7 research outputs found
State effects. Juveniles judges, sharia courts and the struggle for the Lebanese family.
Malgré un format institutionnel classique, l’État libanais ne présente pas certaines propriétés par lesquelles la sociologie politique caractérise le pouvoir étatique. Il figure ainsi régulièrement dans la liste des États faibles. Ce travail de recherche remet en question la pertinence de cette qualification en s'inscrivant dans une démarche de sociologie politique du droit et de la justice, appliquée à la justice civile des mineurs ainsi qu’à la justice de la charia. Il documente l’activation à partir de 2002 des juges des enfants sur un terrain libanais où le droit de la famille est pluriel, et où plusieurs droits religieux sont mis en œuvre par plusieurs systèmes juridictionnels religieux, en l’absence d’un droit civil commun. Cette thèse mobilise la notion d’“épreuve d’État” pour étudier un conflit public, de 2007 à 2010, entre ces juges des enfants et les tribunaux sunnites de la charia autour de la protection de l’enfant en danger. Ce conflit, quoique clôturé en 2010 par un recul des ambitions des juges civils, produit des effets au-delà des arènes juridictionnelles, sur des mobilisations de femmes qui tentent avec un certain succès de modifier en leur faveur le droit religieux sunnite de la famille. Ces effets d’État ne passent pas par les éléments traditionnels recherchés par la sociologie de l’État et de l’action publique : des budgets, une bureaucratie, des règles centrales obligatoires. Il s’agit ici de formes originales d’étatisation par concurrence entre tribunaux autour de l’enfant et de la famille libanaise. L’enquête ouvre ainsi la boite noire de l’État réputé faible à travers l’épreuve du conflit interjuridictionnel, pour s’attarder sur les formes et les effets de la présence de l’État là où il est supposé être absent. Au lieu de chercher le changement dans les droits rigides de la famille uniquement à travers une politique publique sécularisante du centre civil, cette démarche permet de suivre et de mieux comprendre les bouleversements à l’intérieur même des normativités religieuses et de leurs droits supposés immobiles. Le rapport entre l’État et la communauté religieuse n’est plus un jeu à somme nulle, les droits religieux de la famille montrent une certaine réactivité face aux mobilisations des droits par le bas, et l’État libanais acquiert une effectivité que ne lui reconnaissent pas les récits récurrents de sa faiblesse.The Lebanese state is often depicted as failing to possess some of the properties through which political sociology usually defines state power. Therefore, it is often described as a weak state. I question the relevance of this description through a political sociology of law, an approach I apply to civil juvenile courts and to sharia courts. I study the activation in 2002 of juvenile judges in Lebanon, where several religious family laws are implemented by parallel religious courts, in the absence of a common civil law for the family. I use the notion of "State test" to study a public conflict (2007 - 2010) between these juvenile judges and Sunni sharia courts around the protection of endangered children. This conflict produces effects beyond judicial arenas on women mobilizations that are trying, with some success, to change religious Sunni family law. These "state effects" are not channeled through the traditional elements sought by the sociology of the state and policy studies : budgets, bureaucracy or mandatory central rules. These original forms of stateness are the result of a competition between courts for the child and the Lebanese family. Instead of seeking change in rigid family laws only through a secularizing public policy from the civil center, investigating these "state tests" and their effects can allow us to track and better understand the changes within religious groups and their supposedly immobile legal systems. The relationship between the state and the religious groups is no longer a zero-sum game, religious family laws appear more responsive to legal mobilizations from below, and the state acquires an effectiveness that often goes unrecognized by the recurrent narratives of its weakness
« Ce que font les avocats, ça ne vous regarde pas. » Enquêter sur la justice au Liban : de quel droit ?
Enquêter sur les pratiques judiciaires et juridiques à Beyrouth passe inévitablement par le palais de justice, et y travailler devient une épreuve quotidienne pour le chercheur. Son intérêt pour le droit, lui qui n’est pas juriste, déclenche souvent un rapport de suspicion et de compétition qu’il tente, parfois en vain, de désamorcer. Le policier d’abord, à la porte d’entrée du palais, est le premier à faire de l’altérité physique du doctorant un motif de rejet. Si ce dernier tente d’entrer p..
À qui s’adressent les juges ?
Ce court texte tente de restituer à la sociologie de la magistrature en Tunisie et en Égypte ses enjeux professionnels, souvent marginalisés par des lectures à dominante religieuse ou politique. Les sciences sociales qui s’intéressent aux juges en contextes arabes montrent traditionnellement une triple limite. La timidité, d’abord, d’une sociologie du droit et de la justice qui ne soit pas centrée sur le fait religieux, son juge et ses normes (le juge-qadi appliquant la charia). Une certaine ..
Effets d’État. Les juges des enfants, les tribunaux de la charia et la lutte pour la famille libanaise.
The Lebanese state is often depicted as failing to possess some of the properties through which political sociology usually defines state power. Therefore, it is often described as a weak state. I question the relevance of this description through a political sociology of law, an approach I apply to civil juvenile courts and to sharia courts. I study the activation in 2002 of juvenile judges in Lebanon, where several religious family laws are implemented by parallel religious courts, in the absence of a common civil law for the family. I use the notion of "State test" to study a public conflict (2007 - 2010) between these juvenile judges and Sunni sharia courts around the protection of endangered children. This conflict produces effects beyond judicial arenas on women mobilizations that are trying, with some success, to change religious Sunni family law. These "state effects" are not channeled through the traditional elements sought by the sociology of the state and policy studies : budgets, bureaucracy or mandatory central rules. These original forms of stateness are the result of a competition between courts for the child and the Lebanese family. Instead of seeking change in rigid family laws only through a secularizing public policy from the civil center, investigating these "state tests" and their effects can allow us to track and better understand the changes within religious groups and their supposedly immobile legal systems. The relationship between the state and the religious groups is no longer a zero-sum game, religious family laws appear more responsive to legal mobilizations from below, and the state acquires an effectiveness that often goes unrecognized by the recurrent narratives of its weakness.Malgré un format institutionnel classique, l’État libanais ne présente pas certaines propriétés par lesquelles la sociologie politique caractérise le pouvoir étatique. Il figure ainsi régulièrement dans la liste des États faibles. Ce travail de recherche remet en question la pertinence de cette qualification en s'inscrivant dans une démarche de sociologie politique du droit et de la justice, appliquée à la justice civile des mineurs ainsi qu’à la justice de la charia. Il documente l’activation à partir de 2002 des juges des enfants sur un terrain libanais où le droit de la famille est pluriel, et où plusieurs droits religieux sont mis en œuvre par plusieurs systèmes juridictionnels religieux, en l’absence d’un droit civil commun. Cette thèse mobilise la notion d’“épreuve d’État” pour étudier un conflit public, de 2007 à 2010, entre ces juges des enfants et les tribunaux sunnites de la charia autour de la protection de l’enfant en danger. Ce conflit, quoique clôturé en 2010 par un recul des ambitions des juges civils, produit des effets au-delà des arènes juridictionnelles, sur des mobilisations de femmes qui tentent avec un certain succès de modifier en leur faveur le droit religieux sunnite de la famille. Ces effets d’État ne passent pas par les éléments traditionnels recherchés par la sociologie de l’État et de l’action publique : des budgets, une bureaucratie, des règles centrales obligatoires. Il s’agit ici de formes originales d’étatisation par concurrence entre tribunaux autour de l’enfant et de la famille libanaise. L’enquête ouvre ainsi la boite noire de l’État réputé faible à travers l’épreuve du conflit interjuridictionnel, pour s’attarder sur les formes et les effets de la présence de l’État là où il est supposé être absent. Au lieu de chercher le changement dans les droits rigides de la famille uniquement à travers une politique publique sécularisante du centre civil, cette démarche permet de suivre et de mieux comprendre les bouleversements à l’intérieur même des normativités religieuses et de leurs droits supposés immobiles. Le rapport entre l’État et la communauté religieuse n’est plus un jeu à somme nulle, les droits religieux de la famille montrent une certaine réactivité face aux mobilisations des droits par le bas, et l’État libanais acquiert une effectivité que ne lui reconnaissent pas les récits récurrents de sa faiblesse
Playing by the rules: The search for legal grounds in homosexuality cases - Indonesia, Lebanon, Egypt, Senegal
International audienceThis chapter describes the search for legal grounds in cases of homosexuality in a comparative perspective (Senegal, Egypt, Lebanon, and Indonesia). The authors wonder how judges play by the rules when the law is silent. It appears that, on the one hand, even in cases in which the legal basis is thin or absent, judges are looking for rules on which to ground their decisions. In that sense, judges are positivist legal practitioners who need legal rules to perform their professional duties. However, on the other hand, moral considerations seem to influence deeply the same judges’ legal cognition. The chapter examines how this unfolds in the concrete settings of four countries—Indonesia, Lebanon, Egypt, and Senegal—in cases related to male homosexuality. These countries offer in many respects an excellent basis for the comparative inquiry into the morality of legal cognition—Muslim-majority societies, public condemnations of homosexuality, civil-law inspired legal systems, sensitiveness to international discourse on the state of law and human rights. In each of them, it analyzes cases that attracted much public and media attention. It observes in these cases how judges proceeded in situations in which there was no or only elusive rules to ground their rulings. Despite important differences, the cases exhibit striking similarities in the ways in which judges bypass gaps and silences in legislation via the selection of alternate rules that prove efficient in sanctioning morally associated aspects of the accused persons’ allegedly deviant behavior
Des justices en transition dans le monde arabe ?
Après avoir été l’espace de l’exception autoritaire, le monde arabe est devenu, au premier semestre de 2011, celui des « révolutions ». Au leitmotiv de l’incapacité congénitale des pays arabes d’accéder à la démocratie a succédé le discours sur les « printemps arabes » et l’effet de domino supposé de la « révolution tunisienne » qui, le 14 janvier 2011, avait chassé son « dictateur ». Or aujourd’hui, la plupart des régimes autoritaires sont largement parvenus à museler les mouvements de protestation. Pour autant, peut-on dire que ces révoltes arabes n’ont eu aucun effet sur les rapports entre le pouvoir politique et la justice ? Les contributions présentées dans cet ouvrage donnent des réponses contrastées à cette question. La chute du régime de Ben Ali a eu un effet différencié sur le réajustement des rapports entre justices et politique. Les contributions présentées ici rendent compte de la manière dont certains États de la région ont développé des politiques de justice destinées à répondre sélectivement aux pressions de changements politiques, tout en maintenant l’hégémonie des élites gouvernantes. À cet égard la Tunisie apparaît comme une exception dans la mesure où les rapports entre l’institution judiciaire et le pouvoir politique post-Ben Ali ont été largement redéfinis, mais sans pour autant que les gouvernements transitoires aient renoncé à subordonner le pouvoir judiciaire