289 research outputs found

    Voyageurs occidentaux à Héliopolis et à Matarieh

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    International audienceSitué à une dizaine de kilomètres au nord-est du Caire, près du site de l'ancienne Héliopolis, Matarieh a été, du début de l'ère chrétienne jusqu'au XIXe siècle, un lieu de pèlerinage pour nombre de voyageurs occidentaux. Cette tradition s'appuie sur l'Évangile apocryphe de l'enfance du Seigneur, dont les pèlerins rappellent la teneur dans leurs récits : lors de la Fuite en Égypte, la Vierge se serait arrêtée avec Joseph et Jésus à Matarieh (orthographié aussi Mataré, ou Matarée, ou Mataria) ; cherchant à échapper à des voleurs (identifiés parfois aux deux larrons), Marie aurait trouvé refuge dans le tronc d'un sycomore, qui se serait ouvert pour la cacher, elle et sa famille ; une source aurait ensuite jailli de cet endroit, où la Vierge aurait lavé les langes de son enfant ; cette même source aurait irrigué un jardin rempli de baumiers, un arbre dont la sève (le " baume ") était réputée pour dégager une odeur délicieuse et soigner toutes sortes de maladies. Le site de l'ancienne Héliopolis, la " ville du Soleil ", était célèbre pour le culte rendu au dieu Rê, mais aussi pour avoir accueilli d'illustres visiteurs étrangers, dont Hérodote, Platon, Strabon... La plupart des voyageurs observent qu'il ne reste plus aucun vestige de cette ville, si ce n'est un obélisque, érigé par Sésostris 1er (XIIe dynastie, vers 2000 av. J.-C.). Dès lors, même lorsque croît l'intérêt pour l'Égypte pharaonique, à la suite de l'expédition de Bonaparte, c'est d'abord Matarieh qui suscite en premier la curiosité des pèlerins. Il s'agit là d'une étape particulièrement importante, bien qu'elle ne soit pas la seule, puisqu'elle s'inscrit le plus souvent dans un itinéraire qui comporte plusieurs sites chrétiens, que ce soit en Égypte (notamment l'Église d'Abou Sarga, dans le quartier copte du Caire, et le monastère de Sainte-Catherine, au Sinaï), ou en Terre Sainte

    La double vue. Sur le voyage en Égypte (1869) de Théophile Gautier

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    International audienceOn connaît l'importance de la peinture dans les récits de voyage de Théophile Gautier. Ce dernier a beaucoup voyagé, dans les musées comme dans le monde. L'intérieur et l'extérieur ne pouvaient que se rencontrer, et parfois se mêler dans son œuvre. Le critique d'art juge la peinture orientaliste des Salons parisiens qu'il parcourt avec le souvenir de ses pérégrinations méditerranéennes. Et, à l'inverse, Gautier voyageur décrit bien souvent l'Orient comme un tableau vivant, comme si la nature finissait par imiter l'art. Ce lien entre l'art et la réalité semble être consubstantiel à Gautier. Celui-ci en fait état dès son premier récit de voyage ("Un Tour en Belgique"), en 1836 : il a beau assurer, dès la première page, qu'" il n'y aura exactement dans [s]a relation que ce [qu'il aura] vu avec [ses]yeux ", il avoue quelques lignes plus loin que l'idée de ce voyage lui est venue " au musée ". Les déceptions ne se font pas attendre, et Gautier finit par ironiser lui-même sur l'inévitable malentendu consistant à espérer voir se promener dans la rue des figures féminines issues de tableaux de Rubens... Est-ce à dire pour autant que la peinture soit toujours un filtre, un écran, voir un obstacle à la vision du monde réel, tel que Gautier ambitionne de le décrire, lui qui se définit déjà, en 1843, comme un " daguerréotype littéraire " ? Rien n'est moins sûr, et l'on pourrait relever de nombreux exemples, dans ses récits de voyage, où son regard de peintre coïncide avec l'intérêt ethnographique du voyageur pour les types humains : la quête du "pittoresque" (au double sens de ce qui est digne d'être peint et de ce qui est caractéristique, à la fois coloré et singulier), permet, notamment dans "Constantinople" (1853), de faire se rejoindre ces deux dimensions apparemment contradictoires de la poétique du récit de voyage chez Gautier. Pour ce dernier, la peinture constitue au fond une voie d'accès privilégiée au réel, mais aussi une manière de le reconfigurer imaginairement. Je voudrais illustrer cette hypothèse en prenant pour corpus un texte peu commenté, celui des feuilletons que Gautier consacra à son séjour en Égypte (1869), et qu'il publia dans le "Journal Officiel" du 17 janvier au 8 mai 1870. Invité, avec des centaines d'autres personnalités, à l'occasion des fêtes données par le khédive Ismaïl pour l'ouverture du Canal de Suez, il ne fit cependant pas le voyage de la Haute-Égypte auquel participèrent par exemple le peintre Eugène Fromentin, le critique d'art Charles Blanc, ou encore l'écrivain Louise Colet. S'étant cassé le bras lors de la traversée de la Méditerranée, Gautier se contenta de voyager, en train, en Basse-Égypte. Et, comme il n'écrivit qu'un très court chapitre sur l'isthme de Suez, c'est essentiellement le trajet entre Alexandrie et Le Caire, ainsi que les pages consacrées à la capitale égyptienne, qu'on examinera ici

    'Relever en Égypte la dignité de la Patrie et de l'Islam'. Pierre Loti et Moustapha Kamel, autour de "La Mort de Philæ"

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    Loti est certes un auteur fin de siècle, mais il serait réducteur de le présenter seulement comme un écrivain se complaisant dans une rêverie morbide sur la ruine, l'étiolement, la disparition des êtres et des choses. Ou plutôt, cette attitude " passéiste " s'inscrit elle-même dans l'histoire de son temps, dans l'actualité politique, si l'on prend l'exemple de "La Mort de Philæ", un récit paru chez Calmann-Lévy en 1909, mais qui avait fait l'objet de pré-publications dès 1907 sous le titre de " Lettres d'Égypte " dans "Le Figaro", ainsi que, pour certains chapitres, dans l'Étendard, le pendant francophone d'"Al-Liwa", un quotidien cairote fondé au tout début du XXe siècle par le nationaliste égyptien Moustapha Kamel. Ce dernier, rencontré en France grâce à Juliette Adam, était devenu un ami de Loti, qu'il avait fait inviter en Égypte par le khédive Abbas-Hilmi II. C'est donc avec tous les honneurs que Loti est reçu pendant ce séjour égyptien, entre janvier et mai 1907. Il est accompagné pendant une partie des visites par Moustapha Kamel, qui meurt à 34 ans, en 1908

    'Relever en Égypte la dignité de la Patrie et de l'Islam'. Pierre Loti et Moustapha Kamel, autour de "La Mort de Philæ"

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    Loti est certes un auteur fin de siècle, mais il serait réducteur de le présenter seulement comme un écrivain se complaisant dans une rêverie morbide sur la ruine, l'étiolement, la disparition des êtres et des choses. Ou plutôt, cette attitude " passéiste " s'inscrit elle-même dans l'histoire de son temps, dans l'actualité politique, si l'on prend l'exemple de "La Mort de Philæ", un récit paru chez Calmann-Lévy en 1909, mais qui avait fait l'objet de pré-publications dès 1907 sous le titre de " Lettres d'Égypte " dans "Le Figaro", ainsi que, pour certains chapitres, dans l'Étendard, le pendant francophone d'"Al-Liwa", un quotidien cairote fondé au tout début du XXe siècle par le nationaliste égyptien Moustapha Kamel. Ce dernier, rencontré en France grâce à Juliette Adam, était devenu un ami de Loti, qu'il avait fait inviter en Égypte par le khédive Abbas-Hilmi II. C'est donc avec tous les honneurs que Loti est reçu pendant ce séjour égyptien, entre janvier et mai 1907. Il est accompagné pendant une partie des visites par Moustapha Kamel, qui meurt à 34 ans, en 1908

    Le langage des Noirs dans l'"Essai sur l'inégalité des races humaines" de Gobineau. Sensation et création

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    On connaît le système raciologique de Gobineau, qui distingue trois grandes " races ", placées sur une échelle graduée (Poliakov 1987 : 265 et suiv. ; Todorov 1989 : 153 et suiv. ; Taguieff 1998 : 21 et suiv.). En haut figurent les Blancs, porteurs d'énergie et d'intelligence : ce sont les seuls qui, dès le départ, sont susceptibles d'apporter la civilisation, malgré le pessimisme historique à l'œuvre dans l'"Essai sur l'inégalité des races humaines" (1853-1855). Suit la " race jaune ", qui a des dispositions à l'" apathie ", mais qui conserve une certaine forme de rationalité. Vient ensuite la " variété mélanienne ", qui ne " sortira jamais du cercle intellectuel le plus restreint ", et qui est caractérisée par l'" avidité [...] de ses sensations " (Gobineau 1983 : I, 339 et suiv.) : " Ce qu'il [le Noir] souhaite, c'est manger, manger avec excès, avec fureur " (ibid., 340). Le Noir semble donc réduit un corps quasiment privé de cerveau, corps lui-même limité à une pure fonction digestive, par ailleurs hypertrophiée. Le Noir est du côté de l'instinct et de la matière. Son hybris paraît tournée entièrement vers lui-même : il consomme, il absorbe gloutonnement, au lieu de produire et de créer. Être du pure sensation, il oscille entre des pulsions contradictoires

    Un voyage, deux regards : la construction de l'ailleurs oriental chez Lamartine et Delaroière

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    Revivifiée par Chateaubriand avec l'Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811), la tradition du pèlerinage en Orient connaît un grand succès à l'époque romantique. Comportant une dimension tout à la fois religieuse et culturelle, ce parcours circulaire de la Méditerranée se veut retour aux origines de la civilisation occidentale, - la Grèce, la Palestine, l'Égypte même. Mais tout en croyant se retrouver en terrain connu, le pèlerin moderne ne peut échapper à l'expérience de la différence. Car l'Orient, au début du XIXe siècle, c'est aussi l'Empire ottoman (donc un autre système politique), avec sa très grande variété ethnique et confessionnelle, et notamment une présence importante de l'islam qui ne laisse aucun voyageur indifférent. Cette confrontation avec l'altérité orientale, impulsée et souvent médiatisée par Chateaubriand, ne produit pourtant pas les mêmes effets. En ce sens, il est intéressant de comparer deux récits d'un même voyage, celui accompli par Lamartine et par le médecin Delaroière, en 1832-1833. Rappelons-en brièvement les circonstances. Après un début de carrière diplomatique en Italie, Lamartine démissionne en 1830 de son poste de secrétaire d'ambassade, par fidélité aux Bourbons. C'est la voie ouverte à une carrière politique, que le voyage en Orient servira à asseoir, - Lamartine apprend sa nomination comme député alors qu'il se trouve encore en Syrie, et on trouve parmi ses premières interventions à la Chambre des discours sur la " question d'Orient ". Lorsqu'il s'embarque à Marseille, en juillet 1832, Lamartine est donc à la fois un poète célèbre (il a publié les "Méditations" en 1820, les "Harmonies" en 1830) et un homme politique en devenir, déjà en campagne, comme l'attestent les visites, les banquets, les rituels officiels qui précèdent son départ. Il est par ailleurs accompagné de sa femme Marianne, de sa fille unique Julia (qui mourra de tuberculose à Beyrouth), de plusieurs domestiques, enfin de trois amis, dont l'un, Jean-Vaast Delaroière, médecin et ancien maire d'Hondschoote, avait contribué à la victoire parlementaire de Lamartine. Toute cette petite société loue un brick (c'est l'une des dernières traversées méditerranéennes sur un bateau à voile) qui servira pendant le trajet sur mer. Voyons rapidement l'itinéraire de ce voyage, avec ses principales étapes. Après deux escales (en Sardaigne et à Malte), l'Alceste aborde au sud du Péloponnèse le 6 août 1832. Bien que la guerre de libération de la Grèce soit terminée, les Turcs sont toujours présents dans l'Attique à cette époque. Athènes n'est pas encore redevenue la capitale d'un État que la plupart des voyageurs ne peuvent s'empêcher de comparer avec l'image de la Grèce antique véhiculée par la culture des humanités. La déception est donc au rendez-vous, comme souvent à partir de cette époque. Un mois plus tard, c'est le débarquement à Beyrouth, où Lamartine et ses proches resteront plusieurs mois, avant et après le pèlerinage à Jérusalem. Là aussi, les circonstances politiques sont particulières, puisqu'Ibrahim, fils de Méhémet-Ali et général en chef de l'armée égyptienne, vient de s'emparer de la Syrie. L'Égypte, au début des années 1830, est à l'apogée de sa puissance militaire et menace directement le sultan, au point que Lamartine croit, à ce moment-là, à un écroulement imminent de l'Empire ottoman. Depuis Beyrouth, les voyageurs se rendent par voie de terre en Palestine (octobre 1832). L'un des temps forts de ce voyage dans le voyage, dont on sent qu'il est investi d'une dimension quasi-initiatique (une épidémie de peste sévit à Jérusalem et rend les déplacements très difficiles), est évidemment la visite du Saint-Sépulcre. Delaroière en ressort bouleversé, conforté de bout en bout dans sa foi, tandis que Lamartine, bien que très ému, se sent plus éloigné que jamais de l'orthodoxie catholique, - le "Voyage en Orient" sera d'ailleurs mis à l'index par Rome en 1836. Alors qu'il avait prévu d'aller en Égypte depuis la Terre sainte, Lamartine y renonce, ayant reçu des nouvelles alarmantes concernant la santé de sa fille, restée à Beyrouth. Après la mort de Julia, il part avec sa femme et ses amis, en mars 1833, pour Baalbek et Damas, puis, ayant traversé la chaîne de l'Anti-Liban, il s'embarque en avril pour Constantinople, où il arrive quelques semaines plus tard, après avoir fait escale à Rhodes et à Smyrne. Un mois et demi de séjour dans la capitale ottomane, où les voyageurs reprennent des forces et admirent les paysages enchanteurs de la Corne d'Or, constitue la dernière grande étape de ce long périple, avant le retour par la Turquie d'Europe (Bulgarie et Serbie, déjà agitées par des mouvements indépendantistes). Dès son retour en France, en automne 1833, Lamartine pense à publier un ouvrage tiré de ses notes (beaucoup plus travaillées qu'on ne l'imaginerait) : ce sera "Impressions, souvenirs, pensées et paysages" pendant un voyage en Orient..., qui paraît en 4 volumes en 1835 et qui devient rapidement, au fil des nombreuses rééditions, "Voyage en Orient". Quant à Delaroière, il reprend le même titre, pour publier en 1836 son propre récit de voyage. Examinons, pour commencer, la façon dont ces deux auteurs décrivent quelques-unes des principales étapes de leur voyage en Orient

    Noirceur orientale. L'Égypte de Volney

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    International audienceLe récit de voyage de Volney est paru en 1787 sous le titre de "Voyage en Syrie et en Égypte". Il sera réédité à de nombreuses reprises, et, au XIXe siècle, il prendra le titre de "Voyage en Égypte et en Syrie", qui rétablit l'ordre chronologique de l'itinéraire suivi par Volney : Alexandrie, Le Caire, Jaffa, Acre, Tyr, Saïda, Alexandrette, Alep, Tripoli, Mar-Hanna (un couvent maronite où Volney séjourne huit mois pour perfectionner sa connaissance de l'arabe), enfin Jérusalem et Gaza. Le texte de Volney est à la fois fondateur, car il nourrit toute la tradition du voyage en Orient de la première moitié du XIXe siècle, et très particulier, en ce sens qu'il " casse " volontairement la logique narrative qui est celle du genre, que celui-ci se présente sous forme de récit, de journal ou de lettres. Volney adopte la méthode analytique et divise son Voyage en deux grandes parties géographiques (Égypte, Syrie), elles-mêmes divisées en sous-parties (État physique, État politique), lesquelles sont à leur tour subdivisées en chapitres à caractère géographique (" De l'exhaussement du Delta "), anthropologique (" Des diverses races des habitants de l'Égypte "), politique (" Gouvernement des Mamelouks "), etc. Volney, à l'évidence, a une ambition totalisante. Il soumet l'ensemble des régions qu'il parcourt à une enquête qu'on qualifierait aujourd'hui de pluridisciplinaire et qui se veut absolument rigoureuse. Il n'est pas le premier, et l'on sait par exemple que Niebuhr, seul survivant de l'expédition en Arabie financée par le roi du Danemark, au début des années 1760, voyageait avec un questionnaire précis auquel il s'est efforcé de répondre dans ses ouvrages. D'autre part, avec les grands voyages de circumnavigation culmine, à la fin du XVIIIe siècle, une nouvelle exigence de scientificité issue des Lumières, et dans laquelle s'inscrit Volney. Mais celui-ci est sans doute l'un des premiers à tenter de mettre en pratique une véritable poétique du voyage comme ascèse du regard, comme refus de tout enjolivement, - une tentation à laquelle le genre viatique est toujours soupçonné de céder, au moins depuis Marco Polo et Mandeville

    Denon et la guerre

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    International audienceEn mai 1798, alors même que les militaires qui s'embarquent à Toulon ne connaissent pas leur destination, Denon parvient à convaincre Bonaparte de pouvoir l'accompagner en Égypte. Il en reviendra avec lui en octobre 1799, après avoir suivi les soldats de Desaix jusqu'à Assouan. Dès 1802, il publie son Voyage dans la Basse et la Haute Égypte, qui est à la fois le récit de voyage d'un artiste et la chronique de l'armée française en Orient. Le livre connut un succès immédiat, ce dont témoignent plusieurs rééditions et des traductions dans les principales langues européennes. L'ouvrage est composé d'un volume de texte et d'un second volume de 141 planches, qui comprennent notamment des monuments pharanoniques, de très beaux portraits, et quelques dessins de batailles. La question que je voudrais poser à cet ensemble est celle de l'attitude de Denon face à la guerre. Il est vrai qu'on insiste d'habitude sur le rôle joué par celui-ci dans la propagande de la légende napoléonienne, et que ce Voyage, dédié en termes flatteurs à Bonaparte (" Joindre l'éclat de votre nom à la splendeur des monuments d'Égypte, c'est rattacher les fastes glorieux de notre siecle aux temps fabuleux de l'histoire "), semble de prime abord s'inscrire dans la mythologie d'une époque justifiant des guerres de conquête au nom de la liberté et de la civilisation. On trouverait par ailleurs, dans la correspondance de Denon, nombre de déclarations corroborant la fascination qu'exerça sur lui Bonaparte. J'aimerais cependant montrer que le Voyage dans la Basse et la Haute Égypte se prête à une lecture plus nuancée, qui révèlera les tensions et les ambiguïtés dont ce texte est traversé. Je commencerai par montrer la difficulté, pour Denon, de raconter la guerre, puis je proposerai une comparaison entre deux récits de la révolte du Caire (du point de vue français et du point de vue égyptien), enfin j'essaierai de faire voir la naissance, chez Denon lui-même, d'une réflexion critique sur la légitimité de l'expédition à laquelle il a participé

    Noirceur orientale. L'Égypte de Volney

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    International audienceLe récit de voyage de Volney est paru en 1787 sous le titre de "Voyage en Syrie et en Égypte". Il sera réédité à de nombreuses reprises, et, au XIXe siècle, il prendra le titre de "Voyage en Égypte et en Syrie", qui rétablit l'ordre chronologique de l'itinéraire suivi par Volney : Alexandrie, Le Caire, Jaffa, Acre, Tyr, Saïda, Alexandrette, Alep, Tripoli, Mar-Hanna (un couvent maronite où Volney séjourne huit mois pour perfectionner sa connaissance de l'arabe), enfin Jérusalem et Gaza. Le texte de Volney est à la fois fondateur, car il nourrit toute la tradition du voyage en Orient de la première moitié du XIXe siècle, et très particulier, en ce sens qu'il " casse " volontairement la logique narrative qui est celle du genre, que celui-ci se présente sous forme de récit, de journal ou de lettres. Volney adopte la méthode analytique et divise son Voyage en deux grandes parties géographiques (Égypte, Syrie), elles-mêmes divisées en sous-parties (État physique, État politique), lesquelles sont à leur tour subdivisées en chapitres à caractère géographique (" De l'exhaussement du Delta "), anthropologique (" Des diverses races des habitants de l'Égypte "), politique (" Gouvernement des Mamelouks "), etc. Volney, à l'évidence, a une ambition totalisante. Il soumet l'ensemble des régions qu'il parcourt à une enquête qu'on qualifierait aujourd'hui de pluridisciplinaire et qui se veut absolument rigoureuse. Il n'est pas le premier, et l'on sait par exemple que Niebuhr, seul survivant de l'expédition en Arabie financée par le roi du Danemark, au début des années 1760, voyageait avec un questionnaire précis auquel il s'est efforcé de répondre dans ses ouvrages. D'autre part, avec les grands voyages de circumnavigation culmine, à la fin du XVIIIe siècle, une nouvelle exigence de scientificité issue des Lumières, et dans laquelle s'inscrit Volney. Mais celui-ci est sans doute l'un des premiers à tenter de mettre en pratique une véritable poétique du voyage comme ascèse du regard, comme refus de tout enjolivement, - une tentation à laquelle le genre viatique est toujours soupçonné de céder, au moins depuis Marco Polo et Mandeville

    Mémoire de pèlerins. Pèlerins de la mémoire (Chateaubriand, Lamartine, Nerval)

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    Le pèlerinage est initialement une marche. Marche d'un voyageur vers un lieu saint. Le peregrinus est aussi " l'étranger, celui qui vient d'une autre terre ", et qui, " à force d'avoir cherché "l'autre", [...], en revient marqué ", comme l'écrit Alphonse Dupront, qui a longuement creusé cette notion1. Mais avant de revenir transformé, le pèlerin chrétien est soucieux de reproduire les gestes de ses prédécesseurs, qui eux-mêmes mettent leurs pas dans ceux du Christ. Le pèlerin est donc, fondamentalement, une mémoire : c'est elle qui le motive, dans tous les sens du terme, - cause et mouvement. Du reste, il n'en va sans doute pas différemment pour nombre d'autres voyages : à bien y réfléchir, on voyage sans doute pour connaître les pays étrangers, mais aussi pour reproduire l'itinéraire de tel autre voyageur, qui lui-même disait vouloir connaître les peuples étrangers... Comme dans le désir mimétique analysé par René Girard, le pèlerin d'Orient ne se met en route que parce que d'autres sont partis avant lui, pour accomplir un parcours déterminé par la Bible. Il se situe ainsi dans une double logique de l'imitation. Pourtant, la première moitié du XIXe siècle apporte un renouvellement profond dans ces pratiques répétitives : Chateaubriand ne se contente pas de réactiver le pèlerinage de Terre sainte, il ranime aussi toute une mémoire culturelle qui fait de son périple méditerranéen une sorte de " Grand Tour " aux origines de la civilisation occidentale ; Lamartine, de son côté, apparaît comme un pèlerin hétérodoxe, à la fois désireux de retrouver en Orient de grandes émotions religieuses, mais aussi préoccupé de mettre à distance le souvenir obsédant du récit de son prédécesseur ; enfin Nerval rompt clairement avec la tradition chrétienne des pèlerins pour proposer une " pérégrination " orientale qui est aussi un voyage dans la mémoire
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