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Le texte comme don public
Il est devenu commun d’interpréter les épîtres dédicatoires, et plus généralement les textes d’éloge des grands, à la lumière des relations clientélaires qui subordonnent les écrivains à leurs « patrons » : même l’échange mécénique est interprété comme un échange où les deux protagonistes engagent un intérêt socioéconomique qui réduit la liberté de parole de l’écrivain. La littérature est, dans cette perspective, définie comme un bien sans valeur publique particulière, mobilisé dans des rapports de force et des stratégies sociales. On se propose ici de relire la relation de l’écrivain à son mécène, et, au-delà , à son public, à la lumière de la distinction opérée par les anthropologues entre objet marchand, objet de don et objet sacré.Dedicatory epistles and panegyrics have generally been interpreted in terms of the socio-economic interest of the writer who, in subordinating himself to a powerful patron, gives up a measure of his artistic freedom in exchange for financial gain or social advancement. From this point of view, literature has no particular public value : it becomes merely a means to an end, a good to be exchanged within a restricted network of social relations. In order to broaden this reductively narrow understanding of literary patronage as simple exchange, this article will reconsider it first theoretically, in light of the anthropological distinction between good, gift and sacred object, and second socially, as a more complex relationship between the writer, the grandee and the public
Familiarité et estrangement : de faux antonymes
Carlo Ginzburg n’a pas seulement valorisé le procédé d’estrangement, il a aussi valorisé le regard rapproché. Nous suivons ici les arrière-plans théoriques et pratiques des deux démarches en observant, d’une part, comment l’estrangement peut jouxter la familiarité carnavalesque voire outrageante qui dégrade ce dont elle s’empare, aboutissant à l’exclusion violente de certains sujets de l’histoire humaine ; d’autre part, comment le regard rapproché, pour l’historien comme pour l’écrivain, peut faire entrer en contact avec l’étrangeté radicale du choc traumatique, (le « Réel » au sens lacanien du terme), c’est-à -dire lui frayer un passage et, de la sorte, réinscrire les zones d’ombre dans la trame symbolique de l’histoire, c’est-à -dire aussi renouer le fil de la transmission.Carlo Ginzburg dit not only valorise the process of “estrangement” but also the close insight. Here we follow the theoretical and practical backgrounds of these two notions, observing, first, how the “estrangement” is very close to the familiarity described by Bakhtin as “canavalesque”, that is to say a familiarity which may expulse as stranger what (and whom) it has insulted; then, at the contrary, how the close insight may procure to the historian as to the writer an approach to what Lacan calls the Real, the trauma: and in this way, make room for its reinscription in the symbolic framework of history, rather than its traumatical renewal
Écrire dans la gueule du loup
Présentation par Jean-Paul Sermain de « Écrire dans la gueule du loup » : Hélène Merlin-Kajman revient ici sur sa propre écriture de fables et de contes qu’elle publie sur le site de « Transitions » sous le pseudonyme de Helio Milner. Elle relie cette création à sa lecture des fables de La Fontaine comme des fables actuelles aussi bien pour la jeunesse que pour les adultes : « Mon premier projet n’était pas d’en inventer, mais d’en réactualiser de très connues pour en relancer l’usage », dit-elle. Elle les intègre dans un dialogue avec un enfant : « Car mes fables sont aussi des mises en scène de fables », elles ont une dimension méta-allégorique, elles disputent de leur sens, de leur transformation, de leur déviation. Ouvertes au dialogue, elles ont une visée morale à dimension politique (dans la pure tradition antique) : « Mais avec ces fables, je cherche à combattre le sentiment d’impuissance politique dans lequel nous baignons, le cynisme diffus qui l’accompagne, le désespoir ou la rage meurtrière qu’il risque de provoquer. » La transmission des histoires est ainsi indissociable d’une circulation des affects et de sa représentation.In “Writing in the woolf’s mouth” Hélène Merlin-Kajman comes back to her own creative writing of the fables and tales she published in “Transitions” under the name Helio Milner. She links these texts to her own reading of La Fontaine’s Fables as contemporary tales for children and adults alike which she updates to make them circulate again. She integrates these tales into a dialogue with a child, showing how these tales are open to dialogue, and to what extent they have a moral aim with a political dimension. By doing so, Merlin shows how the transmission of stories becomes inseparable from a circulation of affects and their representation. (Summary by Jean-Paul Sermain
Anthropologie de la littérature, pratiques symboliques et diabolie critique
Cet article reparcourt l’œuvre de Claude Reichler en montrant l’importance de ses analyses des « modĂ©lisations symboliques », non seulement pour l’analyse des textes littĂ©raires, mais aussi pour notre rĂ©flexion sur le discours critique et mĂŞme sur l’enseignement de la littĂ©rature. Deux questions forment le fil rouge de la rĂ©flexion : existe-t-il une lecture « diabolique » d’un texte littĂ©raire, une pratique « diabolique » de nos disciplines ? Comment l’absence d’une description des Alpes dans les MĂ©moires d’un auteur du XVIIe siècle amenĂ© Ă les traverser se trouve Ă©clairĂ©e, ana-chroniquement mais sans contresens historique, par l’analyse, elle-mĂŞme symbolique (et jamais « diabolique ») du « paysage alpin » effectuĂ©e par Claude ReichlerÂ
Paroles publiques et figures du public en France dans la première partie du XVIIe siècle
Public discourse and forms of the public in France during the first part of the 17th Century.
Hélène Merlin. [51-66]
During the 17th Century, the absolutist structure of the power is consolidated in France, and, according to R. Koselleck, this structure is based on the dissociation between the public and the private. Les Belles Lettres, a public activity of the private, is in a position to break this rational division of things : by publishing the private and by projecting the public into a number of representations, the «literary- activity separates itself from the private and the public sphere but at the very moment when these two spheres are dissociated : the literary activity accompanies and help this dissociation, producing a form of the public which is both part of this new socio-political configuration and of the old model of the political body.Paroles publiques et figures du public en France dans la première partie du XVTIe siècle.
Hélène Merlin. [51-66]
Le XVIIe siècle voit en France se consolider la structure absolutiste du pouvoir dont R. Koselleck a montré qu'elle repose sur la scission du public et du particulier. Les Belles Lettres, activité publique du particulier, se trouvent en position de perturber ce partage rationnel : en publiant le particulier, en projetant le public dans des représentations variées, l'activité 'littéraire» se détache et de la sphère privée et de la sphère publique mais de façon contemporaine à leur scission même, c'est-à -dire en l'accompagnant et en la travaillant, pour produire une figure du public qui tient à la fois de la nouvelle configuration socio-politique et de l'ancien modèle du corps politique.Merlin Hélène. Paroles publiques et figures du public en France dans la première partie du XVIIe siècle. In: Politix, vol. 7, n°26, Deuxième trimestre 1994. Parler en public, sous la direction de Dominique Cardon, Jean-Philippe Heurtin et Cyril Lemieux. pp. 51-66
Corneille et le/la politique : le double enjeu de la question
La critique a récemment contesté la valeur politique du théâtre cornélien, sur la foi d’un passage d’une lettre où Corneille semble faire de la politique un simple ornement (une « broderie »). Mais le mot « politique » au XVIIe siècle est équivoque, et peut ne renvoyer qu’au machiavélisme, aux discussions des spécialistes de politique. En revanche, il est peu contestable que la question de la dignité, c’est-à -dire de l’homme public, ou politique, ne soit au centre du théâtre cornélien, avec son double corollaire : le « paraître » et l’autre face de l’être humain, sa face privée. La relation de l’homme privé à la sphère publique est une question politique. C’est aussi, à cause du paraître, une question esthétique. Elle est au cœur de la mimesis cornélienne, et ne peut trouver une interprétation certaine dans le contexte des œuvres : le théâtre cornélien ne se soustrait pas à la polysémie caractéristique des œuvres théâtrales. Traduite aujourd’hui, cela signifie qu’il y a une interprétation démocratique légitime du théâtre cornélien, qui côtoie une virtualité moins démocratique (plus héroïque, ou plus absolutiste).Critics recently challenged the political value of Cornelian theatre on the basis of a passage from a letter in which Corneille seemed to reduce politics to a mere ornament (a “piece of embroidery”). However, in the 17th century, the word “politics” was ambiguous and could be used to refer solely to Machiavellianism and the discussions between political specialists. Meanwhile, it can hardly be denied that the question of dignity is central to Cornelian theatre; that is, the question of the public, or political, man, with his divided nature: his “appearance” and his private face, the two sides to every human being. The relationship between the private individual and the public sphere is a political question. Due to the role of appearance, the question is also an aesthetic one. This relationship is at the heart of Cornelian mimesis but cannot be interpreted with any certainty within the context of his plays: Cornelian theatre is no exception when it comes to the characteristic polysemy of dramatic works. From a modern-day perspective, this means that there is a legitimate democratic interpretation of Cornelian theatre, which runs parallel to a less democratic potential interpretation (which is more heroic, or more absolutist)
Le spectre ou la décomposition du nom
L’analyse qui suit se situe dans le prolongement de recherches antérieures. J’ai croisé la question du spectre au théâtre dans le cadre d’une question plus générale et qui concerne la place, le poids des morts dans l’histoire, l’histoire politique notamment. Qu’est-ce qui se passe une fois qu’on a fini de compter les morts, ou, pour l’historien, de repérer un événement marqué par des morts en grand nombre, qu’est-ce qui se passe après, lorsqu’ils semblent ne plus exister — c’est la définition..
Roger Chartier, L'Ordre des livres. Lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre XIVe et XVIIIe siècle
Merlin Hélène. Roger Chartier, L'Ordre des livres. Lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre XIVe et XVIIIe siècle. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 49ᵉ année, N. 2, 1994. pp. 438-441
Franchir, paraître
Héros ou personnage ? Le théâtre cornélien se prête aux deux lectures, car l’hésitation résume la question héroïque elle-même : le héros, comme le rappelle Hannah Arendt, est celui qui franchit la frontière du domaine privé pour prendre pied sur la scène publique. Le théâtre cornélien contient de même une espèce de proposition dynamique, et c’est à elle que s’accrochent bien des commentaires critiques qui, de façon différenciée selon l’intérêt de leur auteur – dans tous les sens de ce mot : intérêt épistémologique, idéologique et pulsionnel –, avivent la question de la différence. De ce fait, le théâtre cornélien résiste à la transmission stéréotypée, et est facile à réinvestir, au risque de trop célébrer le héros en oubliant que le héros cornélien n’est pas seul, et que l’amour notamment, et la différence des sexes, déplacent notablement le côté phallique, unitaire, de ce surgissement. Il y a aussi, chez Corneille, un puissant dialogisme à l’écoute duquel il vaut la peine de se mettre.Heroes or characters? Corneille’s plays offer both interpretations, because hesitation summarizes the heroic question itself: the hero, as Hannah Arendt recalls, is the one that overcomes the frontier of the private sphere in order to set foot on the public scene. Corneille’s works contain in the same way a sort of dynamic proposition, which draws a lot of critical comments that, in a differentiated way, according to the interest of their author—in all the meanings of this word: epistemological, ideological and instinctual interest—the question of the difference. For this reason, Corneille’s works resist stereotyped transmission and are easy to reinvade, at the risk of celebrating the hero too much and forgetting that the Cornelian hero is not alone, and that especially love and differences between sexes move the phallic and combined symbol of this emergence. It is also worth paying close attention to the powerful dialogism evident in Corneille’s plays
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