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    El Colón de Posse: ¿un héroe épico?

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    L’intellectuel face à la célébration du (bi)centenaire de la Nation argentine

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    La célébration de l’anniversaire de la naissance d’une Nation invite généralement à dresser un bilan de son histoire et à relever les défis que lui lance l’avenir. Il n’est pas rare de voir des écrivains entrer en scène pour jouer un rôle différent et complémentaire ou antagoniste de celui des politiques. Ils assument ainsi une fonction sociale qui dépasse celle de créateurs pour incarner le rôle de mémoire vivante des origines, des actes fondateurs de la Nation; ils redéfinissent l’identité, l’idiosyncrasie nationales pour tenter d’assumer un rôle de guides, de conducteurs. Cet objectif s’appuie sur une stratégie de construction d’une figure d’auteur servie par une rhétorique bien particulière. En prenant comme point d’appui le rôle joué par Leopoldo Lugones dans le cadre des célébrations du Centenaire de la Nation argentine, nous mettrons en lumière les modalités de l’émergence de la figure d’Abel Posse dans l’Argentine du début du XXe siècle et le caractère éminemment lugonien du nationalisme qu’elle prétend incarner dans le contexte du Bicentenaire.Celebrating the founding date of a nation is generally the occasion for taking stock of the past and confronting the challenges of the future. It is not unusual to see writers emerge onto the scene in roles either complementary or antagonistic to those of politicians. In so doing they take on a social function that goes beyond that of literary creators to embody the living memory of the Nation’s origins and its founding acts; they redefine national identity and temperament in an attempt to assume the role of guides, of leaders. This objective relies on a strategy to construct the figure of the author which is based on a very particular kind of rhetoric. Taking as our point of reference the role played by Leopoldo Lugones in Argentina’s Centenary Celebrations, we shall focus on the emergence of Abel Posse’s own figure on the Argentine scene in the early years of the twenty-first century, and on the link between Leopoldo Lugones’s nationalism and Abel Posse’s claim to embody it in the context of the Bicentenary

    Les femmes du xixe siècle argentin dans l’œuvre romanesque de María Rosa Lojo

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    Une vision d’ensemble de l’œuvre romanesque de la critique et écrivaine argentine María Rosa Lojo (1954) laisse clairement apparaître la focalisation de cette dernière sur le xixe siècle argentin, et en particulier sur des personnages féminins ayant évolué dans l’ombre de figures masculines tutélaires. Si son premier roman, La pasión de los nómades (1994), est centré sur Lucio V. Mansilla (1831-1913), l’auteur de la canonique Excursión a los indios ranqueles (1870), La princesa federal (1998) a pour personnage principal Manuela Rosas (1817-1898), la fille de Juan Manuel de Rosas (1793-1877), consacré par le Facundo de Sarmiento comme l’archétype de la barbarie ; et le suivant, Una mujer de fin de siglo (1999), a pour protagoniste Eduarda Mansilla de García (1834-1892), femme-écrivain et nièce préférée dudit Rosas. Un intérêt de Lojo pour les figures féminines encore confirmé plus tard par Las libres del Sur (2004), roman campant l’avatar fictionnel de Victoria Ocampo (1890-1979) ou Finisterre (2005), dans lequel s’entrecroisent les histoires de femmes du xixe siècle. Ce travail se propose d'analyser les modalités de la construction de ces figures féminines dans l’énonciation, de l’entrée dans leur subjectivité, de la fictionnalisation de leur destin, pour mettre en lumière le rapport qu’elles entretiennent avec leurs représentations traditionnelles et expliquer dans quelle mesure la démarche esthétique de Lojo s’inscrit dans les défis du présent.Una mirada de conjunto de la obra novelística de la crítica y escritora argentina María Rosa Lojo (1954) deja aparecer claramente la focalización de ésta sobre el siglo XIX argentino, y en particular sobre personajes femeninos que evolucionaron a la sombra de las figuras masculinas tutelares. Si su primera novela, La pasión de los nómades (1994), se centra sobre Lucio V. Mansilla (1831-1913), el autor de la canónica Excursión a los indios ranqueles (1870), La princesa federal (1998) tiene como personaje principal a Manuela Rosas (1817-1898), hija de Juan Manuel de Rosas (1793-1877), consagrado por el Facundo de Sarmiento como arquetipo de la barbarie; y la siguiente, Una mujer de fin de siglo (1999), tiene como protagonista a Eduarda Mansilla de García, escritora y sobrina preferida del mismo Rosas. Un interés de Lojo por las figuras femeninas confirmado más tarde por Las libres del Sur (2004), novela que traza los avatares literarios de Victoria Ocampo (1890-1979) o Finisterre (2005), en la cual se entrecruzan las historias de mujeres del siglo XIX. El presente trabajo se propone analizar las modalidades de la construcción de esas figuras femeninas en la enunciación, de la entrada en su subjetividad, de la ficcionalización de su destino, para poner de relieve la relación que ellas establecen con sus representaciones tradicionales y explicar en qué medida el tratamiento estético de Lojo se inscribe en los desafíos del presente.From her second novel, La princesa federal (1998) to Finisterre (2005), Argentinian writer and critic María Rosa Lojo (1954) has tended to focus on 19th century Argentina. Taking her inspiration from the lives of historical figures, such as Manuela Rosas, Eduarda Mansilla de García, or Victoria Ocampo, her novels explore female agency in its relation to patriarchal authority. This paper examines characterization in Lojo’s writing by comparing it to other traditional representations. The aim is to confront Lojo’s poetics to the challenges of the 21st century

    L’intellectuel face à la célébration du (bi)centenaire de la Nation argentine

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    La célébration de l’anniversaire de la naissance d’une Nation invite généralement à dresser un bilan de son histoire et à relever les défis que lui lance l’avenir. Il n’est pas rare de voir des écrivains entrer en scène pour jouer un rôle différent et complémentaire ou antagoniste de celui des politiques. Ils assument ainsi une fonction sociale qui dépasse celle de créateurs pour incarner le rôle de mémoire vivante des origines, des actes fondateurs de la Nation; ils redéfinissent l’identité, l’idiosyncrasie nationales pour tenter d’assumer un rôle de guides, de conducteurs. Cet objectif s’appuie sur une stratégie de construction d’une figure d’auteur servie par une rhétorique bien particulière. En prenant comme point d’appui le rôle joué par Leopoldo Lugones dans le cadre des célébrations du Centenaire de la Nation argentine, nous mettrons en lumière les modalités de l’émergence de la figure d’Abel Posse dans l’Argentine du début du XXe siècle et le caractère éminemment lugonien du nationalisme qu’elle prétend incarner dans le contexte du Bicentenaire.Celebrating the founding date of a nation is generally the occasion for taking stock of the past and confronting the challenges of the future. It is not unusual to see writers emerge onto the scene in roles either complementary or antagonistic to those of politicians. In so doing they take on a social function that goes beyond that of literary creators to embody the living memory of the Nation’s origins and its founding acts; they redefine national identity and temperament in an attempt to assume the role of guides, of leaders. This objective relies on a strategy to construct the figure of the author which is based on a very particular kind of rhetoric. Taking as our point of reference the role played by Leopoldo Lugones in Argentina’s Centenary Celebrations, we shall focus on the emergence of Abel Posse’s own figure on the Argentine scene in the early years of the twenty-first century, and on the link between Leopoldo Lugones’s nationalism and Abel Posse’s claim to embody it in the context of the Bicentenary

    « In Search of a Transnational Identity : Carmen Tafolla’s ‘La Malinche’ »

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    Issue d’un congrès de l’Institut des Amériques (IdA) organisé à Aix-Marseille Université sur le thème « Femmes dans les Amériques », la vingtaine d’études réunies dans cet ouvrage examine de quelle manière les femmes écrivains confrontent leur écriture à la représentation d’une « expérience américaine » pour en exposer les anxiétés, les failles ou les parasitages idéologiques et fantasmatiques en recourant à une subjectivité féminine travaillée par l’altérité. L’objectif d’ensemble n’est en aucun cas de circonscrire l’Amérique ou l’américanité à un texte touchant à une essence présupposée de l’identité littéraire américaine mais, au contraire de prendre en compte des expériences locales, régionales ou nationales permettant tout aussi bien de repérer des phénomènes divergents que des processus comparables, des connexions, des circulations ou des interactions. Proposés dans trois langues (français, espagnol et anglais) et organisées en cinq grandes thématiques, ces travaux s’adressent aux enseignants, chercheurs et étudiants désireux d’explorer la diversité et la pluralité des représentations littéraires de l’américanité au féminin, mais aussi de voir de quelle manière elles réinscrivent l’identité du sujet féminin dans des trajectoires mouvantes esquissant une cartographie complexe des Amériques, tant sur le plan culturel et politique que sur le plan épistémologique et éthique. C’est pourquoi, comme le souligne Deb Clarke dans sa postface, lire et étudier ces écrivaines est plus que jamais utile pour décrypter les mécanismes qui régissent la société contemporaine.Les études réunies ici proposent d’examiner de quelle manière les femmes écrivains « dans les Amériques » confrontent leur écriture à la représentation d’une « expérience américaine » pour en exposer les anxiétés, les failles ou les parasitages idéologiques et fantasmatiques en recourant à une subjectivité féminine travaillée par l’altérité. Ouverte à l’hétérogène et encline au déplacement et à la traversée, leur parole singulière rappelle que l’Amérique est avant tout une « invention » (O’Gorman 1961), ce qui en fait le terreau fertile de l’imaginaire, susceptible de donner naissance aux formes les plus déliées de la création artistique ou littéraire comme aux codifications les plus autoritaires du discours officiel et institutionnel. Loin de chercher à évacuer ou à lisser cette dualité, les textes analysés dans ce recueil se l’approprient pour faire jouer les oppositions et les ambiguïtés dans le but de révéler les récupérations symboliques, de faire resurgir les éléments expulsés des constructions historiques et mémorielles, et d’indiquer les potentialités ou les limites de la capacité d’agir (agency) du sujet. D’où l’attention portée par les auteurs de ces articles à l’analyse textuelle proprement dite, au grain de la voix du sujet de l’énonciation, à diverses figures de style (réticence, hypallage, métaphore, allégorie), au brouillage générique, à l’organisation rhizomatique du texte ou à sa texture palimpsestique, à l’acte ou au refus de nommer, ou encore au jeu poétique du vide et du blanc et à l’inscription sur le territoire virtuel de la Toile. Au fil des pages se dévoile toute la richesse d’inventivité de ces écritures d’une « américanité » plurielle, inquiète et résolument mobile dont nous allons tâcher de souligner quelques-unes des grandes lignes de force. Revenons tout d’abord un instant sur la formulation employée pour introduire notre sujet. En effet, faire signe vers le domaine de la littérature des femmes n’est pas un geste neutre et appelle quelques précisions sur les présupposés critiques qui orientent notre réflexion. Les analyses recueillies dans ce volume, pour la plupart inspirées de la pensée poststructuraliste, considèrent la littérature féminine avant tout comme une pratique dans un lieu d’écriture se situant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de systèmes socioéconomiques, politiques, culturels, philosophiques, linguistiques et littéraires largement constitués par les hommes. Elles ne postulent donc pas l’existence d’une écriture substantiellement féminine. Elles ne s’intéressent pas non plus à des thèmes « féminins » tels la domesticité ou le monde intérieur, avec ses sentiments et ses émotions, sinon pour les intégrer à une analyse de l’espace relationnel essentielle à la pensée du fonctionnement politique moderne. Rappelons à ce propos que le changement d’approche de la dichotomie sphère publique / sphère privée dans les littératures nord- et latino-américaines remonte aux débuts des années 1980. Observable chez des écrivaines comme Marilynne Robinson (Housekeeping, 1980) et Sandra Cisneros (The House on Mango Street, 1984), il a conduit au recyclage et au réagencement des tropes, des pratiques et des espaces de la domesticité, ainsi qu’à l’émergence d’environnements « alternatifs » instables et hétérogènes permettant de mieux prendre en compte l’altérité[2]. De manière plus générale, il est également utile de remarquer qu’un grand nombre d’écrivaines américaines contemporaines prennent pour sujet des questions traditionnellement réservées au roman historique classique, comme l’histoire culturelle ou l’identité religieuse, pour les replacer dans un contexte transnational. Tel est le constat que dressait en 2002 l’universitaire de Cambridge et critique littéraire Gillian Beer : « Les femmes ne se limitent plus dans le choix de leurs sujets : désormais, elles n’hésitent pas à écrire sur la guerre, la famille, la communauté, les mutations sociales, le terrorisme et l’histoire. / Women have freed themselves to write more forcefully about much larger networks – wars, families, communities, national change, terrorism and history » (citée dans Showalter 2002). Cet engagement, qui témoigne plus que jamais de la volonté d’apporter une réflexion renouvelée sur le monde, s’appuie sur la notion de genre pensée comme une construction historique, sociale et mentale, et donc un outil d’analyse efficace des rapports de pouvoir. Selon cette approche, le refus d’une conception hiérarchique et trompeuse fondée sur les catégories du « masculin » et du « féminin » est le préalable indispensable à la transformation discursive et sociale des identités, des relations sociales et des relations avec le monde naturel. Le ferment anti-essentialiste de cette démarche pose inévitablement la question du lieu où la littérature croise la question politique. De fait, si de nombreuses écrivaines affirment que leurs constructions fictionnelles participent d’un geste politique[3], des voix se sont élevées pour mettre en question l’efficacité d’une démarche qui, de par son hostilité à l’unité, se rend potentiellement inapte à proposer des moyens concrets d’améliorer la société et de fonder des mouvements collectifs facteurs de changement social[4]. S’agit-il là d’un véritable point d’achoppement ou faut-il voir dans ce constat d’une rupture avec la logique des situations significatives la façon dont la fiction littéraire opère des significations et se donne la possibilité de travailler la politique et d’en redessiner les contours ? Cette question se trouve en filigrane au cœur des préoccupations de la plupart des analyses reprises dans cet ouvrage. Une deuxième remarque concerne le choix d’une perspective hémisphérique. Porter le regard sur le continent américain dans son ensemble ne relève en aucun cas de la volonté de circonscrire l’Amérique ou l’américanité à un texte touchant à une essence présupposée de l’identité littéraire américaine, mais, au contraire, de prendre en compte des expériences locales, régionales ou nationales permettant tout aussi bien de repérer des phénomènes divergents que des processus comparables, des connexions, des circulations ou des interactions. C’est dans ce sens que nous avons préféré la formulation « dans les Amériques », qui suggère une délimitation sans déterminisme, à la tournure génitive « des Amériques ». Il s’agit donc d’envisager les pratiques littéraires de l’américanité dans leur pluralité sans perdre de vue les réalités économiques, culturelles et géopolitiques divergentes des États-nations américains, ainsi que le poids des héritages sur les littératures nationales. Ou, pour reprendre les propos des auteurs d’un récent recueil d’essais critiques sur les relations culturelles et littéraires entre les États-Unis et l’Amérique latine, de « ne pas abandonner le concept de nation mais d’adopter de nouvelles perspectives permettant d’envisager la nation au-delà de ses autofabulations exceptionnalistes. / Not to abandon the concept of the nation, but rather to adopt new perspectives that allow us to view the nation beyond the terms of its own exceptionnalist self-imaginings » (Levander and Levine 2008 : 7). Il serait toutefois réducteur de limiter cette « déterritorialisation » des imaginaires nationaux à l’échelle hémisphérique. Comme les travaux récents des historiens de la littérature nous y invitent, nous souhaiterions les replacer dans l’écheveau des réseaux atlantiques et transpacifiques qui forment l’espace « global » dans lequel ils se sont développés au fil des siècles. Reconsidérer l’histoire littéraire nationale au prisme des dynamiques spatiales permet en effet de mettre au jour « des processus analogiques de convergence et de divergence plus complexes. / More complex, analogical processes of convergence and divergence » (Giles 2011 : 23). La littérature féminine dont ce livre se fait l’écho témoigne d’un désir duel d’ancrer l’écriture des Amériques dans un cadre de référence spécifique tout en déjouant l’assignation identitaire à l’origine géographique. À travers le travail de la fiction, elle reprend les données de la réalité sensible pour en modifier les cadres, les repères et les échelles, et ainsi créer un espace où se nouent de nouveaux rapports et émergent de nouveaux affects. Dans l’écart produit par ce déplacement se dessinent d’autres géographies de l’expérience américaine. L’un des sites privilégiés d’un investissement imaginaire visant à souligner la contingence des récits nationaux, voire leur réversibilité, est la frontière. Cela n’a rien pour surprendre si l’on considère l’importance de la « Frontière » dans la construction du paysage culturel et symbolique nord-américain et latino-américain depuis l’orée du xixe siècle. Rappelons pour exemple l’ambitieux exemple de révisionnisme inversé proposé par Leslie Marmon Silko dans son roman,Almanach of the Dead (1991) : en modifiant la temporalité historique et la réalité cartographique de la région frontalière Mexique–États-Unis, Silko réécrit l’histoire de la région sous l’angle de la porosité transfrontalière et des hybridations raciales (espagnoles, indigènes et africaines). Aux échanges standardisés du capitalisme américano-européen, elle substitue une culture amérindienne fondée sur la transmission orale et dialogique (relayée par une écriture faisant la part belle à la narrativité, aux sonorités et au rythme, et invitant à l’écoute à travers l’introduction d’espaces blancs). Ainsi surgissent des héritages « oubliés » par le discours doxologique fondateur. De manière cruciale, la démarche adoptée par Silko rappelle que l’expansion territoriale des États-Unis à l’ouest du continent, au motif de leur « destinée manifeste », a fait de la frontière non seulement ce « qu’on traverse », mais aussi ce « qui traverse » le sujet et le langage[5], mettant au jour ce qui appartient à l’altérité et à l’hétérogène. Dans cette mesure, elle peut se faire, dans l’écriture littéraire, le lieu métaphorique d’une parole poétique permettant d’évoquer avec le plus de justesse l’expérience de sujets dont l’identité est loin d’être univoque, telle la figure légendaire de la Malinche revisitée par Carmen Tafolla ou celle de la new mestiza contemporaine décrite par Gloria Anzaldúa : Because I, a mestiza, continually walk out of one culture and into another, because I am in all cultures at the same time, alma entre dos mundos, tres, cuatro, me zumba la cabeza con lo contradictorio. Estoy norteada por todas las voces que me hablan Simultáneamente. (Anzaldúa 1987 : 77) Chez ces deux poétesses, le métissage est une dynamique qui projette le sujet de l’énonciation au-delà de l’opposition binaire (ici/là, même/différent, dedans/dehors), mais sans chercher pour autant à résoudre les contradictions ni les ambivalences. Le brouillage des langues (l’anglais et l’espagnol) génère une subjectivité labile, ouverte aux changements et aux mutations. Ici aussi, l’américanité se construit comme une forme de résistance aux interprétations élitistes (patriarcales) et aux rapports de force qui en découlent. Elle ne se veut pas tant expérience de l’« hybridité » (qui est, potentiellement, une autre forme d’essentialisme) qu’exploration de la langue dans son intimité et son étrangeté, à la charnière entre soi et l’Autre. Chercher à approcher l’altérité par le biais de l’intimité est, de fait, un autre trait commun chez les écrivaines envisagées dans ce livre. Sur ce point, il convient toutefois de se garder des poncifs. Dans un entretien récent, la romancière et universitaire canadienne Lori Saint-Martin a ainsi pu s’agacer du fait que le terme le plus utilisé pour parler de la littérature des femmes est l’adjectif « intime », connotant le domaine privé, alors que le « masculin » continue à être considéré, y compris dans les milieux universitaires, comme étant « universel et représentatif » (Saint-Martin 2016). Devant la volonté des écrivaines contemporaines d’inscrire leur écriture dans « de plus vastes réseaux » thématiques et sémantiques, pour reprendre l’expression de Gillian Beer citée ci-dessus, on conçoit l’impatience de l’écrivaine féministe devant une forme insidieuse d’hégémonie (qu’elle désigne par le terme de « manspreading culturel »), de toute évidence dépassée. La preuve la plus flagrante a sans doute été apportée par des auteures comme Anacristina Rossi, María Rosa Lojo, Jayne Anne Phillips ou Bobbie Ann Mason qui, en adoptant directement le point de vue de combattants (hommes ou femmes) engagés dans des conflits armés, ont démontré que l’écriture de la guerre ne peut plus être considérée comme relevant de la littérature « masculine » et que les normes genrées « féminin pacifique » et « masculin guerrier » sont aussi réductrices qu’erronées. Dès lors, le constat établi par Saint-Martin signale-t-il une sorte de double bind ? Ou bien révèle-t-il une erreur d’appréciation sur la place stratégique qu’occupe l’intime dans les choix narratifs des écrivaines du continent ? Pour tâcher de répondre à cette question, il est utile de revenir à la perspective multiscalaire mise en avant par les théoriciens de l’espace littéraire transnational afin d’établir une tension entre divers niveaux d’appréhension du réel (local, national, international ou global) permettant de mesurer la portée de l’acte narratif (individuelle ou collective) et l’importance de certains paramètres (notamment la mémoire et la corporéité). Le « tournant transnational / transnational turn » (Jay 2010) pris par les études littéraires et culturelles au début des années 2000 invite en effet à envisager la production des écrivaines des Amériques à la fois dans leurs frontières nationales et hors de celles-ci, autrement dit dans un espace élargi où l’on peut relever de nouveaux points de contact et transactions. Cette perspective s’avère particulièrement intéressante pour l’analyse critique du travail des auteures binationales ou appartenant à la deuxième génération d’immigrés aux États-Unis (notamment Julia Alvarez, Edwidge Danticat, Alicia Obejas, Sandra Cisneros, Daína Chaviano, Jhumpa Lahiri, Cristina García, Dara Horn ou Gish Jen). D’une part, elle jette un nouvel éclairage sur la mise en relation de cultures locales disparates : si l’on ne s’est longtemps intéressé qu’au lien conflictuel entre ancrage territorial propre à l’exil et nostalgie du pays perdu, l’attention se porte désormais sur leur interaction dynamique. Ceci permet notamment de recontextualiser certaines œuvres dans l’espace hémisphérique transtextuel. À titre d’illustration, on peut s’attarder un instant sur le roman de Sandra Cisneros, The House on Mango Street (1984). L’œuvre de Cisneros établit en effet, à travers la référence manifeste à un roman publié par Nellie Campobello en 1931, Cartucho,une analogie perturbante entre la vie quotidienne d’un quartier latino de Chicago à l’époque contemporaine et celle d’un barrio au temps de la révolution mexicaine. En reprenant le point de vue semi-autobiographique, le type de focalisation et la structuration en vignettes adoptés par Campobello, l’écrivaine mexico-américaine évoque de manière subtile la façon dont un lieu accablé par la violence et la pauvreté peut devenir le site d’une action individuelle et collective à l’impact potentiellement « révolutionnaire ». Selon l’analyse récente de Geneva Gano, l’inscription intime, redéfinie à partir des coordonnées de la perspective transnationale, détermine la possibilité de penser le changement social (Gano 2015). D’autre part, la focale transnationale permet également de ne plus s’enfermer dans une pensée binaire. Ainsi, dans le roman de Cisneros, le rapprochement entre des réalités habituellement supposées distinctes, pour ne pas dire diamétralement contrastées, substitue à l’opposition « nord-sud » (superpuissance états-unienne et tiers-monde ibéro-américain) la mise au jour, à l’échelle hémisphérique, de similarités troublantes et peut-être dérangeantes pour un certain lectorat. En outre, seule une analyse transnationale et globale permet de cerner les interactions de plus en plus complexes entre américanité et migration. Aux problématiques raciales, ethniques et genrées abordées par des écrivaines comme Gish Jen (Typical American, 1991), Yanitzia Canetti (Novelita rosa/Soap Opera, 1998) ou Susan Choi (American Woman, 2003) pour mettre en relief les questions liées à la citoyenneté, à l’affiliation et à l’appartenance politique auxquelles les migrantes sont confrontées dans le pays d’accueil, s’ajoutent désormais celles liées à la circulation et à l’articulation des espaces d’origine, de transit et de destination. Les travaux récents des géographes[6] révèlent que la migration des femmes se conçoit aujourd’hui sous la forme de mouvements de va-et-vient, de retours et de nouveaux départs, dessinant des territoires « plurilocalisés » ou « multisitués », ce qui conduit l’analyse littéraire à imaginer à son tour « des modèles transnationaux prenant en compte l’espace global des déplacements continus et des connexions transcontinentales / transnational models emphasizing the global space of ongoing travel and transcontinental connection » (Friedman 2006 : 906). Dans cette mesure, si des romans commeThe Agüero Sisters (1997) de l’auteure américano-cubaine Cristina García, ou, plus récemment, Americanah (2013) ou Behold the Dreamers (2016), des écrivaines d’origine africaine Chimananda Ngozi Adichi et Imbolo MBue, peuvent être considérés comme appartenant à la « littérature d’immigration », ils gagnent à être examinés sous l’angle des processus sociaux et politiques qui lient des cultures nationales hétérogènes et discontinues en réseaux. Cette approche a pour corollaire direct la remise en cause des notions d’identité linguistique unitaire et de rapport hiérarchique entre les langues : des écrivaines qui, à l’instar de Norma E. Cantú ou Edwige Danticat, pratiquent la traduction de l’anglais vers leur langue d’origine[7]contribuent à la circulation des œuvres dans plusieurs traditions nationales et systèmes littéraires différents. Chez d’autres encore (Julia Alvarez, Ruth Behar), le retour physique et imaginaire vers le pays d’origine amène à une requalification de l’expérience de l’américanité à travers le vécu et la mémoire diasporiques. Cette expérience conduit également à une réinterprétation de la question identitaire envisagée en tant que notion individuelle liée à la volonté et à la conscience, par-delà des contingences strictement géographiques. Convaincus de la portée heuristique de cet imaginaire transnational, de nombreux théoriciens de la littérature ont suggéré que le terme « littérature d’immigration » soit désormais appliqué à toutes les productions composant une culture littéraire caractérisée par une vision hybride, cosmopolite et transnationale de la vie sociale (Walkowitz 2006). Aux États-Unis, certains d’entre eux n’hésitent pas à suggérer un changement paradigmatique permettant de repenser l’ensemble du système littéraire : Plutôt que d’envisager tout ce qui relève de l’écriture littéraire (artistique, musicale, filmique) aux États-Unis à la seule lumière des textes écrits aux xixe et xxe siècles, il serait peut-être plus pertinent de s’intéresser aux connexions avec des phénomènes qui peuvent s’observer en Amérique latine, Asie, Europe et Afrique. What is being written (performed, composed, filmed) in the United States might most purposefully be approached less in connection to nineteenth- or twentieth-century U.S. texts and more in terms of is connections to Latin-American, Asian, European, and African phenomena.(Lauter 2010 : 4) Comme plusieurs études de ce volume le soulignent, un aspect important de cet imaginaire transnational réside en l’originalité d’une démarche testimoniale qui ne se contente pas de conserver la trace d’un moment-clé dans la construction d’un récit national, mais indique, comme on a pu l’observer chez Cisneros, la possibilité de le conjuguer à un autre discours fondateur pour en conjurer la logique identitaire. En transitant d’un territoire à l’autre, la mémoire est, pour ainsi dire, nettoyée de ses scories patriotiques ou idéologiques. Elle porte donc, en puissance, un imaginaire d’échanges de « bon vois
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