Un cinéma sous étiquettes

Dans une perspective sociohistorique, cet article interroge la catégorisation des films réalisés par des cinéastes immigrés et enfants d’immigrés en France et en Allemagne. Dans un premier temps, il rend compte de l’apparition et du développement depuis le début des années 1980 de cet étiquetage dans les deux pays. Dans un second temps, l’article porte au jour la stigmatisation qu’exerce cette mise en catégorie des productions, qui renvoie à l’origine des réalisateurs. La stigmatisation concerne non seulement les films marqués au sceau d’une étiquette extérieure au septième art, mais aussi les trajectoires de leurs auteurs, dont le statut d’immigré prédomine sur celui de cinéaste.Dieser Artikel hinterfragt aus sozio-historischer Perspektive die Kategorisierung von Filmen, die von eingewanderten Filmemachern und Kindern von Einwanderern in Frankreich und Deutschland gedreht wurden. In einem ersten Schritt wird das Entstehen und die Entwicklung dieses Etikettierungsprozesses seit den 1980er Jahren in den beiden Ländern nachgezeichnet. In einem zweiten Schritt wird die Stigmatisierung dieser auf die Herkunft von Regisseuren bezogenen Kategorisierung von Produktionen zutage gefördert. Die Stigmatisierung betrifft nicht nur Filme, die durch die Brille eines Labels außerhalb der Filmkunst erfasst werden, sondern auch die Werdegänge ihrer Autoren, deren Status des Einwanderers den des Filmemachers überschattet

Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin, La Découverte, Paris, 2019, 280 p.

International audienc

Between Worlds : a Socio-Historical Comparative of Directors of Foreign Origin’s Modes of Participation in the Cinematographic Space (France and Germany, 1980-2020)

À travers l’examen des modes de participation des réalisateurs d’origine étrangère à la sphère cinématographique en France et en Allemagne, des années 1980 aux années 2020, cette thèse engage une réflexion sur « l’inscription d’une liberté propre à l’intérieur de séries de déterminations qui, à la fois, la rendent possible et la bornent » (Chartier, Noiriel, 1994). La première partie de la thèse examine la manière dont le cinéma des réalisateurs d’origine étrangère est catégorisé et la manière dont ces catégories se transforment, afin de dévoiler les espaces de possibles et de contraintes qui se sont présentés à mes enquêtés. À cet effet, j’analyse, d’une part, le soutien de la France et l’Allemagne à la production d’un « cinéma monde » dans le cadre de dispositifs de promotion de la diversité culturelle, qui permettent à des metteurs en scène étrangers de réaliser des films d’auteur valorisés au sein du pôle artistique de l’espace cinématographique international (Chapitre 1). J’étudie, d’autre part, les étiquettes à caractère ethnique ayant cours dans la sphère cinématographique française et allemande, ainsi que les évolutions différenciées dans les deux pays de ces catégories renvoyant à un « cinéma de l’immigration » (Chapitre 2). Bien que se déployant à des échelons distincts de la hiérarchie cinématographique, ces catégories et mécanismes institutionnels, par lesquels les réalisateurs sont considérés au prisme de leurs origines nationales ou migratoires, les placent « entre les mondes », c’est-à-dire à la frontière des espaces socio-politique et culturel. Cette position rend ambivalents dans le temps les effets de ces catégories sur les parcours et les œuvres, entre opportunités de carrière et assignation à une identité extra-artistique.Dans une seconde partie, j’analyse les étapes dans les trajectoires sociales et professionnelles des cinéastes, afin d’appréhender la pluralité des univers sociaux et culturels que ces derniers ont traversés. L’étude des premières socialisations permet de distinguer deux profils de réalisateurs, qui n’ont pas disposé des mêmes ressources culturelles durant l’enfance et ne se sont pas confrontés au même faisceau de frontières lors de leur « conversion » au cinéma (Chapitre 3). Ces réalisateurs investissent l’espace cinématographique à des endroits distincts où ils forgent leurs modèles et contre-modèles et les significations dont ils dotent leur pratique (Chapitre 4). Dans un contexte de valorisation réversible des différences culturelles et d’emprise grandissante du champ économique sur celui du cinéma, la « survie » professionnelle est conditionnée par la capacité à s’ajuster à des opportunités de carrières déterminées à la fois par les propriétés sociales des cinéastes et les états successifs des cadres dans lesquels se déploient leurs parcours. L’analyse sur le temps long de plusieurs trajectoires de cinéastes d’origine étrangère permet de mettre au jour les dynamiques propres de leurs parcours professionnels, les différenciations de leurs modes de consécration et celles des formes des luttes symboliques qu’ils engagent (Chapitre 5). Les catégories de « cinéma monde » et celles renvoyant à un « cinéma de l’immigration » correspondent peut-être moins à des profils de cinéastes qu’à des étapes de trajectoires professionnelles, à l’acquisition de dispositions et à l’accumulation de capitaux, qui facilitent la mobilité « entre les mondes », c’est-à-dire le déplacement dans les espaces social et cinématographique. Cette enquête comparative et socio-historique s’appuie sur un travail prosopographique réalisé à partir d’entretiens semi-directifs, de sources documentaires et du recueil de données biographiques, sur l’étude de mécanismes institutionnels, ainsi que de la critique cinématographique.By examining directors of foreign origin’s modes of participation in the French and German cinematographic spheres from the 1980s to the 2020s, this thesis engages in a reflection on ‘the inscription of a freedom of its own, within series of determinations which simultaneously enable and limit it’ (Chartier, Noiriel, 1994).The first part of the thesis examines the way in which the cinema of directors of foreign background is categorised, and the way in which these categories are transformed in order to reveal the spaces of possibilities and constraints that presented themselves to my respondents. To this end, I analyse, on the one hand, the French and German support for the production of a ‘world cinema’ within the framework of mechanisms for the promotion of cultural diversity, which in turn allow foreign directors to make author’s films that are valued within the artistic pole of the international film space (Chapter 1). Secondly, I examine the ethnic labels used in the French and German film spheres and the different developments of these categories of ‘immigrant cinema’ in both countries (Chapter 2). Although deployed at distinct levels of the cinematic hierarchy, these categories and institutional mechanisms, through which filmmakers are considered in terms of their national or migratory origins, place them ‘between worlds’, i. e. at the border of socio-political and cultural spaces.In the second part, I analyse the stages in the social and professional trajectories of the filmmakers, in order to understand the plurality of the cultural and social worlds they have experienced. The study of early socialisation allows to distinguish two profiles of filmmakers with differing cultural resources during childhood, who did not face the same boundaries during their cinematic ‘conversion’ (Chapter 3). The filmmakers’ different profiles invest the cinematic space in distinct places in which they forge their models and counter-models and the meanings they endow their practice (Chapter 4). In the context of cultural differences’ reversible valorisation and the economic field’s growing influence on cinema, professional ‘survival’ is conditioned by the ability to adjust to career opportunities determined both by the filmmakers’ social properties, and by the successive frameworks in which their paths unfold. The long-term analysis of several filmmakers of foreign origins’ trajectories makes it possible to bring to light the dynamics of their professional paths, the differentiation of their modes of consecration, and of the forms of symbolic struggle that they engage in (Chapter 5). The categories of ‘world cinema’ and those referring to a ‘cinema of immigration’ correspond perhaps less to filmmakers’ profiles, as to stages of professional trajectories, to the acquisition of dispositions and the accumulation of economic and symbolic capital, which facilitate mobility ‘between worlds’, that is to say, displacement in social and cinematographic spaces.This socio-historical and comparative investigation is mainly based on prosopographical work carried out through semi-structured interviews, documentary sources and the collection of biographical data, on the study of institutional mechanisms as well as on film criticism.Anhand der Untersuchung der Art und Weise, wie Filmemacher ausländischer Herkunft in Frankreich und Deutschland von den 1980er Jahren bis in die 2020er Jahre an der Filmsphäre teilnahmen, stellt diese Dissertation Überlegungen an zur „Einschreibung einer eigenen Freiheit innerhalb von Bestimmungsreihen, die sie gleichzeitig ermöglichen und beschränken“ (Chartier, Noiriel, 1994). Im ersten Teil der Dissertation wird untersucht, wie die Filme von Regisseur:innen mit Migrationshintergrund kategorisiert werden und wie sich diese Kategorien verändern, um die Räume der Möglichkeiten und Beschränkungen zu enthüllen, die sich meinen Befragten boten. Zu diesem Zweck analysiere ich zum einen die Unterstützung Frankreichs und Deutschlands für die Produktion eines ‚Weltkinos‘ im Rahmen von Maßnahmen zur Förderung der kulturellen Vielfalt, die es ausländischen Regisseuren ermöglichen, Autorenfilme zu drehen, die im künstlerischer Bereich des internationalen Filmraums wertgeschätzt werden (Kapitel 1). Zum anderen untersuche ich die ethnischen Labels die in der französischen und deutschen Filmbranche verwendet werden, sowie die unterschiedlichen Entwicklungen dieser Kategorien, die in beiden Ländern auf ein ‚migrantisches Kino‘ hinweisen (Kapitel 2). Obwohl sie sich auf unterschiedlichen Ebenen der Filmhierarchie entfalten, positionieren diese Kategorien und institutionellen Mechanismen, durch die Regisseure im Hinblick auf ihren nationalen oder Migrationshintergrund betrachtet werden, sie ‚zwischen den Welten‘, d.h. an der Grenze zwischen dem sozio-politischen und kulturellen Raum. Diese Position macht die Auswirkungen dieser Kategorien auf die Werdegänge und Werke im Laufe der Zeit ambivalent, zwischen Karrieremöglichkeiten und der Zuweisung einer außerkünstlerischen Identität.In einem zweiten Teil analysiere ich die Etappen in den sozialen und beruflichen Laufbahnen der Filmemacher:innen, um die Pluralität der sozialen und kulturellen Welten, die sie durchlaufen haben, zu erfassen. Durch die Untersuchung der frühen Sozialisationen lassen sich zwei Profile von Filmemachern unterscheiden, die in der Kindheit nicht über dieselben kulturellen Ressourcen verfügten und bei ihrer ‚Konversion‘ zum Film nicht mit demselben Bündel von Grenzen konfrontiert wurden (Kapitel 3). Diese Filmemacher erobern den filmischen Raum an unterschiedlichen Orten, an denen sie ihre Vorbilder und Gegenvorbilder und die Bedeutungen, mit denen sie ihre Praxis ausstatten, prägen (Kapitel 4). In einem Kontext der reversiblen Aufwertung kultureller Unterschiede und der zunehmenden Einflussnahme des wirtschaftlichen Feldes auf das Filmgeschäft hängt das berufliche ‚Überleben‘ von der Fähigkeit ab, sich an Karrieremöglichkeiten anzupassen, die sowohl von den sozialen Eigenschaften der Filmemacher als auch von den aufeinanderfolgenden Zuständen der Rahmen, in denen sich ihre Lebensläufe entfalten, bestimmt werden. Die Langzeitanalyse mehrerer Werdegänge von Filmemachern mit Migrationshintergrund ermöglicht es, die Eigendynamik ihrer beruflichen Werdegänge, die Unterschiede in der Art und Weise ihrer Anerkennung und die Formen der symbolischen Kämpfe, die sie führen, aufzudecken (Kapitel 5). Die Kategorien, die auf ein ‚Weltkino‘ und auf ein ‚migrantisches Kino‘ verweisen, entsprechen vielleicht weniger den Profilen von Filmemachern als vielmehr den Etappen der beruflichen Laufbahn, dem Erwerb von Fähigkeiten und der Anhäufung von Kapital, die die Mobilität ‚zwischen den Welten‘, d.h. die Bewegung im sozialen und filmischen Raum, erleichtern. Diese sozio-historische und vergleichende Untersuchung stützt sich auf eine prosopographische Arbeit, die auf der Grundlage von halbdirektiven Interviews, dokumentarischen Quellen und der Sammlung biographischer Daten durchgeführt wurde, auf die Untersuchung institutioneller Mechanismen sowie auf die Filmkritik

Éliane Le Port, Écrire sa vie, devenir auteur. Le témoignage ouvrier depuis 1945

Afin d’intituler son ouvrage qui rend compte des parcours et des écritures de plusieurs générations de scripteurs-ouvriers, Éliane Le Port a opté pour une formule chiasmatique. Écrire sa vie, devenir auteur fait ainsi interagir deux réalités, la vie et l’écriture, qu’on pense habituellement éloignées dans l’univers qu’explore l’autrice. L’un des apports majeurs de son travail est alors de penser ensemble les expériences d’auteurs aux profils divers, dont l’autrice cherche des traces dans leu..

Between Life and Legend. (Re)thinking Power Relations with Raoul Peck and James Baldwin

International audienceThis article sets out to explore the multiple “senses” in Raoul Peck’s 2016 documentary I Am Not Your Negro from several perspectives. First, it focuses on Peck’s cinematographic ambitions with reference to his social experience of geographic mobility and to his current position in the transnational field of cinema. The making of I Am Not Your Negro, ultimately led the Haitian-born director, with a commitment to producing a critical “auteur cinema” to create a cinematic testament to the opus of James Baldwin, an author in whom he discovered a language for thinking and for deconstructing racialization. This multi-facetted analysis of Peck’s documentary film and its making will enable us to shed light on the form and meaning of the intellectual quest Peck undertakes in his dialogue with Baldwin

Romain Lecler, Une contre-mondialisation audiovisuelle. Ou comment la France exporte la diversité culturelle

Compte-rendu de l'ouvrage "Une contre-mondialisation audiovisuelle. Ou comment la France exporte la diversité culturelle" de Romain Lecler

Benoît Coquard, Ceux qui restent. Faire sa vie dans les campagnes en déclin

Une « bande de potes » s’amuse sur un matelas gonflable. L’un d’entre eux, resté sur le chemin terreux qui jouxte le cours d’eau, les observe. La photo de couverture est belle. En partie trompeuse, toutefois. Ce sont bien les cas de jeunes ruraux, principalement des hommes, du Grand-Est de la France que Benoît Coquard traite dans cet ouvrage. Mais c’est davantage dans les intérieurs de maisons qu’il les croque, « chez les uns et les autres », ou dans les rues de ces « campagnes en déclin » qu..