Résumé : Dans le panorama dynamique et divers des recherches sur les frontières, en géographie comme dans d’autres sciences humaines et sociales, les angles d’approche ont généralement en commun de privilégier le contexte voire la monographie, ainsi que la perspective d’une seule discipline scientifique. Ce constat est en dissonance avec les déclarations de principe énoncées dans les ouvrages de référence sur les border studies, plaidant notamment pour des recherches interdisciplinaires (Brunet-Jailly 2005, Wastl-Walter 2013, Wilson et Donnan 2011). L’objectif est de contribuer à ce débat scientifique dans le cas des frontières nationales européennes. La recherche menée s’inscrit principalement dans trois enjeux scientifiques : -Montrer qu’une approche globale et comparative des espaces transfrontaliers est possible et permet un gain dans la prise en compte des dynamiques frontalières, en contre-point des exercices monographiques généralement menés ; -Montrer l’intérêt d’associer les questions d’aménagement avec les démarches d’analyse spatiale pour améliorer la connaissance des espaces transfrontaliers ; -Resituer l’apport de la géographie par rapport à celui d’autres disciplines scientifiques, dans la mesure où les contributions disciplinaires restent assez largement cloisonnées et où l’interdisciplinarité est susceptible de faire progresser la connaissance. Pour répondre à ces enjeux, la recherche a principalement été menée dans le champ disciplinaire de la géographie et de l’aménagement, avec quelques incursions dans les champs voisins de la sociologie et de la linguistique à travers la participation à des groupes interdisciplinaires. En termes de connaissances des espaces transfrontaliers, plusieurs axes de recherche sont suivis : -Un axe morphologique, en termes des conditions de comparabilité de différents espaces transfrontaliers. Au-delà des contextes caractérisant chaque dyade, le travail a contribué à définir conceptuellement la nature de ces espaces, et à tester différentes options méthodologiques pour la mesure de leurs caractéristiques (espaces situés entre la France d’une part et la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse d’autre part). -Une axe fonctionnel, en termes de mise en relation transfrontalière à travers les flux domicile-travail ou la nuptialité frontalière. Les modalités de mise en relation des espaces soulèvent la question de la cohésion des espaces transfrontaliers, sans cesse soumis à une tension entre appartenance nationale et opportunités liées à la proximité de l’altérité. -Un axe cartographique, en termes de modes de représentation harmonisés pour des espaces hétérogènes. Les différences de maillage entre pays rendent incontournable la question du MAUP (Modifiable Areal Unit Problem). Différentes solutions sont testées, notamment celle du calcul des potentiels dans un voisinage gaussien. -Un axe imaginaire, en termes de l’image que les populations frontalières peuvent avoir de la frontière. En recourant aux cartes mentales et avec une méthodologie d’ordre qualitatif, des investigations sont suivies pour cerner si la « frontière nationale » est une catégorie importante aux yeux d’une population habituée aux transactions entre les deux côtés de la frontière. Au fil de l’avancement de ces axes de recherche, plusieurs pistes sont ouvertes, notamment sur les frontières de la géographie. En effet, les frontières nationales peuvent être considérées comme un sous-ensemble des limites auxquelles sont confrontés les individus, au même titre que les limites sociales ou linguistiques. Un travail interdisciplinaire, nécessaire pour évaluer le rôle et la portée de ces différents types de frontière, a été initié dans le Groupement de recherches transfrontalières interdisciplinaires (GRETI). L’objet de la recherche étant multidimensionnel, la démarche se doit d’embrasser différentes perspectives. Trois entrées ont été suivies : une entrée reliant systématiquement les questionnements théoriques avec la méthodologie, dans le souci d’apporter des éléments quantifiables ; une entrée associant approches quantitatives et qualitatives, afin de combiner les points de vue sur l’objet « frontière » ; une entrée par le travail collectif, à travers l’inscription dans différents réseaux de recherche : -La démarche de recherche se situe principalement dans les champs croisés de l’aménagement et de l’analyse spatiale appliqués aux frontières nationales. Plusieurs concepts géographiques sont envisagés ici, tels que ceux de discontinuité, de polarisation, de cohésion territoriale, d’accessibilité aux services ; ils sont considérés sous un angle à la fois théorique méthodologique. L’interaction est continue entre la théorie et son application, la méthodologie employée ainsi que ses résultats amenant à redéfinir les concepts. Cette démarche nécessite d’une part un travail important d’interrogation de la nature de l’information territoriale, qui est collectée sur une base nationale et suivant des découpages hétérogènes ; d’autre part le test de modes de représentation multiscalaires, dans la mesure où les espaces transfrontaliers sont des lieux où interagissent les logiques locales et nationales. -La démarche articule également approches quantitatives et qualitatives, en considérant que chaque approche apporte des éléments éclairant un angle différent de l’objet, et que leur association est susceptible d’engendrer un gain de connaissance. Cette articulation est opérée à plusieurs moments du mémoire de HDR, notamment entre les chapitres 1 et 2 où une approche littéraire de la revue de littérature (chapitre 1) est complétée par une analyse bibliométrique (chapitre 2). De la même façon, le chapitre 5 livre une analyse quantifiée des réseaux frontaliers à travers une mesure géographique et sociologique du poids des mariages frontaliers ; le chapitre 6 replace ces résultats dans la perspective des représentations des individus, grâce à une analyse qualitative menée dans une entreprise frontalière. -Cette combinaison des angles d’approche et des méthodologies a été rendue possible grâce à la participation à des projets de recherche collectifs. Les appartenances successives ou concomitantes à différents groupes ont largement influencé ce travail, qu’il s’agisse des questions d’aménagement et d’analyse spatiale à l’échelle européenne (dans l’UMS RIATE alors dirigée par Claude Grasland), à une échelle locale / régionale (au CEGUM dans l’équipe de Sophie de Ruffray puis au LOTERR), ou encore des projets transfrontaliers et interdisciplinaires avec le GRETI depuis 2013. Les deux premiers chapitres posent les bases épistémologiques et théoriques de ce travail. Il ressort de la revue de littérature que peu de travaux portent sur les frontières sous l’angle de l’aménagement, ainsi que sous l’angle de l’analyse spatiale. La recherche sur les frontières est de fait très cloisonnée, avec un manque de connections entre les frontières considérées comme objets d’étude (telles qu’elles sont étudiées en géographie, économie ou en sciences politiques) et les frontières comme catégories analytiques (telles qu’elles sont étudiées en sociologie et en anthropologie). Cela légitime le programme de recherche retenu, tout en interrogeant les modalités d’une prise en compte des frontières dans la diversité de leurs manifestations. Les chapitres 3 et 4 contribuent à montrer le potentiel d’une recherche associant analyse spatiale et questions d’aménagement dans les espaces transfrontaliers. Avec l’exemple des espaces situés sur la frontière nord-est de la France (dans un espace allant de Dunkerque jusqu’à Genève), la faisabilité d’une analyse globale des espaces transfrontaliers est testée à travers des concepts d’aménagement tels que l’information territoriale transfrontalière, les discontinuités ou la cohésion territoriale. La méthodologie et les images cartographiques produites contribuent à donner une représentation originale de ces espaces. Les chapitres 5 et 6 abordent la question des frontières de la géographie. A travers une comparaison entre l’approche géographique et l’approche sociologique des réseaux frontaliers, et à travers une analyse interdisciplinaire au croisement de la géographie, de la sociologie et de la linguistique, l’apport et les limites de l’explication d’ordre géographique sont soulignés ainsi que les opportunités du dialogue avec d’autres disciplines pour envisager toute la complexité de ce qui fait frontière