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    Le sport et la fabrication du corps

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    National audienceLa position d’extrême visibilité de quelques sportifs de haut niveau prête trop aisément à une analyse qui privilégie une entrée par l’individu auquel on associe, accessoirement, des institutions. Dans cette perspective, le sportif de haut niveau est perçu dans sa dimension singulière comme un être d’exception dans son état de corps, renvoyant « le talent » qu’il manifeste à une sorte d’idéologie du don larvée [2], dont il serait naturellement doté. Ces compétences corporelles, pour partie données à l’état naturel, participeraient alors d’une démocratie des corps susceptible de déjouer les autres hiérarchies en vigueur, notamment économiques et sociales, en bref capable d’annihiler le social. Autrement dit, quelque soit l’origine sociale d’un individu, celui-ci disposerait toujours de ses ressources corporelles pour réussir sportivement, et, tel un formidable pied-de-nez aux pesanteurs sociales dont il peut être victime, se trouver une place honorable dans la vie et dans la société. Ce serait d’ailleurs là un des plus grands bienfaits du sport de compétition que de pouvoir s’affranchir de la réalité sociale pour proposer de nouvelles hiérarchies indexées sur les seules performances corporelles.Bien que cette thèse puisse paraître caricaturale, les relais efficaces ne manquent pour lui donner foi et renouveler son crédit, tout particulièrement parmi certaines fractions d’intellectuels, dont des sociologues, attachés à souligner les marges de manœuvre considérables dont disposeraient les individus pour évoluer en société. Sans faire la liste exhaustive des intellectuels souvent fascinés par l’objet sport, et gagnés par la capacité d’émancipation dont il serait apparemment support, il est possible de citer une réflexion de l’écrivain toulousain Pascal Dessaint qui, dans un roman prenant pour cadre une intrigue policière dans le milieu rugbystique, faisait dire à l’un de ses protagonistes la remarque suivante :« C’était ça qui était bien au rugby, chacun pouvait y trouver sa place, le trapu taciturne comme l’échalas expansif.[…] Dans ce sens, Benoît aimait à dire que, de tous les sports collectifs, le rugby était de loin le plus démocratique. » [3]S’exprime ici le projet de société associé au sport dont la vocation serait au fond de réparer toutes les injustices constatées dans le monde social en permettant au compétiteur de se libérer de tous les déterminismes sociaux et de trouver la place qui lui incombe dans le monde sportif. Ce projet n’est pas limité aux seuls fantasmes du romancier, il se trouve conforté dans une large mesure par des analyses sociologiques qui veulent rappeler la primauté des individus sur les structures et leur véritable capacité d’émancipation vis-à-vis de celles-ci. Ainsi François Dubet pouvait-il expliquer lors du deuxième colloque de psychopathologie du sport tenu à Bordeaux en juin 2008 que :« le sport met en scène une confrontation des principes de justice dans une sorte de théâtre extraordinaire. […] Pourquoi ? Parce que le sport va créer une hiérarchie indiscutable à partir de gens fondamentalement égaux. Quand les compétiteurs entrent sur le terrain, il y a le postulat que tout le monde partage c’est qu’ils sont égaux. Et il y a un postulat que tout le monde partage, c’est qu’on va annuler le social. […] On a une sorte de théâtre qui dit dès que l’épreuve commence, nous sommes égaux. […] Evidemment dans une affaire comme ça, la hiérarchie qui se dessine n’est pas contestable. Et les individus qui gagnent sont fatalement des super individus, des super héros. Pourquoi ce sont des stars ? Parce que ce sont les seuls qui peuvent dire ce qu’on ne peut jamais vraiment dire dans la vie : je ne dois ma victoire qu’à moi-même, je ne dois mon échec qu’à moi-même » [4].Si l’on suit François Dubet, exit les structures, exit les déterminants sociaux de la performance, les sportifs se trouvent en état de totale apesanteur sociale, et jouent leur place dans la hiérarchie selon un mérite strictement corporel et entièrement déconnecté de l’ordre social établi. Pour terminer, on peut également relire une interview récente d’Alain Ehrenberg qui reprend une analyse déjà parue en 1992 [5] selon laquelle :« le sport résout la contradiction entre égalité de principe et inégalité de fait en mettant en scène un individu quelconque qui, par son seul mérite, sort de l’anonymat et se fait reconnaître » [6]Ce détour par cette sociologie, pourtant de renom, veut rappeler ici combien il semble difficile d’échapper à la posture ethnocentrique qui pose en vérité générale un point de vue tout particulier où le sport de haut niveau relèverait d’une production spontanée, indépendamment des structures qui l’encadrent pourtant. La théorie selon laquelle le sport fascine les pratiquants comme les spectateurs parce que son principe de justice remet à plat le donné social constaté ailleurs demeure cependant indémontrable dans les faits. Pure conjecture théorique, elle n’engage que ceux qui la produisent et veulent y faire croire [7] Et les précautions oratoires des deux analystes, consistant à rappeler qu’il s’agit bien de mise en scène ne suffisent pas à masquer l’idée que cette posture fait du sportif le petit entrepreneur de sa propre carrière. Tout cela sert incidemment une vision libérale du projet sportif [8] qui place l’athlète au cœur du système en étant responsable de ses actes, de ses productions comme de ses engagements.Déjouer les pièges de cet ethnocentrisme contribuant à faire disparaître toute production collective au profit de la seule responsabilité individuelle implique donc de renverser la perspective en considérant que le sport de haut niveau est bien le résultat des structures et des institutions chargées de l’encadrement des pratiques. Autrement dit, le sportif de haut niveau n’est précisément jamais un individu quelconque, sorti de nulle part, pas plus qu’il se trouve totalement indéterminé dans la réalisation de ses performances : il participe nécessairement d’une histoire à la fois individuelle et collective dont il convient de faire l’anamnèse avant toute chose. Il ne s’agit pas pour autant de se livrer à une analyse purement structuraliste qui ne privilégierait cette fois-ci que le travail des institutions, mais plutôt de souligner selon les travaux chers à Pierre Bourdieu en quoi les dispositions sportives ne peuvent prendre sens et cohérence que dans un espace structuré à minima qui détermine un ensemble de positions construites par et pour les institutions sportives. Cette approche peut alors contribuer à expliquer la place, le rôle et le traitement réservés effectivement aux sportifs de haut niveau en France, en rien réductible à celui d’une star en état d’apesanteur sociale

    Hic et Nunc : le travail du corps des sportifs de haut niveau, un travail sans lendemain ?

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    National audienceLa démonstration que j'entends développer s'articule autour de trois points principaux. Le premier porte sur le fait que le corps des sportifs de haut niveau est particulièrement exposé à de multiples risques, à l'usure, à la fatigue, et ce, sur le très long terme. Mon propos n'est, par conséquent, pas nécessairement enchanté, il s'inscrit dans une démarche critique qui, sans être radicale, incite parfois à forcer le trait pour en apercevoir les faits les plus saillants. Il s'agit donc dans un premier temps, d'admettre que le corps des sportifs de haut niveau se trouve sollicité à l'excès. Une fois cette réalité admise, le deuxième moment du raisonnement cherche à comprendre pourquoi les sportifs s'adonnent à une pratique aussi intensive, sachant les risques que je viens de caractériser. En dépit de ceux-ci, les sportifs continuent en effet de s'investir dans le sport, et il y a tout lieu d'essayer de comprendre les moteurs d'un engagement a fortiori irrationnel, au moins du point de vue de l'intégrité physique. Dans un troisième et dernier point, je voudrais rappeler les responsabilités des institutions sportives dans la production des performances, dont le rôle, bien que primordial, se trouve régulièrement relégué au second plan au profit d'une vision centrée sur l'individu, son supposé talent, ses qualités ou ses dons personnels 2. Avant de développer ces trois points, je voudrais au préalable dire quelques mots sur ce qui me permet de fonder scientifiquement et sociologiquement ma démonstration. Celle-ci repose sur une compilation d'enquêtes qui, au départ, sont assez différentes dans leur objectif et leur finalité, et ont été réalisées dans des conditions relativement indépendantes les unes des autres. Il s'agit donc d'un assemblage qui butine pour la circonstance dans différentes sources d'enquêtes elles-mêmes menées dans des contextes très différents

    Les jeux olympiques : un modèle de dénégation

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    National audienceInstance de célébration internationale des compétitions sportives, les jeux olympiques font figure de véritable modèle de dénégation. Dénégation, d’une part, des rapports de production et de reproduction de la performance sportive qui font de l’athlète le sujet d’un encadrement multiforme, omniprésent bien que peu montré. Si le sportif apparaît au centre du spectacle, il se situe en fait à la périphérie du dispositif de production. Dénégation, d’autre part, de la dissymétrie des ressources mobilisées par chaque catégorie d’agents (athlètes, encadrement technique, logistique, élus, etc.) pour appréhender les jeux. Cette dissymétrie polarise les plus jeunes, les plus inexpérimentés, les plus fragiles, et les moins dotés socioprofessionnellement, i.e. les athlètes, du côté d’une très forte exposition au risque de la (contre-)performance, et les plus vieux, les mieux insérés, les mieux protégés, i.e. l’encadrement, du côté d’une relative indépendance face aux aléas des résultats sportifs

    Sport de haut niveau ou sport d'élite ? La raison culturelle contre la raison économique : sociologie des stratégies de contrôle d'Etat de l'élite sportive

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    One needs to break off with the common representation of performances as a result of natural abilities in order to grasp "high-standard sport" as a social construction with its own history. The State doesn’t legally acknowledge the status of high standard athlete before 1975, but this acknowledgement is a real turning point : it is the completion of a sports policy developped by the State, which intervenes more and more in the expansion of pratices and more specificially in elite sport. For more than 50 years, public authorities will take care of anything which has to do with sports before imposing a new population wich they control : high standard athletes. This new population replaces the sports coming from clubs. High standard sport and elite sport do not cover the same stakes, and one has to distinguish them before understanding them. By controlling high standard, the State controls the means of production of performances in the same time. But for the athletes, two ways of practising sport are in competition : amateurism and professionalism. The economical mediation implies that the opposition between the 2 practises can be substituted by an opposition between the economical field and the domain of sports, which tends to make practices work as a large market of the sports show, where the elite seems to obey economical dictates. There is therefore a struggle for the control of the elite between the State, who proposes a definition of "high standard sport" based on amateurism, and the economical field which tends to isolate elite in professionalism.Rompre avec la représentation commune des performances comme produit de dispositions naturelles permet d’appréhender le sport de haut niveau en tant que construction sociale avec une histoire propre. Ce n’est qu’à partir de 1975 que l’Etat reconnaît légalement la qualité d’athlète de haut niveau. Mais cette reconnaissance marque une rupture : elle signale l’achèvement d’une politique sportive développée par l’Etat qui, depuis 1936, intervient de plus en plus pour l’expansion des pratiques et plus précisément pour le sport d’élite. Pendant plus de 50 ans, les autorités publiques vont prendre en charge tout ce qui touche au sport avant d’imposer une nouvelle population, celle des athlètes de haut niveau dont elles assument le contrôle, et qui vient se substituer à l’élite sportive précédemment issue des clubs.Le sport de haut niveau et le sport d’élite ne recouvrent pas les mêmes enjeux, et leur distinction est un préalable pour la compréhension de ceux-ci. En contrôlant le haut niveau, l’Etat contrôle aussi le dispositif de production des performances. Mais pour les athlètes, deux manières de pratiquer le sport entrent en concurrence, l’amateurisme et le professionnalisme. La médiation économique suggère que l’opposition entre les 2 pratiques peut être substituée à une opposition entre l’espace des sports et le champ économique, qui tend plutôt à faire fonctionner l’espace des pratiques comme un vaste marché, celui du spectacle sportif, où l’élite paraît obéir aux impératifs économiques. Il y a donc une lutte pour le contrôle de l’élite entre l’Etat qui propose une définition du sport de haut niveau centrée sur l’amateurisme, et le champ économique qui tend à isoler l’élite dans le professionnalisme

    Le billard français d’élite dans le Nord : sociologie d’un syllogisme paradoxal

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    National audienceParmi les ambitions scientifiques que se fixent les sciences sociales, la sociologie s’est notamment donnée pour démarche l’interrogation systématique du sens commun à travers un effort d’objectivation de la réalité sociale qu’elle cherche à saisir. Dans cette perspective, il est souvent judicieux de commencer par relater ce que rapporte le sens commun lié à un objet donné dans le double projet d’en extirper la ou les vérités de bon sens dont il est porteur tout en cherchant à dévoiler l’ensemble des prénotions qui le fondent. De la sorte, le sens commun alterne dans son statut entre forme de vérités populaires significatives des représentations que le monde non savant se fait du monde et objet à déconstruire en tant qu’expression naïve d’une réalité nécessairement bien plus complexe. Dans le premier cas, le sens commun est en quelque sorte un matériel comme un autre qui exprime quelque chose de la réalité et qu’il convient d’interpréter, dans le second il sert de repoussoir contre lequel se fonde le projet d’objectivation scientifique de cette même réalité

    La danse : entre sociologie de l’art et sociologie du sport

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    National audienceA la fois expression artistique et performance corporelle, la danse peut être saisie aussi bien par la sociologie de l’art que la sociologie du sport. Et choisir l’une ou l’autre approche est une question saugrenue de prime abord qui est susceptible de contribuer à reproduire le clivage entre les différentes spécialités sociologiques dont le principe de formation fait référence à un partage historique du champ disciplinaire en chasses gardées plutôt qu’à de réels impératifs épistémologiques . Le dilemme trouve néanmoins en partie son fondement dans ce que la danse met en œuvre du point de vue de la performance corporelle et de ce que cette performance suppose en termes de formation, de construction et de représentation des institutions comme de soi. Aussi la question du choix d’une spécialité, nécessairement mal posée, n’appelle-t-elle aucune réponse mais entend bien ouvrir un dialogue entre deux approches sociologiques relativement cloisonnées de par leurs histoires et leurs objets manifestes, quand on peut espérer qu’elles aient (beaucoup) à s’apprendre mutuellement..

    Paris–Roubaix : l’imaginaire, le politique et le patrimoine

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    National audienceLa conservation et la valorisation du patrimoine sportif, qu’il soit bâti ou non, sont si peu ancrées dans les pratiques des dirigeants politiques ou sportifs qu’une grande partie des équipements ou des événements à caractère sportif ne font l’objet d’aucun entretien particulier, et tombent de fait fréquemment en désuétude par méconnaissance et de leur valeur et de leur intérêt. Ce constat peut être attesté par de nombreux exemples dont le tremplin de saut à ski de Saint-Nizier-du-Moucherotte dans l’Isère, érigé pour les jeux olympiques de Grenoble de 1968 (photos 1 à 3), constitue le symbole emblématique de la relative illégitimité culturelle dont continue parfois de souffrir l’univers sportif en général. Littéralement abandonné des responsables politiques aussi bien que sportifs, cet équipement se désagrège au fil du temps dans un cadre paysager pourtant exceptionnel donnant un point de vue sur Grenoble et la vallée de l’Isère. Faute d’entretien spécifique, d’imagination et de volonté politiques pour le valoriser, l’équipement, non seulement se délite, mais vient littéralement polluer le point de vue du fait même de sa dégradation et soulève de façon criante la question de la réutilisation des installations olympiques après les jeux, à l’heure où de nouvelles candidatures françaises aux jeux d’hiver sont envisagées. Il ne s’agit cependant pas, pour la présente contribution, de procéder à l’inventaire de tous les objets sportifs laissés pour compte, mais plutôt de réfléchir aux conditions de possibilité d’une valorisation patrimoniale de ces derniers. Partant d’un autre cas qui contraste sérieusement avec le destin malheureux du tremplin de Saint-Nizier, celui de la course cycliste Paris Roubaix, ce travail entend proposer des pistes de réflexion sur les éléments qui permettent effectivement de perpétuer l’événement sportif et de préserver ce qui en fait son principal intérêt, à savoir les multiples secteurs pavés qui en jalonnent le parcours. Trois types de propriétés viennent ainsi se conjuguer et faire de cette course un enjeu suffisamment important pour mobiliser les acteurs locaux autour de sa perpétuation : d’une part la forte charge symbolique et populaire de l’événement, d’autre part le travail de mise en scène du monde ouvrier et de l’identité locale qui construisent le récit de la course à la façon d’une épopée, enfin l’espace de luttes et d’influences multiples dont l’entretien des zones pavées fait l’objet

    Travail bénévole et marché du travail sportif

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    National audienceDéplacer les frontières communément admises pour examiner les mondes du sport 1 revient à faire oeuvre de déconstruction des catégories a priori les plus évidentes pour penser ceux-ci. Les mondes du sport opposent en effet de manière contrastée les amateurs aux professionnels, les bénévoles aux travailleurs, les dirigeants aux pratiquants… Ces clivages, par construction sociale, constituent des mondes où les frontières sont érigées symboliquement ou pratiquement pour les protéger et les fermer, et entretenir l'illusion que le sport est la condition de sa propre perpétuation. Dans ce contexte, le travail dans le sport reste une question peu explorée parce que le travail y est nié. Sans doute en raison des conditions sociales et historiques qui ont accompagné l'essor du sport moderne, sans doute aussi parce que les pratiques sportives relèvent communément des loisirs, eux-mêmes construits en opposition au monde du travail. L'observateur est donc amené à concevoir soit le champ sportif comme totalement en dehors du travail, soit le travail sportif comme en dehors de l'acception ordinairement conférée à la notion même de travail. Dès lors, considérer le champ sportif comme un lieu effectif de travail, quelles que soient les formes de ce travail et leurs modes de rétribution, exige une posture qui déplace nécessairement le regard et oblige à reconsidérer les frontières ordinairement en usage. D'abord, les frontières conduisent à penser les mondes du sport comme en dehors du monde social ordinaire. Aussi, penser ce monde comme un monde du travail revient à tenter de l'examiner en dehors du prisme de la passion, de l'illusion communément entretenue et selon laquelle tous ceux qui y sont engagés le sont par la même passion, contribuant à produire de façon récurrente un ensemble iconographique quasi immuable où l'amateur est agi par son amour du sport, le bénévole par son désintérêt, et le professionnel par l'appât du gain, etc. Ensuite les frontières communément admises rendent étanches dans le temps et dans l'espace les différents statuts énumérés au-dessus. Or, si les modalités de participation à ces mondes admettent des positions différentes dans un espace des possibles (amateurs, travailleurs rémunérés versus travailleurs bénévoles), elles admettent également des degrés différents d'engagement (séquences correspondant ou non à des anciennetés). De surcroît, ces différentes positions peuvent aussi être interprétées comme relevant de « carrières plurielles », qui impliquent la possibilité de passage entre des « statuts » compris comme des processus qui ne sont ni étanches ni exclusifs, où le bénévole, l'amateur ou encore le professionnel ne le sont pas d'emblée mais le deviennent. Une des conditions du déroulement et du déploiement de ces carrières suppose alors le cumul (ou la succession) des statuts

    "L’affaire Cécillon". Un grain de sable dans la mécanique sociale du monde rugbystique français

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    National audienceSi la presse s’est saisie du procès de Marc Cécillon avec autant d’empressement au point d’en constituer une affaire, c’est sans doute que tous les « ingrédients » se trouvaient réunis pour caractériser un aspect assez méconnu de la carrière des sportifs, à savoir celui de la sortie du dispositif de performance et régulièrement résumé sous les vocables de reconversion des sportifs de haut niveau. Dans cette perspective, alcoolisme, délitement de la vie familiale et sociale auraient implacablement conduit à la violence conjugale symbolisant en définitive toutes les difficultés de l’après carrière, envisagé comme une sorte de chaos où le sportif se trouve mis en demeure de gérer la fin de la gloire (encadré 1). Ce faisant, la couverture médiatique du procès de Marc Cécillon n’échappe pas à l’expression d’un pathos qui exacerbe notoirement l’idée selon laquelle le sportif de haut niveau ne connaît jamais que deux états : celui de champion à l’acmé de sa gloire puis celui de sportif déchu. En médiatisant l’affaire, la focale par laquelle la presse a choisi de traiter la question a privilégié le thème de la reconversion des athlètes de haut niveau, beaucoup plus que le fait divers singulier auquel ce type de meurtre donne lieu habituellement. Cette vision dualiste de la condition de sportif, où se trouvent polarisées à l’excès la réussite idyllique du rugbyman pendant sa carrière sportive puis sa déchéance quasi inéluctable, fait oublier un aspect essentiel qui permettrait de mieux penser ce que recouvre sociologiquement la « reconversion des sportifs de haut niveau », à savoir la trajectoire sociale globale dans laquelle vient s’enchâsser la période de réussite sportive. Car en effet, ne jamais rappeler que les conditions de sortie sont en réalité le produit d’une trajectoire à penser dans son ensemble, revient à laisser croire que la reconversion n’est jamais qu’un moment, certes critique, d’une carrière affranchie de tous les déterminants sociaux, qui viennent pourtant peser durablement sur celle-ci. Faire de la reconversion, le simple résultat spontané de l’après carrière sportive et déconnecté de toute réalité extra-sportive, revient à faire abstraction de toutes les ressources qui conditionnent expressément ce moment et qui sont étroitement en prise avec toutes les structures sociales qui sous-tendent les pratiques sportives. A titre d’exemple, on ne saurait manquer de remarquer que la reconversion et la réussite économique d’un Serge Blanco, ou d’un Franck Mesnel, font assez largement écho à des dispositions affairistes acquises dans la durée qui font apercevoir que leur entreprise est bien plus le résultat d’opportunités parfaitement orchestrées que de pures improvisations entrepreneuriales. A contrario, on saisit avec quelle naïveté les dirigeants du rugby ont pu tenter de reconvertir Marc Cécillon, pâtissier de formation, dans un univers, celui des affaires, qui lui était proprement étranger. [...
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