La question du cursus honorum mamelouk au tournant des xive‑xve siècles

L’existence d’un cursus honorum des émirs dans le sultanat mamelouk n’a jamais été discutée par les historiens modernes. Certains ont pris son inexistence comme acquise, d’autres l’ont au contraire mentionnée sans décrire son fonctionnement. Seuls les manuels de chancellerie établissent un ordre de préséance et expliquent les fonctions de chacun des offices militaires. Dans les sources historiographiques, il apparaît que l’organisation des carrières suit vaguement une progression en fonction de cette hiérarchie. Mais il n’est jamais nécessaire de tenir un office pour accéder à un autre. Si les sources ne montrent donc pas de carrière archétypale, il est en revanche possible de proposer une modélisation schématique. Au total, il existe bien un principe d’avancement dans les carrières des émirs mamelouks qui laisse toutefois la place à une multitude de carrières possibles. Cette configuration du milieu émiral, où un grand nombre d’individus en charge d’offices de rang quasi égal convoitent les mêmes promotions, est un des facteurs de la constance de la compétition entre les émirs mamelouks.The existence of a cursus honorum of amirs in the mamlouk sultanate has never been discussed. Some historians have denied it. On the contrary, others have mentioned it without describing its running. In the chancery books can be found a description of the order of precedence of the offices. In the historiographical sources, although it appears that holding an office is never necessary to get another one, it is clear that the organization of careers follows roughly a promotion according to that hierarchy. But because of the multiplicity of offices, a multiplicity of careers is possible. This configuration of the amiral milieu – where a lot of individuals hold quasi‑equal offices and covet the same promotions – is one of the factors of competition among the mamluk amirs. Their personal choices during these fitnas are keys for a non-canonical evolution of their careers.إن المؤرخين المعاصرين لم يُناقشوا مطلقاً وجود مسار وظيفي للأمراء في السلطنة المملوكية. اعتبر بعضهم أن عدم وجود هذا المسار هو أمر مُثبت، وعلى العكس أتى آخرون على ذكره دون أن يصفوا آلية سيره. أما وثائق الدواوين فتقترح نظام التقدم وتشرح عمل كل من الوظائف العسكرية. يبدو في المصادر التاريخية أن تنظيم المهن يتبع بشكل مبهم التقدّم المرتبط بالتدرج الوظائف هذا. ولكنه ليس من الضروري الوصول إلى وظيفة ما للانتقال إلى وظيفة أخرى. إذا كانت المصادر لا تشير إلى نظام مهني نموذجي، لكنه من الممكن بالمقابل اقتراح وضع نماذج موجزة. عموماً توجد مبادئ للتقدم في مهن الأمراء المماليك مما يفسح المجال لوظائف متنوعة. إنّ هذه التشكيلات في الوسط الأميري حيث عدد كبير من الأفراد موكلين بوظائف على مستويات شبه متساوية ويطمعون بذات الترقيات، لهو عامل من عوامل استمرار المنافسة بين الأمراء المماليك

Introduction

Pour une miche de pain… Un soir d’été, après dîner, Barqūq dormait dans un sanctuaire que Yalbuġā, l’ancien maître de Barqūq, avait construit hors et néanmoins près de Damas. Barqūq venait souvent en ce lieu parce qu’il aimait le sol constellé de pierreries ainsi que la légère brise de l’est. Il eut un songe où il vit une miche de pain descendant des cieux, virevoltant de çà de là à travers la brise, planant au-dessus des têtes d’une foule de gens qui ne cessaient d’essayer de l’attraper. Qua..

Chapitre 8. Sortir de la guerre

La troisième et dernière phase de la fitna était son règlement. Toute fitna avait vocation à s’achever. Elle devait se conclure par un règlement du rapport de force, c’est-à-dire que l’enjeu devait être redistribué. Cette phase pose la question des modalités du processus de résolution des conflits à l’œuvre dans le sultanat mamlouk à l’époque barqūqide. La fin de la guerre, comme son début, suivait un rituel précis mais plus succinct. Le seul rituel spécifique de la fin du conflit, outre le s..

Eychenne Mathieu, Liens personnels, clientélisme et réseaux de pouvoir dans le sultanat mamelouk (milieu xiiie-fin xive siècle), Damas, Presses de l’Ifpo, 2013, 605 p.

L’ouvrage de Mathieu Eychenne reprend la question de la nature des relations sociales dans le sultanat mamelouk en reconnaissant l’importance du rôle des maisons émirales et du jeu des interactions informelles par rapport aux relations institutionnelles. Mais la question centrale de ce livre – à savoir les rapports entre les élites politico-militaire d’une part et civile et religieuse d’autre part – est appréhendée du point de vue des interactions entre individus plutôt que de celui de « la r..

Conclusion

Comment les émirs se représentaient-ils leur propre jeu politique ? Quelle idée avaient-ils des conflits et des querelles qui les opposaient ? Le concevaient-ils comme ces jeux d’échecs que Barqūq avait l’habitude d’offrir à ses rivaux ou comme ce jeu de cartes mamlouk daté du début du ixe/xve siècle retrouvé à Istanbul ? On l’appelait le jeu des mulūk (pluriel de malik, « roi ») et des nuwwab (pluriel de nā’ib, « vice-roi ») car les rois y étaient des malik-s, les dames des nā’ib-s (« vice-r..

Prosopographie : les émirs dans le sultanat mamelouk sous les sultans Barquq et Faraj (784-815/1382-1412): Quatrième partie d'une thèse de doctorat soutenue le 10 décembre 2013

Prosopography: the mamluk emirs in the Mamluk Sultanate under Sultan Barquq and Sultan Faraj (784-815/1382-1412), base of the PhD, defended on December 10th, 2013.Prosopographie des émirs mamlouks sous les sultans Barqûq et Faraj (784-815/1382-1412) qui a servi de base à la rédaction de la thèse de doctorat, soutenue le 10 décembre 2013

Chapitre 1. Enjeux institutionnels de la compétition émirale

Qui sont les acteurs de cette histoire ? Quelles institutions les définissent ? Sur quelle scène jouent-ils ? Quels liens les unissent et les divisent ? Il est primordial d’ouvrir notre propos sur la question de la nature de l’élite militaire, sur la façon dont elle est définie par l’institution émirale, sur son hétérogénéité et sur les enjeux et moyens de la compétition qui oppose ses membres les uns aux autres. En somme, il faut s’interroger sur les protagonistes de ces conflits, la « foule..

Chapitre 2. De la maison à la faction : solidarité et contrôle social

Ressources économiques et autorité institutionnelle n’étaient toutefois pas le cœur de l’autorité des membres de cette élite. Jo Van Steenbergen a montré, pour la période des derniers Qalāwūnides, que la compétition des émirs pour le pouvoir reposait sur une puissance effective qui ne dépendait pas des institutions, mais des solidarités à l’œuvre au sein du groupe social qu’ils formaient. Le clientélisme était le principe de base, la relation dyadique qui structurait l’essentiel de ces solida..

Chapitre 5. Concentration et fragmentation du pouvoir

Malgré les périodes de stabilité que connut le règne de Barqūq, l’ascension de la Maison sultanienne et des ẓāhirī-s n’aboutit jamais sur un ordre établi. La concentration de l’autorité et du patronage entre ses mains restait à l’état de processus en concurrence avec un phénomène contradictoire de fragmentation de l’élite militaire mamlouke et d’autres tentatives de concentration du patronage au profit d’émirs oligarques. Dans quelle mesure la dynamique monarchique et la propension au conflit..

La conciliation dans les conflits entre émirs du sultanat mamelouk au tournant des xve et xvie siècles

Conflict frequently opposed the emirs of the Mamluk Sultanate, but the resolution of the fitna was not always settled by contest of arms. Just as much as fitna, settlement by mutual agreement (sulḥ) also played a key part in emiral habitus. Whenever spatiotemporal conditions made it possible, different actors – Sultan, intercessors, and negotiators – were involved in a mediation process that transformed binary conflictual interactions into plural ones, leading to reconciliation and reintegration of the parties into the emiral patronage system. In order to accomplish this, the belligerents would select from a catalogue of ritual gestures intended to restore harmony while symbolically and materially reshaping the Mamluk political scen