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L’écriture de la ville de Nairobi dans les oeuvres de la nouvelle scène littéraire kenyane
Depuis le début des années 1970, Nairobi a pris une place centrale dans la fiction kenyane. Ville où convergent les migrants des campagnes et les exilés des pays en crise alentour, elle constitue « un microcosme, un monde en soi, qui représente, plus qu’un simple aspect de la société kenyane, ce qu’est véritablement le Kenya » . Pour les jeunes écrivains kenyans, elle est un personnage à part entière : « C’est une magicienne devenue prostituée. Elle est aussi psychotique. Et schizophrène » . Les écrits de cette nouvelle génération s’articulent ainsi autour de la figure ambivalente de Nairobi, ville qui, de simple décor réaliste, est devenue au fil des pages et du temps un lieu palimpseste, et qui à son tour imprime sa marque sur les corps qui la traversent. Écrire la ville, c’est avant tout s’écrire, projeter sur elle ses incertitudes quant à la place qu’on y occupe. Lieu liminaire, « espace ambigu [...] dans lequel les constructions du chez-soi et de l’ailleurs sont temporairement interrompues avant d’être réinscrites, réordonnées, en tout cas reconstituées » , la ville est aussi un lieu carnavalesque, où tous les retournements sont possibles et où l’identité de ses habitants est sans cesse remise en question. Nairobi, dans les textes de la nouvelle génération d’auteurs kenyans comme Yvonne Adhiambo Owuor, Binyavanga Wainaina ou Mehul Gohil, se fait donc texte et miroir, espace où se déchiffre la nature de la condition de l’homme kenyan
« An eternal sea unites our people » : la Chinafrique par l’océan dans The Dragonfly Sea d’Yvonne Adhiambo Owuor
L’océan Indien, rebaptisé « mer des libellules », est à bien des égards le personnage principal du dernier roman de l’écrivaine kényane Yvonne Owuor. Il est tout à la fois un pont qui relie la minuscule île kényane de Pate à la Chine, immense et tentaculaire, un espace où se croisent les trajectoires des personnages et le lieu où se joue, comme en coulisses, un certain nombre de conflits liés au terrorisme international ou à divers trafics. Espace de migrations et d’échanges, du voyage de l’explorateur chinois Zheng He vers les côtes africaines au xve siècle à celui d’Ayaana, présentée comme sa « Descendante », vers la Chine contemporaine, il est l’objet dans le roman d’une cartographie spatiale et temporelle qui resitue les relations entre Chine et Afrique dans le temps long et dans le monde de l’océan Indien. Déplaçant le regard de l’Occident vers l’Extrême-Orient, l’approche « thalassocentrée » de ce roman et son écriture, cartographique, généalogique et rhizomatique, travaillent à une reconfiguration des imaginaires de la Chinafrique.The Indian Ocean, renamed « Dragonfly Sea » in Yvonne Owuor’s latest novel, is undoubtedly one of its main characters. This oceanic space is figured as a bridge between the tiny Kenyan island of Pate and huge and tentacular China, the expanse on which the characters’ paths cross and a behind-the-scenes space where world conflicts, global terrorism and trafficking take place. By rewriting Chinese admiral Zheng He’s expeditions to the East African coasts into Ayaana’s – « the Descendant » – voyage to China, the novel seeks to replace Sino-African relations in their centuries-long history and within the interconnected oceanic space. By shifting the focus from the West to the East, the novel’s thalassocentric approach and its cartographic, genealogical and rhizomatic writing endeavour to reconfigure the discourses and representations that surround Sino-African relations
Brouiller les frontières génériques et bousculer les hiérarchies littéraires au Kenya. La revue Kwani? entre presse et littérature
Fondée en 2003 par un collectif d’auteurs et d’intellectuels kényans mené par
Binyavanga Wainaina, la revue littéraire Kwani? est devenue en une dizaine
d’années une institution littéraire reconnue à l’échelle nationale et continentale.
Objet textuel hybride, à l’interface de différents champs discursifs, la revue,
présentée explicitement comme « littéraire » par ses fondateurs qui sont pour la
plupart journalistes de formation, nous invite Ă interroger les rapports entre
presse et littérature. En retraçant la généalogie de la revue et son inscription
dans l’histoire littéraire régionale et continentale, il s’agira de mettre en
lumière la porosité de ces deux champs discursifs, dans lesquels de nombreux auteurs
de la région se sont inscrits simultanément, que l’on songe à Wahome Mutahi ou Ngugi
wa Thiong’o. En outre, loin de se revendiquer uniquement de revues littéraires comme
Transition ou Black Orpheus, Kwani? met en scène une
filiation avec des magazines populaires comme Joe et Drum, qui ont
joué un rôle non négligeable dans le développement d’une écriture spécifique
caractérisée par l’humour et l’irrévérence. Nous reviendrons ensuite sur la question
du genre mis en avant dans la revue Kwani? depuis que Billy Kahora en est
devenu rédacteur en chef en 2003 : la création non-fictionnelle (creative
non-fiction). L’étude de ce genre – qui puise ses sources au Nouveau
journalisme (New Journalism) développé par Tom Wolfe aux États-Unis – et de sa
promotion dans les pages de la revue permet de montrer comment, dans un contexte
politique et culturel particulier, la pratique littéraire peut endosser une fonction
herméneutique. Cette lecture diachronique de textes à la croisée du littéraire et du
journalistique met en lumière diverses figures d’écrivains qui traversent l’histoire
de la région et sont réinvesties dans les pages de la revue
Kwani?.Since its creation in 2003 by a collective of Kenyan writers and
intellectuals led by Binyavanga Wainaina, the literary journal Kwani? has
become a renowned literary institution in Kenya and abroad. A hybrid textual object,
at the interface between media and literature, the journal, explicitly qualified as
« literary » by its founders – most of whom are journalists by training –, invites an
exploration of the relationship between the press and literature. By re-inscribing
the journal within a specific literary history and tracing its multiple influences,
this paper seeks to offer insights on the fine line that separates media and
literary practices for writers such as Wahome Mutahi or Ngugi wa Thiong’o. Claiming
the influence of popular magazines such as Drum or Joe rather than
that of intellectual little magazines like Transition or Black
Orpheus, Kwani? emulates the former’s humorous and irreverent style.
Since Billy Kahora became the editor in 2003, the journal has also sought to promote
a specific genre, creative non-fiction, influenced by Tom Wolfe’s New
Journalism, and presented as a hermeneutical tool particularly adapted to
Kenya’s political and cultural context. Reading the complex dialogue and exchanges
between the press and literature in Kenya sheds light on various figures of the
writer and journalist and how they are reinvested within the pages of
Kwani?
Okot p’Bitek : de la révolution poétique à la révolution culturelle
Prenant comme point de départ le contexte de publication du double poème d’Okot p’Bitek, Song of Lawino (1966) et Song of Ocol (1967), et sa réception, cet article s’intéresse à la genèse du poème et à la position particulière qu’occupe alors Okot dans l’espace littéraire anglophone est-africain. Il s’agit de présenter la façon dont le travail de traduction de l’acholi à l’anglais entrepris par Okot modifie la forme même du poème, et ainsi de mettre en lumière la manière dont les influences et transferts – entre langues et entre littérature et anthropologie – permettent de déconstruire le label d’« authenticité » appliqué au poème lors de sa réception. Enfin, il s’agit de mesurer le rôle que joua le poème dans la déconstruction du sujet-écrivain africain construit par l’institution universitaire notamment, et de revenir sur la révolution culturelle prônée par Okot.Focusing on the context in which Okot p’Bitek’s double poem, Song of Lawino (1966) and Song of Ocol (1967), was written, published and received, this paper analyses how Okot’s particular position within the Anglophone literary space of East Africa and his own translations moulded the formal aspects of the poem. It seeks to shed light on the various influences and transfers – between languages, but also between the fields of literature and anthropology – that invite us to go beyond the original readings of the poem as an example of « authentically African » poetry. In doing so, the article aims to reflect on the role played by the poem in Okot’s call for a « cultural revolution » and its legacy in deconstructing the figure of the African writer as it was built through and by the University in the region
La « renaissance littéraire » africaine en débat
De nombreux auteurs africains ont connu une visibilité accrue sur la scène littéraire internationale au tournant du xxie siècle tandis que sur le continent ont émergé des revues littéraires, des maisons d’édition locales ou des collectifs d’écrivains qui semblent témoigner d’une vitalité littéraire et créatrice retrouvée. Ces phénomènes ont été relayés dans les médias et par les critiques à travers les expressions de « renaissance » ou de renouveau (« renewal ») littéraires. Si le thème de la migration occupe une place toujours importante, de nouveaux thèmes ont fait leur apparition et des genres souvent sous-représentés ou considérés comme mineurs, science-fiction, roman sentimental ou roman policier, se sont vus réinvestis par de nombreux écrivains. Ce numéro explore les diverses facettes de la production littéraire africaine anglophone et francophone du début du xxie siècle en vue de mettre au jour ce que l’expression de « renaissance littéraire » recouvre. The turn of the twenty-first century witnessed a boom in African writing, with writers gaining visibility on the international literary scene. Parallel to this movement, on the continent itself, literary journals, publishing houses or writers’ organizations flourished, seemingly pointing to newfound creativity. Within academic and literary circles, critics, writers and scholars spoke of literary “renewal” and “renaissance.” Others described the generation of writers emerging in the late nineties and two-thousands as “the third generation” of African writers and sought to shed light on the distinguishing features of this generation while acknowledging elements of continuity with its predecessors. While tropes such as migration, war and poverty still occupy center stage, new themes have appeared such as gender, sexual identity or religious radicalization and international terrorism. Moreover, once “minor” or under-represented genres have been invested or re-invested by this new generation, whether it be science-fiction, crime fiction, fantasy or romance. This issue aims at exploring contemporary African literary production in English and French, in order to question the notion of “literary renaissance.