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Introduction
Les trois parties du prĂ©sent essai, qui portent respectivement sur Flaubert, Sarraute et Pinget, ne sont pas trois monographies mises bout Ă bout, mais constituent une tentative de prendre en Ă©charpe ces trois Ćuvres, sous une forme nĂ©cessairement fragmentaire, pour en proposer un commentaire qui sâorganise autour dâune problĂ©matique unique, celle de lâaliĂ©nation verbale.  Cette problĂ©matique a pris forme au contact de lâĆuvre de Flaubert et, plus particuliĂšrement, de Madame Bovary et de Bou..
I. De lâimpersonnalitĂ© flaubertienne
On peut lire Ă mĂȘme lâĆuvre flaubertienne les traces dâune rĂ©volution esthĂ©tique portant sur la reprĂ©sentation de la parole du sujet. En effet, les personnages flaubertiens souffrent tous dâĂȘtre parlĂ©s par un discours â celui de la sociĂ©tĂ©Â â qui parasite leur parole au point de les empĂȘcher de sây manifester : quand ils croient parler, câest en rĂ©alitĂ© le discours de lâAutre qui sâĂ©nonce par leur bouche Or, ce qui vaut ici pour les personnages, vaut aussi, comme nous le verrons en dĂ©tail, pou..
Conclusion
On peut dire que les trois romanciers qui nous ont retenu cherchent moins Ă sâexprimer personnellement par le truchement de leur Ćuvre quâĂ interroger le Parler comme tel. La parole nâest plus simplement lâinstrument de leur art, elle devient lâobjet principal et mĂȘme exclusif de leur questionnement esthĂ©tique. Ce dĂ©placement est dâune grande importance et marque notamment lâĂ©mergence dâune crise de confiance (qui elle-mĂȘme peut Ă©clairer pour une part le passage de lâĂąge romantique Ă lâĂąge mo..
II. La parole fĂȘlĂ©e
1) GĂ©nĂ©alogie Sâagissant de notre problĂ©matique, une Ă©tude a valeur sĂ©minale, mĂȘme si son langage et sa perspective thĂ©orique sont datĂ©s ; il sâagit de celle de Pierre Bergounioux, intitulĂ©e « Flaubert et lâautre ». LâintĂ©rĂȘt de cet essai extrĂȘmement dense, rĂ©sumĂ© dâune thĂšse, rĂ©side essentiellement dans le fait quâil dĂ©crit ce que lâon pourrait appeler lâontogenĂšse de la poĂ©tique flaubertienne, en analysant le passage, qui est une coupure, entre les Ćuvres de jeunesse et le premier texte pub..
III. Le défaut de tout
Un Ă©crivain, peut-ĂȘtre, nâĂ©crit jamais quâun seul livre, le mĂȘme, sous des formes diffĂ©rentes. Bouvard et PĂ©cuchet sâaffrontent aux mĂȘmes questions que Madame Bovary, essentiellement celle du discours de lâAutre, mais plus frontalement, plus directement et selon une autre perspective. Câest Ă relire ce roman que nous consacrerons ce troisiĂšme chapitre.  On se souvient de la formule de Thibaudet : « A la limite de Madame Bovary, il y a un livre oĂč il nây aurait plus besoin de rien mettre en i..
Les mots des autres
Toute parole collective, quelle quâelle soit, est une fiction, en ce sens quâil nâexiste pas de Sujet collectif susceptible dâen soutenir rĂ©ellement lâĂ©nonciation. Les romans de Gustave Flaubert, de Nathalie Sarraute et de Robert Pinget, sur lesquels porte cet essai, prennent chacun Ă sa maniĂšre ce discours impossible pour matĂ©riau ; ils en Ă©clairent les linĂ©aments, en scrutent les failles, en interrogent les rĂȘves, les fantasmes et la violence. Ce que parler veut dire Ă lâĂ©chelle collective, telle est la rĂ©alitĂ© que lâart romanesque sâemploie ici Ă interroger, supplĂ©ant ainsi Ă un mĂ©tadiscours introuvable sur la nature de ce qui lie les hommes ensemble. Les trois romanciers examinĂ©s cherchent moins Ă sâexprimer personnellement Ă travers leur Ćuvre quâĂ interroger la prĂ©sence et les effets dâun discours collectif a la fois omniprĂ©sent et inconsistant. Le langage nâest plus simplement lâinstrument de leur art, mais lâobjet principal et mĂȘme exclusif de leur questionnement esthĂ©tique. Ce dĂ©placement est dâune grande importance et marque lâĂ©mergence dâune crise de confiance, laquelle peut dâailleurs Ă©clairer en grande partie le passage de lâĂąge romantique Ă lâĂąge moderne : la promotion de la parole Ă lâavant-scĂšne du roman sâaccompagne Ă lâĂ©vidence dâune dĂ©fiance, Ă tout le moins dâune inquiĂ©tude ; le soupçon quâelle Ă©choue Ă exprimer le sujet qui la profĂšre, la dĂ©couverte, au fond, dâune espĂšce dâaphasie au cĆur de la parole, hante en effet les romans de Flaubert, Sarraute et Pinget. Tel que ces Ćuvres lâarticulent, ce soupçon nâa rien dâabstrait ni de mĂ©taphysique ; il concerne Ă chaque fois lâincidence du discours collectif dans lâusage de la parole et donne lieu Ă ce que lâon pourrait appeler une problĂ©matique romanesque de lâaliĂ©nation verbale. Flaubert, incontestablement, marque lâapparition dâune telle problĂ©matique dans les Lettres, inaugurant ainsi lâune des grandes voies du roman moderne et contemporain. La mĂ©thode adoptĂ©e dans cet essai procĂšde par lectures exemplaires et sâefforce de ne jamais sĂ©parer le commentaire critique de lâexigence dâĂ©lucidation thĂ©orique. Ă travers une relecture du premier et du dernier roman de Flaubert et le commentaire de deux romans clĂ©s de Sarraute et de Pinget, le statut du discours collectif est interrogĂ© Ă la fois pour lui-mĂȘme et dans ses rapports avec la parole singuliĂšre, enfin dans ses relations avec le roman comme espace adĂ©quat de sa reprĂ©sentation et de son analyse. Au fil du questionnement et au terme de lâenquĂȘte, il apparaĂźt que la littĂ©rature offre Ă la sociĂ©tĂ© un lieu symbolique oĂč sâentendre et que, ce faisant, elle redonne perpĂ©tuellement sa chance Ă la dissemblance des sentiments intersubjectifs de se manifester sous la paritĂ© des expressions collectives