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Putting Utopia to WorkThe ecological moralization and the devaluation of associative work
Face aux préoccupations écologiques croissantes et au creusement des inégalités sociales, quelle place occupent les mondes associatifs ? Au croisement des volontés de « faire autrement » et des contraintes de l'économie dominante, que produit l'engagement au travail associatif ? Qui enchante le travail associatif et pour quelles raisons ? Quel impact cet enchantement peut-il avoir sur la valeur du travail réalisé ? L'enchantement opère-t-il sur toutes les positions sociales ? À quelles occasions ce charme est-il susceptible de se rompre ? Pour répondre à ces interrogations nous avons mené une enquête qualitative, par observation participante et par entretiens, dans une dizaine de recycleries et de ressourceries afin de saisir les différentes manières de se rapporter à ce travail associatif au sein d'un espace qui est en cours de structuration. Au travers de cette enquête, nous questionnons la fonction des économies symboliques au sein d'une « économie économique » (Bourdieu, 2017) ou encore capitaliste et néolibérale par le biais du travail réalisé dans les associations. Cependant, le haut degré d'abstraction de ces questionnements ne nous éloigne pas des dimensions concrètes et matérielles de ces enjeux. Ainsi, la question du travail est demeurée la pierre angulaire du raisonnement théorique, son point de départ, son balisage et sa ligne d'arrivée. La thèse montre la mobilisation croissante des associations au service d'une moralisation des problèmes publics. Avec le développement d'une fonction d' « entrepreneuses de morale », elles se font le relais de formes de responsabilisation individualisantes, tant sur le plan de la « sensibilisation » écologique que sur celui de l'« activation » vers l'emploi. Cette moralisation tend à invisibiliser le travail réalisé, ce qui contribue à faciliter sa dévalorisation et son appropriation sous la forme de « coûts sociaux et écologiques évités » à l'État néolibéral et aux entreprises. La thèse illustre également la manière dont le secteur privé lucratif bénéficie de cette moralisation au travers d'une désétatisation et d'une marchandisation de l'intérêt général, qui le place progressivement en position de prétendre au monopole du capital symbolique. La recherche empirique qualitative a toutefois permis de faire émerger des réticences ainsi que des tentatives de résistance et des réticences face à ces logiques. Tout en se gardant d'en idéaliser le poids et la portée, elle se propose d'alimenter la réflexion en faveur d'une réappropriation du travail associatif par ses travailleur·ses.In front of growing ecological concerns and widening social inequalities, what place do associations occupy? At the crossroads of the desire to “do things differently” and the constraints of the dominant economy, what does commitment to associative work produce? Which actors enchant associative work and for why? How does this enchantment impact the value of the work accomplished? Does enchantment operate on all social positions? When is this spell likely to break?To answer these questions, we conducted a qualitative survey, by participant observation and interviews, in ten recycling centers in order to understand the different ways of relating to this associative work within a sector which is currently being structured.Through this survey, we question the function of symbolic economies within an “economic economy” (Bourdieu, 2017), capitalist and neoliberal through the work carried out in associations. The high degree of abstraction of these questions does not distance us from the concrete and material dimensions of these issues. Therefore, the question of work remained the cornerstone of theoretical reasoning, its starting point, its markers, and its finish line.The thesis shows the growing mobilization of associations in the moralization of public problems. With the development of their role as “moral entrepreneurs”, they relay forms of individualizing responsibility, both in terms of ecological “awareness” and that of “activation” to employment. This moralization tends to make associative work invisible, which contributes to facilitating its devaluation and appropriation in the form of “avoided social and ecological costs” to the neoliberal state and businesses. The thesis also illustrates the way in which the lucrative private sector benefits from this moralization through a distatization and a commodification of general interest, which gradually allows it to claim a monopoly on symbolic capital.However, qualitative research has made it possible to bring to light reluctance as well as some attempts of resistance to these logics. While refraining from idealizing its weight and scope, it aims to fuel reflection in favor of a reappropriation of associative work by its workers
Corps au travail, corps travaillés
Le dossier de ce numéro 14 de la Nouvelle Revue du Travail sur « Corps au travail, corps travaillés » interroge la perte d’intérêt des sciences humaines pour le corps au travail : le déplacement du travail ouvrier – lui-même moins pénible physiquement – vers le travail des bureaux et des services a fait glisser les centres d’intérêts de nos disciplines, y compris parce que la fatigue mentale a occupé, au moins en France, le premier plan de nombre de recherches. Enprenant appui sur des terrains contrastés, ce Corpus propose de questionner à nouveaux frais, l’enrôlement et l’engagement du corps au travail. En faisant dialoguer les sociologies du corps et du travail, c’est toute la palette des multiples expressions du corps travaillé qui se déploie : le corps énergie à laquelle renvoie la métaphore du « moteur humain » saisi comme un lieu de projection du pouvoir, le corps sensible vu comme puissance d’agir et rapport pratique au monde, le corps socialisé enchâssé dans les différents rapports sociaux se jouant dans le body work, ou encore, le corps « marchandise » pensé à travers les modes d’appropriation capitaliste dont il peut faire l’objet. Les six articles de ce Corpus rouvrent la boîte noire du corps au travail. Qu’il s’agisse des corps mobilisés par les scaphandriers travaux publics ou par les coursiers à vélo chez Deliveroo qui expérimentent de nouvelles techniques spatio-temporelles. Les corps des éducateurs spécialisés sont engagés à travailler (sur) les corps de « jeunes de quartier » ou d’enfants « intellectuellement déficients » et donnent à voir la variété des régimes de corporéité impliqués dans le travail social. Enfin, les corps des ouvriers de l’industrie et du BTP atteints de cancers ou ceux transformés en échantillons organiques par les biobanques révèlent comment le travail peut franchir les barrières de la peau. Dans la rubrique Varia, la rationalisation de la tournée des facteurs de La Poste a les effets attendus d’une automatisation d’un processus qui ne tient pas compte de la réalité du terrain et surcharge les journées : le remplacement d’un modèle fondé sur la confiance et la négociation chez les fonctionnaires d’hier par une prescription tendue contribue à une détérioration des conditions de travail de salariés aujourd’hui titulaires de contrats de droit privé. Le deuxième article analyse un paradoxe : aux États-Unis et ici à Oakland, ce sont plutôt les ouvriers travaillant dans le bâtiment qui choisissent leur patron ou leur employeur momentané, en raison d’une ethnicisation pratique de ceux-ci, c’est-à -dire par un classement plus ou moins explicite selon leurs qualités de patrons. Le troisième article montre comment des chômeurs sont radiés en Belgique parce que les voies de recherche d’emploi qu’ils utilisent ne correspondent pas aux normes administratives : en l’absence de preuves tangibles, ces pratiques ne sont pas reconnues comme légitimes et disqualifient certains chômeurs aux yeux de l’institution qui les exclut. La Controverse relance le débat sur le travail et l’émancipation. De Marx à aujourd’hui la dispute se situe autant dans le travail qu’au dehors du travail. Quatre spécialistes se penchent sur les perspectives d’une « émancipation laborale », c’est-à -dire sur les possibles ouverts ou à ouvrir dans le travail, à partir des questions extrêmement pointues de la NRT. Au-delà de la simple remise ne cause de l’organisation capitaliste du travail, les auteurs tracent des voies pertinentes et contemporaines d’une émancipation dans et par le travail. La rubrique Matériaux propose et débat autour d’un entretien, très distancié, réalisé avec Marie L. téléconseillère pour une grande mutuelle française. Entre non-reconnaissance, perte de sens, sentiment de déclassement et peur de trouver pire ailleurs, Marie aborde, dans une approche réflexive, nombre de thématiques du quotidien professionnel : rationalisation des opérations, santé au travail, tensions entre temporalités, relations de travail, système d’emploi, etc. Champs et contrechamps interroge deux sociologues à propos du film Nos batailles (2018) : au-delà de la qualité de la description du travail dans un atelier de logistique, le débat porte plutôt sur le rapport travail/hors-travail et plus particulièrement sur le non-partage des tâches domestiques... jusqu’au départ du foyer de l’épouse qui laisse les deux enfants à la charge du père. L’article souligne la cohérence des choix de cadrage et de mouvements de la caméra avec les contenus des séquences et avec les émotions que le réalisateur souhaite faire partager. Ce numéro de la NRT se clôt par une petite dizaine de recensions et de notes de lecture critiques