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    "Michon, Les Onze : une fable politique pour notre temps"

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    International audienceLes Onze ne sont pas ce qu’ils nous semblent être, ou pas seulement : ils ne sont pas seulement un récit historique, ancré dans l’historicité « réduite » d’un XVIIIe siècle. L’histoire « en costume » fut sans doute une gêne exquise pour cet écrivain épris d’exactitude historique. Mais sous l’exotisme encore brûlant de la Révolution, Les Onze propose une lecture généalogique de notre contemporanéité : cette séquence déjà longue s’ouvre en 1968 et nous conduit jusqu’à aujourd’hui ; elle part de la dernière explosion en France de fièvre révolutionnaire pour s’achever sur le règnequasiment sans partage du marché, de la finance, de l’économie libérale. Or cette histoire que nous vivons aurait déjà été expérimentée, de manière plus resserrée, dans les années qui vont de 1793 à Thermidor. C’est l’argument des Onze. L’art de Corentin, le peintre mis en scène par le récit, doit pouvoir se plier aux circonstances, être lisible et crédible selon que ce soit l’un ou l’autre des deux camps qui l’emporte : les partisans ou les adversaires de Robespierre. Sous la pression de l’événement politique, l’art devient donc souverainement indifférent à son message politique, et Corentin, cynique, y consent : il se vend au plus offrant. C’est ainsi que naissent simultanément la grammaire politique moderne (l’opposition dramatique du banquier et du révolutionnaire) et l’art moderne. Pour donner corps à cette succession de propositions interprétatives, cette étude propose un parcours en plusieurs temps. Tout d’abord, une lecture cynique du désormais célèbre « Soyons bas un instant, parlons politique ».Ensuite, le décryptage des occurrences du mot comble, vecteur lexical de la fable politique dans Les Onze

    « Il n’y a pas d’âge pour se sentir orpheline » : Anne Pauly et l’écriture du deuil

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    Avant que j’oublie d’Anne Pauly, prix Inter 2020, est la chronique d’un deuil. Mais pas seulement. C’est aussi le portrait d’un homme, d’un père, à la fois singulier et typique, un homme du peuple, un homme de sa génération, un homme désastreux et attachant. Mais c’est aussi et surtout l’analyse d’un processus subtil. Dans et par l’écriture se déploie la présence d’une âme — à la fois disparue et cependant irradiant de sa présence concrète un style voué à la susciter et se modelant à son image. Transmigration des âmes : le père n’a pas seulement fait sa fille orpheline, il l’a faite écrivaine.Avant que j’oublie by Anne Pauly was awarded the popular and prestigious Prix Inter. This so-called novel subtly chronicles the death of Jean-Pierre, the writer’s father, and analyzes the bereavement she had to cope with. The reader discovers the portrait of a singular and typical working-class man, moving and unbearable at the same time, deeply rooted in his generation. The ironical narration conveys the very presence of a soul—shaping the style, crafting the words, leaving its print on the humor and the tone of the book and imbuing the “voice” of the narrator, who shows that becoming an orphan might be a weird way of becoming a writer
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