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    Bernard-Marie KoltĂšs et Maria CasarĂšs : le pacte d’écriture 

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    International audienceÉcrire répond à des appels lointains, des rencontres décisives et secrètes. Les serments que forme un écrivain se nouent souvent à la suite de bouleversements intimes, soulèvements dont on peine à mesurer la portée et l’ampleur. Mais ces soulèvements font date aussi parce qu’ils révèlent un mystère. Il arrive que pour certains écrivains, ces rencontres soient pour eux-mêmes l’énigme que l’Ɠuvre poursuit. Il arrive que ce pacte ne lie pas comme une dette, plutôt comme une promesse dont il faudrait que chaque texte soit garant. Il arrive que ces appels qui décident de tout, de l’origine de l’écriture ou de son devenir, soient tout à la fois un désir et une invention, une réalité de corps et un fantasme. Ce qui s’écrirait alors ne serait pas seulement des textes, jetés au-devant de soi pour devenir écrivain, mais la rencontre, celle qui a eu lieu et que l’écriture aura pour tâche de redire, afin de mieux la rejouer, mieux s’en dessaisir aussi et l’inventer.De Bernard-Marie Koltès, on sait l’Ɠuvre – dense, considérable, brève aussi, interrompue par la mort à quarante-et-un ans en 1989 ; on sait l’importance qu’eut Patrice Chéreau dans sa diffusion, lui qui décida au début des années 1980 d’en monter chaque pièce au théâtre de Nanterre-Amandiers qu’il créait et dirigeait. On sait aussi combien la vie de Koltès nourrit ses textes et combien il puisa dans ses voyages, en Afrique, en Amérique centrale et à New York notamment, la force de « raconter un bout de notre monde qui appartienne à tous1 ». Mais on ignore encore en partie comment est né le pacte qui le lia à l’écriture et lui donna des armes pour proposer, durant toutes ces années, texte après texte, l’Ɠuvre décisive qu’on peut lire aujourd’hui. Ce pacte secret a un nom, et ce serment un visage: celui de Maria Casarès

    « Speak white » de MichĂšle Lalonde. Gestes, postures et devenir d’une prise de parole.

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    International audienceGestes, postures et devenir d'une prise de parole speak white c'est une langue universelle nous sommes nĂ©s pour la comprendre avec ses mots lacrymogĂšnes avec ses mots matraques MichĂšle Lalonde, « Speak White » J'ai passĂ© quelques semaines au QuĂ©bec au printemps dernier, aprĂšs et pendant les manifestations Ă©tudiantes, au cours desquelles, Ă  MontrĂ©al, Ă  QuĂ©bec, et dans d'autres villes de la rĂ©gion comme Ă  Victoriaville, les forces de police avaient fait usage de tir de flashball et de gaz lacrymogĂšnes 1 sur des foules d'Ă©tudiants et d'enseignants pacifiques qui dĂ©fendaient le droit Ă  l'Ă©ducation contre la hausse excessive des tarifications et la libĂ©ralisation du service publique de l'enseignement supĂ©rieur. À l'invitation gĂ©nĂ©reuse de Kateri Lemmens, je m'Ă©tais rendu Ă  Rimouski pour conduire une aprĂšs-midi durant un atelier d'Ă©criture avec les Ă©tudiants en crĂ©ation de l'UQÀR, et dans la ville, sur certains murs et sur toutes les lĂšvres, les matraques et les lacrymogĂšnes, les mots qu'il faut pour le dire. J'avais apportĂ© avec moi un texte, et j'avais conduit l'atelier sur son incitation : ce poĂšme-manifeste de MichĂšle Lalonde, Speak White, Ă©crit en 1968. Dans l'atmosphĂšre d'Ă©bullition politique et intellectuelle que vivait le QuĂ©bec alors, au printemps 2012, et dans les traces laissĂ©es sur les Ă©tudiants par la fatigue des veilles et des marches, des rĂ©unions et des lectures qui agitaient les idĂ©es sans parfois les fixer, j'avais Ă©tĂ© surpris de voir ces Ă©tudiants se saisir de la langue de MichĂšle Lalonde Ă  l'endroit mĂȘme oĂč elle activait des tensions fĂ©condes d'interpellation du monde-de rĂ©quisition du rĂ©el : lĂ  oĂč finalement l'enjeu de l'engagement de la jeunesse au cours ce printemps qu'on disait Ă©rable dans ce mouvement de houle qui battait au Maghreb et au Moyen-Orient, portait non pas seulement sur des questions de frais de scolaritĂ©, mais des enjeux plus profonds qui pouvaient par exemple les opposer Ă  Toronto et au Canada anglophone, que ce soit sur le choix d'un modĂšle Ă©conomique ou de sociĂ©tĂ©, ou sur la question plus large et enveloppante de l'identitĂ© (non pas d'identitĂ© nationale ou de repli identitaire, mais d'invention de soi aussi, de son avenir choisi en fonction d'une histoire conçue comme commune)-sur la question de ce que l'on nomme aujourd'hui le vivre ensemble, l'ĂȘtre ensemble. Mais lĂ  oĂč le discours politique s'arrĂȘte, lĂ  oĂč justement le politique ne pouvait rĂ©pondre aux revendications de ce mouvement seulement sous la forme de mesures Ă  prendre ou Ă  refuser, lĂ  oĂč par consĂ©quent le politique ne pouvait que parler la langue du discours libĂ©ral de l'offre et de la 1 Voir ce tĂ©moignage des Ă©vĂ©nements de la manifestation du 4 mai Ă  Victoriaville

    KoltĂšs - L'injouable du corps

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    International audienceL’Ɠuvre de Bernard-Marie KoltĂšs met au centre de sa dramaturgie comme de son propos la prĂ©sence d’un corps Ă©tranger : impossible, disait-il, d’écrire sans cette prĂ©sence. Appui de l’écriture, ce corps (noir surtout) semble aussi, dans les nombreux entretiens qu’il donna, l’horizon, notamment politique, de sa scĂšne. C’est sans doute le sujet sur lequel KoltĂšs s’est le plus exprimĂ© publiquement, s’insurgeant contre des spectacles qui prĂ©fĂ©raient passer outre et confier les personnages de Noirs Ă  des acteurs blancs. La distribution paraĂźt ici l’enjeu dĂ©cisif de son Ă©criture car elle concentre toute une poĂ©tique subordonnĂ©e Ă  un rapport au monde puisĂ© au fil des voyages du dramaturge en Afrique et en AmĂ©rique, oĂč lui est apparue l’évidence de l’absolue relativitĂ© de sa prĂ©sence au monde : lui l’auteur blanc privilĂ©giĂ©, en regard de Noirs qu’il voyait broyĂ©s par l’Histoire. Enjeu dĂ©cisif, et sujet encore Ă  des polĂ©miques vives, cette question de la distribution ne cesse d’interroger, par delĂ  cette Ɠuvre, cette mutation que KoltĂšs opĂ©ra sur l’écriture dramatique. C’est que l’auteur a cherchĂ© Ă  repenser la notion mĂȘme de personnage, pour tĂącher d’écrire des corps. Mais n’y aurait-il pas un risque, aussi, de rĂ©duire par lĂ  cette altĂ©ritĂ© Ă  une surface physique ? Et Ă  sur-dĂ©terminer des identitĂ©s jusqu’à les figer ? Ou n’est-ce pas au contraire une façon de chercher, pour l’auteur, dans ces radicales altĂ©ritĂ©s, des territoires neufs oĂč se rĂ©inventer autre et s’affranchir de ses propres origines

    KoltĂšs, Ă©crire. La trace, la mort, la survie : Quai Ouest (le texte)

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    International audienceKoltĂšs, Ă©crire La trace, la mort, la survie : Quai Ouest (le texte) Mais si tu n'as tuĂ© qu'un seul homme, tu es seulement Ă  Ă©galitĂ© avec ta putain de mort, ta mort ne laissera aucune trace, rien, comme si tu n'Ă©tais mĂȘme pas mort ; il faut en avoir tuĂ© deux, pour la gagner ; avec deux hommes tuĂ©s, tu laisses obligatoirement une trace de toi, quelque chose en plus, quoi qu'il arrive ; on ne pourra jamais te tuer deux fois. Rodolphe, Ă  Abad. Bernard-Marie KoltĂšs, Quai Ouest 1 Des multiples violences, rĂ©orientations dĂ©cisives, recompositions neuves que Bernard-Marie KoltĂšs a opĂ©rĂ©es sur le thĂ©Ăątre de son temps, il en est une fondamentale, plus secrĂšte que d'autres, qui touche Ă  l'Ă©criture d'un texte thĂ©Ăątral : Ă  sa pensĂ©e et en partie Ă  sa reconquĂȘte. L'auteur de thĂ©Ăątre qu'il Ă©tait devenu au dĂ©but des annĂ©es 1980 et le romancier qu'il se rĂȘvait, le metteur en scĂšne qu'il avait Ă©tĂ© aussi au dĂ©but des annĂ©es 1970, se concevait surtout comme un Ă©crivain. Un peu plus de vingt ans aprĂšs sa disparition, KoltĂšs figure pour beaucoup comme un auteur qui traverse voire dĂ©passe la question gĂ©nĂ©rique du thĂ©Ăątre : l'entrĂ©e dans l'oeuvre de KoltĂšs s'est fait ainsi, pour toute une gĂ©nĂ©ration, par le texte plus que par les mises en scĂšne, et ce sont les textes publiĂ©s aux Ă©ditions de Minuit autant voire plus que les spectacles qui ont fait de lui l'un des dramaturges les plus considĂ©rables de ces trente derniĂšres annĂ©es. De lĂ  s'est posĂ©e une question au pli mĂȘme de l'enjeu textuel : entre la suspicion d'un thĂ©Ăątre littĂ©raire, voire l'accusation Ă  peine voilĂ©e-et ce dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 1980-d'une oeuvre qu'on a pu qualifier de rĂ©actionnaire en raison d'une langue jugĂ©e classique, et au contraire la reconnaissance quasi immĂ©diate de cette oeuvre en raison mĂȘme de sa littĂ©raritĂ© novatrice. En somme, la question du texte thĂ©Ăątral koltĂ©sien paraĂźt occuper l'espace dĂ©cisif capable d'interroger maints aspects de cette oeuvre. Et s'il faut dĂ©passer les clivages entre modernitĂ© et classicisme, c'est au nom de cette oeuvre mĂȘme, qui rĂ©invente les tensions propres de l'Ă©criture en regard de la scĂšne, oĂč l'articulation texte et platreau se joue, thĂ©Ăątralement, comme un spectacle : au lieu du texte, une Ă©criture spectaculaire, Ă  la littĂ©raritĂ© exhibĂ©e, provocatrice, monstrueuse ; au lieu du spectacle, un espace d'Ă©criture complexe et de dilatation raffinĂ©e du langage. C'est que dans le geste radical d'Ă©crire se trouvait pour lui rassemblĂ©s l'espace transitoire et paradoxal d'un texte Ă©crit pour ĂȘtre dit, celui d'un monde conçu pour ĂȘtre jouĂ©, et d'un rĂ©cit traversĂ© pour ĂȘtre Ă©prouvĂ©. C'est toujours en ce geste que peut se comprendre la tension (et donc la raison d'ĂȘtre) d'un dĂ©sir d'une Ă©criture infiniment Ă©crite et de son effacement sur scĂšne dans la parole prononcĂ©e, d’une blessure d’appartenir et de se retrancher hors de toute communautĂ© dĂ©jĂ  formĂ©e, d’une force d’invention textuelle et de reprise d’une tradition au moment oĂč de nombreuses expĂ©riences thĂ©Ăątrales radicales se dĂ©faisaient du texte. Mais KoltĂšs prĂ©cisĂ©ment, dans l’entre des choses et d’une certaine histoire du thĂ©Ăątre, dĂ©joue les catĂ©gories, tient ouvertes les contradictions pour frayer une poĂ©tique textuelle qui est aussi une politique : un rapport Ă  la langue qui tiendrait de l’érotique et d’une certaine Ă©thique aussi ; la joie enfin d’inventer Ă  chaque fois deux piĂšces en une seule : l’une qui serait jouĂ©e, et l’autre lue, corps glorieux d’un texte nĂ© Ă  lui-mĂȘme diffĂ©rent en fonction de son lieu d’incarnation

    GenĂšses : Retrouver sa langue et tensions vers l'Ă©pure

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    Dans la solitude des champs de cotonNational audienceAux origines nombreuses de l'Ă©criture, il y a ce qui appartient Ă  l'exigence profonde, une contrainte intĂ©rieure, et ce qui relĂšve du poids de la circonstance, l'Ă©vidence de rencontres et ces appels qu'elles provoquent. Peu d'Ă©critures comme celle de Bernard-Marie KoltĂšs ne s'Ă©laborent depuis cette articulation secrĂšte entre l'expĂ©rience, la vie et le dĂ©sir de nommer ces espaces de langage et de fiction dans lesquels sera nommĂ©e l'appartenance au prĂ©sent, oĂč dans le champs de force de l'Ă©criture se dĂ©poserait la matiĂšre vive du rĂ©el que la langue va traverser. Mais il y aussi dans l'Ă©nergie singuliĂšre qui engage cette Ă©criture, les flux qui circulent d'un texte Ă  l'autre, ou comment l'Ă©criture naĂźt de ce qui la prĂ©cĂšde, au moins autant pour la prolonger que pour s'y mesurer, s'en Ă©carter aussi, un dĂ©fi des origines pour la produire de nouveau. Si cette Ă©criture possĂšde pour elle ses autonomies successives, elle est animĂ©e Ă©galement, plus secrĂštement, d'un processus vital : entre chaque piĂšce fraie le dĂ©sir d'un retour et d'un Ă©cart. Écrire, pour KoltĂšs, c'est toujours en partie rĂ©Ă©crire, non pour reproduire, mais mieux s'inventer. Cette exigence n'est pas sans rapport avec une maniĂšre d'envisager radicalement la vie, oĂč l'expĂ©rience ne peut s'accomplir qu'une fois, et une fois seulement, avec la volontĂ© de la traverser entiĂšrement pour en finir avec elle : « Moi, j'ai deux valises ; une sur laquelle c'est Ă©crit ''plus jamais ça'' ; et sur l'autre : ''j'ai pas encore essayĂ©''. Et je passe ma vie Ă  faire passer ce qu'il y a dans celle-ci dans l'autre 1. » comme le dit Tony. Cette Ă©criture se mesure ainsi Ă  toutes ses tensions, qui sont autant de paradoxes fĂ©conds-s'en saisir, ce serait non pas rĂ©soudre l'Ă©criture en retraçant sa gĂ©nĂ©tique, mais plutĂŽt travailler Ă  ses points d'incitations multiples, et de la vie et de l'Ă©criture, en disposer les forces en prĂ©sence qui la produisent. Comme tous les textes de son auteur, Dans la solitude des champs de coton rĂ©Ă©crit dans une certaine mesure la vie ainsi que tous ses textes passĂ©s, leur rĂ©pond, en dĂ©place les enjeux et permet Ă  tous les textes suivants de s'Ă©crire aussi ensuite-c'est pourquoi revenir sur cette Ă©nergie vitale de l'Ă©criture, sa gĂ©nĂ©ration intĂ©rieure (par l'Ă©criture) et extĂ©rieure (par la vie) est si important en regard de cette oeuvre : ici, plus essentiellement. Car ce qui se joue dans cette piĂšce est plus fondamental encore, tant il semblerait que plus que d'autres elle tend Ă  envelopper l'ensemble du geste d'Ă©criture, posant avec acuitĂ© les enjeux mĂȘmes de composition qui prĂ©sident Ă  toute son oeuvre, affrontant au plus prĂšs son lieu et sa formule. PiĂšce Ă©lĂ©mentaire Ă  plus d'un titre, centralitĂ© puissante d'une oeuvre et d'un auteur, Dans la solitude des champs de coton a pu figurer pour beaucoup de ses lecteurs comme un fĂ©tiche, symbole mĂȘme, jusqu'Ă  devenir l'oeuvre majuscule du dramaturge, d'une Ă©poque aussi peut-ĂȘtre, en dĂ©pit d'une radicalitĂ© considĂ©rable, ou Ă  la faveur de cette radicalitĂ©. C'est dans les mĂ©andres de son Ă©criture que l'on peut comprendre comment est nĂ©e cette piĂšce, ce qui a prĂ©sidĂ© Ă  son dĂ©sir et son Ă©lan

    PrĂ©sences de l’histoire: Notes sur DĂ©jĂ  lĂ , d’AurĂ©lia Guillet et Arnaud Michniak, et ShĂ©da, de DieudonnĂ© Niangouna

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    National audienceDans l’éloignement produit par le monde incessamment, un bruit de fond s’élĂšve et enveloppe au plus proche l’aura de notre Histoire. Sidi-Bouzid, Le Caire, Tunis, El BĂ©ĂŻda, Sana’a, Damas, Karrana, ou Misrata, Alep, puis Homs — les noms d’une Histoire auraculaire, « surgissement d’un lointain aussi proche qu’il puisse ĂȘtre » (Walter Benjamin). Ces noms dĂ©signent certains des espaces d’émancipation les plus vifs de notre temps, prĂ©cisĂ©ment parce que dans leur lointain inapprochable, ils nomment en partie de quoi notre Histoire est faite. LĂ  oĂč l’Histoire semble aujourd’hui s’accomplir est le territoire d’un monde que le nĂŽtre regarde, de loin, sur les Ă©crans en temps rĂ©el — foules en armes, cris, pierres — comme si ce monde passait et que nous Ă©tions quelque chose comme son passĂ©, son retard, en mĂȘme temps que sa cause lointaine : et son inĂ©luctable, dĂ©mocratique et dĂ©rĂ©gulĂ© futur ? Comment se vouloir de ce cĂŽtĂ© de la ligne de partage, et demeurer, irrĂ©mĂ©diablement, fatalement, de l’autre cĂŽtĂ© aussi ? Le plan de l’Histoire paraĂźt d’une gĂ©omĂ©trie sans point de fuite : on parle de secousses, c’est un long mouvement qui s’amorce, dĂ©nuĂ© de finalitĂ©, sans terme, l’horizon pur. Et nous, par oĂč entrer et sortir pour appartenir Ă  l’Histoire, ou seulement apercevoir le prĂ©sent du passĂ©, le devenir de ce qui surgit — comment dĂ©jouer les fatalitĂ©s de l’obsolescence

    Les théùtres secrets d'Yves Navarre (II): Le drame saccagé

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    National audienceJouer au thĂ©Ăątre-plutĂŽt qu'en Ă©crire. C'est par ces mots qu'au sujet du thĂ©Ăątre de Yves Navarre, j'avais voulu conclure dans un article prĂ©cĂ©dent 1 ce qui n'Ă©tait qu'une premiĂšre approche, et l'esquisse d'hypothĂšses encore Ă  tĂątons d'une lecture Ă  l'Ă©preuve d'une Ă©criture dramatique retorse et singuliĂšre, dont l'artifice n'Ă©tait jamais sans gravitĂ© ni nĂ©cessitĂ©. Jouer au thĂ©Ăątre, comme un enfant avec le feu : ou comme un acteur joue Ă  mourir : pour de faux, certes-mais de quelle vĂ©ritĂ© cette fausse mort tĂ©moigne-t-elle ? Car c'est en trĂšs fin lecteur de la vie (ce thĂ©Ăątre) que Navarre Ă©crit un thĂ©Ăątre (cette vie) qui vient en dĂ©figurer les signes. Cette premiĂšre esquisse voulait cerner ce thĂ©Ăątre, littĂ©ralement tourner autour de ce thĂ©Ăątre, l'enveloppant sans oser l'affronter en face peut-ĂȘtre parce que, singuliĂšrement, ce thĂ©Ăątre met Ă  distance ceux qui voudraient l'approcher, tant il semble Ă  lui-mĂȘme une sorte de plĂ©nitude, une tautologie du thĂ©Ăątre qui ne cesse Ă  la fois de se dire, et de se dĂ©noncer comme tel. Cette esquisse partait d'une premiĂšre hypothĂšse : celle d'une dramaturgie marginale et essentielle, oĂč la marge Ă©tait Ă  cĂŽtĂ© de l'oeuvre princeps dans la mesure aussi oĂč elle Ă©tait son laboratoire nĂ©cessaire, lieu des expĂ©rimentations autant formelles qu'Ă©thiques, espace oĂč s'inventait la langue jusqu'Ă  l'excĂšs comme s'inventaient les figures d'autres qui avaient la parole. Bien des romans sont nĂ©s des brisures ou des fruits de bien des piĂšces, et lire l'une et l'autre l'oeuvre (tant il semblerait que le thĂ©Ăątre est une autre oeuvre), ce serait passer d'un espace secret aux lieux d'une rĂ©vĂ©lation, tout en conservant la dynamique du secret-ce qui reste irrĂ©vĂ©lĂ©, ou Ă©nigmatique. Lois Ă©tranges et terribles du thĂ©Ăątre de Yves Navarre : ici, sur le plateau dressĂ© par la page, il exploiterait jusqu'Ă  l'outrance les rĂšgles du thĂ©Ăątre, et pourtant c'est lĂ  qu'il travaillerait ses romans, comme si c'Ă©tait dans les piĂšces qu'on trouverait les Carnets de sa production romanesque. Fadeur de Navarre Dans ces piĂšces en effet, on y dĂ©couvre les thĂšmes et les enjeux, le principe de ses fables et le jeu sur l'oralitĂ©, si prĂ©cieuse Ă  bien des lecteurs, ce ton de voix qu'on reconnaĂźt entre mille, une musique qui tient de la mĂ©lodie d'Erik Satie, prĂ©cieuse, lointaine, diffuse, quasi transparente et pourtant miroitante et insaisissable, qui sait que dans l'Ă©lĂ©gance du parler les mots peuvent tuer : et qui sait aussi que dans la violence cruelle des paroles rĂ©sident aussi bien la peine que la consolation. Dans ces piĂšces, et elles sont nombreuses, se multiplient au dĂ©but, se font plus rares ensuite, puis s'accĂ©lĂšrent vers la fin, il y a le contre-champ du romanesque : contre-champ cinĂ©matographique (thĂ©Ăątre qui serait les coulisses du rĂ©cit, dans une sorte de mise en abĂźme qui parsĂšment l'oeuvre dramaturgique de Navarre
), et contre-chant lyrique, mais d'un lyrisme tenu, retenu, et tĂ©nu, mince fil entre la thĂ©ĂątralitĂ© excessive et son retrait : un lyrisme mineur, comme l'on parle de gamme mineure-un lyrisme en somme de la « fadeur », terme que j'emprunte Ă  Jean-Pierre Richard qui qualifiait ainsi la poĂ©sie de Verlaine. Car en relisant les derniĂšres oeuvres thĂ©Ăątrales de Navarre, on pourrait intuitivement faire de ces piĂšces, des oeuvres verlainiennes

    Koltùs – L’injouable du corps

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    L’Ɠuvre de Bernard-Marie KoltĂšs met au centre de sa dramaturgie comme de son propos la prĂ©sence d’un corps Ă©tranger : impossible, disait-il, d’écrire sans cette prĂ©sence. Appui de l’écriture, ce corps (noir surtout) semble aussi, dans les nombreux entretiens qu’il donna, l’horizon, notamment politique, de sa scĂšne. C’est sans doute le sujet sur lequel KoltĂšs s’est le plus exprimĂ© publiquement, s’insurgeant contre des spectacles qui prĂ©fĂ©raient passer outre et confier les personnages de Noirs Ă  des acteurs blancs. La distribution paraĂźt ici l’enjeu dĂ©cisif de son Ă©criture car elle concentre toute une poĂ©tique subordonnĂ©e Ă  un rapport au monde puisĂ© au fil des voyages du dramaturge en Afrique et en AmĂ©rique, oĂč lui est apparue l’évidence de l’absolue relativitĂ© de sa prĂ©sence au monde : lui l’auteur blanc privilĂ©giĂ©, en regard de Noirs qu’il voyait broyĂ©s par l’Histoire. Enjeu dĂ©cisif, et sujet encore Ă  des polĂ©miques vives, cette question de la distribution ne cesse d’interroger, par-delĂ  cette Ɠuvre, cette mutation que KoltĂšs opĂ©ra sur l’écriture dramatique. C’est que l’auteur a cherchĂ© Ă  repenser la notion mĂȘme de personnage, pour tĂącher d’écrire des corps. Mais n’y aurait-il pas un risque, aussi, de rĂ©duire par lĂ  cette altĂ©ritĂ© Ă  une surface physique ? Et Ă  sur-dĂ©terminer des identitĂ©s jusqu’à les figer ? Ou n’est-ce pas au contraire une façon de chercher, pour l’auteur, dans ces radicales altĂ©ritĂ©s, des territoires neufs oĂč se rĂ©inventer autre et s’affranchir de ses propres origines ?The work of Bernard-Marie KoltĂšs puts at the center of his dramatic art as of its matter the presence of a foreign body: impossible, he said, to write without this presence. Support of the writing, it also appears in many interviews he gave, as the horizon, in particular political, of his work. This is probably the topic that has most KoltĂšs expressed publicly rebelling against shows that preferred override and entrust black characters with white actors. The casting appears here the crucial issue of his writing because it focuses a whole poetic subordinate to a report to the world drew over the playwright’s travels in Africa and America, where the obviousness of the absolute relativity of his presence in the world appeared to him: he, the privileged white author, compared to blacks he saw crushed by history. Decisive issue, and still subject to polemical sharp. It is that the author has sought to reconsider the very notion of character, to try to write the body. But wouldn’t there a risk, also, to reduce otherness to this physical surface? And to over-determine identities until solidifying them? Or is it, at the contrary, a way of seeking, for the author, in these radical otherness, some news territories where to reinvent himself, and to free from his own origins

    Georges Bataille et les scÚnes contemporaines: L'autre théùtre

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    International audienceGeorges Bataille-et les scĂšnes contemporaines L'autre thĂ©Ăątre Si l'oeuvre de Georges Bataille est impossible, ce n'est pas seulement parce qu'elle excĂšde toute possibilitĂ©-on l'a dite inouĂŻe, terrible, inexemplaire-, mais aussi dans la mesure oĂč elle est sans hĂ©ritage possible, sans legs et sans dette. L'expĂ©rience qu'elle incarne et traverse pourrait Ă  peine valoir pour elle-mĂȘme : dans la puissance qu'elle propose, elle proteste contre toute limite en la-quelle on voudrait la tenir, contre toute pensĂ©e qui voudrait la penser au lieu de l'exercer. C'est dans l'irradiation qu'elle opĂšre et dans le ressaisissement qu'elle s'abat. 1 Que reste-t-il d'une telle pensĂ©e qui rĂ©cuse tout reste et cherche l'inachĂšvement comme excĂšs, qui plaide pour l'indiffĂ©rence des ruines , et sait combien l'absence de Dieu est plus grande, plus 2 divine que Dieu (et qui en puise une joie sans mesure) ? Demeure une pensĂ©e radicalement autre, 3 l'envers de la pensĂ©e, une autre pensĂ©e qui permet de saisir une part de ce monde et de notre 4 temps, sa part la plus vive et intense, sa part maudite et blessĂ©e, Ă  rebours des normes morales et politiques de notre prĂ©sent. Quand il s'agit de se situer sur ce plan-lĂ  de la vie et de l'histoire, affronter cette vie et cette his-toire et mieux les nommer, mieux conquĂ©rir ces territoires de l'existence qui nous libĂ©rerait de tout assujettissement moral et nous Ă©manciperait de nous-mĂȘmes, quelle parole trouver, vers quel silence se tourner ? La littĂ©rature peut-ĂȘtre, qui possĂ©derait pour elle la trouĂ©e du vent et l'autoritĂ© des ruines-mais laquelle ? « Je ne puis regarder comme libre un ĂȘtre n'ayant pas le dĂ©sir de trancher 5 en lui les liens du langage ». 6 Pour un thĂ©Ăątre comme expĂ©rience « J'aperçois chaque jour un peu mieux que ce monde, oĂč nous sommes, limite ses dĂ©sirs Ă  dormir. Mais un mot ap 1-pelle en temps voulu une sorte de crispation, de ressaisissement » Georges Bataille, OEuvres complĂštes, Gallimard, XII, 16. (Sans prĂ©cision, on renverra les citations de G. Bataille Ă  ces oeuvres complĂštes). III, 336. 2 XI, 236.
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