Les communautés d'espèces présentent une grande diversité dans l'espace et le temps. Pour comprendre comment et pourquoi elles varient, il faut saisir comment les facteurs biotiques et abiotiques interagissent. La température est un facteur abiotique majeur : elle induit un fort gradient latitudinal, varie dans le temps, et a des effets directs et indirects à de multiples niveaux d'organisation, de l'individu à l'écosystème. La théorie métabolique en écologie stipule en effet que les taux biologiques dépendent de la température et que cette dépendance se retrouve à des niveaux d'organisation supérieurs. Pour comprendre le fonctionnement des communautés écologiques, il est donc essentiel de saisir les nombreux effets de la température à travers ces différentes échelles et niveaux d'organisation. Dans cette thèse, j'explore comment les espèces et leurs interactions trophiques sont affectées par la température. J'étudie les effets de la température à 1) différentes échelles spatiales, du local au global, 2) différentes échelles de temps, écologique et évolutif, et 3) différents niveaux d'organisation, des populations aux communautés, avec des approches théoriques et empiriques. Pour aborder ces questions, j'utilise la théorie des réseaux trophiques couplée à des relations allométriques pour les processus biologiques.
Dans le premier chapitre, je m'intéresse particulièrement à la dynamique des systèmes consommateur-ressource dans un contexte de réchauffement climatique. J'étudie plus précisément comment des asymétries thermiques dans les taux biologiques affectent la dynamique de ces systèmes. Je dérive une théorie et utilise un ensemble de données sur les sensibilités thermiques (c'est-à-dire les valeurs d'énergie d'activation) pour différents taux biologiques d'organismes terrestres et aquatiques afin de démontrer comment des asymétries dans ces sensibilités thermiques peuvent entraîner des changements dans la distribution de biomasse et le contrôle trophique avec des variations de température. J'utilise deux études de cas pour illustrer 1) l'applicabilité du cadre théorique pour l'herbivorie à l'échelle globale, et 2) la précision et les limites de nos prédictions. Ce premier chapitre permet d'acquérir une compréhension plus mécaniste de la manière dont les propriétés structurelles et dynamiques des chaînes trophiques dépendent de la température.
Sur la base de ce travail sur les systèmes consommateur-ressource, je passe à un niveau de complexité écologique supérieur dans le deuxième chapitre en explorant la dynamique des réseaux trophiques. Dans ce chapitre, j'utilise des données de réseaux trophiques de poissons à l'échelle globale. J'étudie comment les propriétés dynamiques de ces réseaux trophiques varient le long du gradient latitudinal et comment ils sont impactés par un réchauffement des températures. Les résultats suggèrent que le contrôle par les ressources, la stabilité et l'importance des interactions indirectes diminuent avec la latitude. Les principaux facteurs moteurs de ces variations sont la richesse spécifique et la taille corporelle. Ensuite, je simule un réchauffement de 2 degrés, et montre que le réchauffement a un fort impact sur la biomasse des espèces individuelles dans les réseaux trophiques, mais un impact plus modéré sur les propriétés des communautés. Ce chapitre permet de mieux comprendre les facteurs qui déterminent les variations latitudinales dans la dynamique des réseaux trophiques et aide à démêler les effets directs et indirects de la température.
Dans ces premiers chapitres, j'ai étudié les effets de la température sur la structure et la dynamique des réseaux trophiques à des échelles de temps écologiques, plutôt qu'évolutives. Dans les modèles, j'ai utilisé une fonction exponentielle pour caractériser la relation entre la température et les taux biologiques des espèces. Cependant, dans le cas où les espèces s'adaptent à des changements de température, cette relation pourrait être modifiée, ce qui aurait des conséquences sur la structure et la dynamique des communautés. Dans le dernier chapitre, j'ai donc réalisé une expérience évolutive avec des bactéries pour étudier la relation entre la température et leur taux de croissance. J'ai incubé des bactéries à dix températures différentes pour leur permettre de s'adapter à ces températures. J'ai ensuite mesuré la différence de taux de croissance entre les lignées évoluées et leurs ancêtres. Ce travail a permis de démontrer qu'il existe des contraintes sélectives sur le taux de croissance pour certaines souches de bactéries mais que l'adaptation ne surmonte pas les contraintes thermodynamiques. En effet, la forme des courbes de performance thermiques est robuste, aucune des lignées évoluées n'a un taux de croissance optimal à la température sélective. Notre étude démontre que les adaptations thermiques peuvent conduire à une variété de réponses chez les bactéries, mais que de manière générale, les contraintes thermodynamiques sont fortes.
Les résultats de mes recherches apportent de nouvelles connaissances théoriques et empiriques pour tendre vers une meilleure compréhension mécaniste des effets de la température sur la dynamique des réseaux trophiques et ouvre de nouvelles pistes de réflexion. La température a des effets complexes et contrôle de nombreux processus écologiques. Étudier ses effets à différentes échelles spatio-temporelles et niveaux d'organisation est essentiel pour comprendre le fonctionnement des communautés.Abstract : Species communities exhibit great diversity in space and time and understanding how and why they vary requires to capture how biotic and abiotic factors interact. Temperature is one major abiotic factor : it induces a strong latitudinal gradient, varies in time, and has some direct and indirect effects at multiple levels of organization, from the individual to the ecosystem. The metabolic theory in ecology stipulates that biological rates increase exponentially with temperature and that this effect scale up at higher organizational levels. To understand the functioning of ecological communities, it is thus essential to capture the numerous effects of temperature across these different scales and levels. In this thesis, I explore how species and their trophic interactions are affected by temperature. I investigate the effects of temperature at different 1) spatial scales from local to global, 2) timescales from ecological to evolutionary and 3) organizational levels from populations to communities, and use theoretical and empirical approaches. To tackle these questions, I use food web theory that focuses on trophic links among organisms coupled to allometric relationships, that are among the most general quantitative patterns in ecology and have been widely used to develop dynamical models of food webs. In the first chapter, I take a particular interest in consumer-resource systems under warming. I more precisely investigate how they are affected by thermal mismatches in species biological rates. I derive a theory and use a dataset of thermal sensitivities (i.e. activation energy values) for different biological rates to demonstrate how mismatches in these sensitivities can drive changes in biomass distribution and trophic control with temperature. This framework generates predictions of the impacts of warming in terrestrial and aquatic consumer-resource systems and demonstrates that warming should lead to top-heavier terrestrial food chains and stronger top-down control in aquatic environments. I use two case studies to illustrate the framework's applicability to herbivory at the global scale, and to validate the accuracy and limits of our predictions. This first chapter helps to gain a mechanistic understanding of how food chain structural and dynamical properties depend on temperature. Building on this work on consumer-resource interactions, I scale up ecological complexity in the second chapter by exploring food web dynamics. Using a modeling approach coupled to fish food web data at the global scale, I explore how food web dynamical properties vary along the latitudinal gradient and how they are affected by warming. I first investigate how three metrics of community dynamics vary across the latitudinal gradient: I demonstrate that bottom-up control, stability and the importance of indirect interactions decrease with latitude and identify the main drivers of these variations. Second, I simulate a 2 degrees warming, and show that it has a strong impact on individual species biomass in the food webs, but a moderate one on community properties. This chapter provides a better understanding of the drivers of latitudinal variation in community dynamics and helps to disentangle the direct and indirect effects of temperature. In these first chapters, I studied the impacts of warming on community structure and dynamics at ecological, rather than evolutionary, time scales. The relationship between temperature and biological rates is often considered to be exponential. Species might however be able to adapt to changing temperatures, which could modify their response to warming, and in turn the response of the community. In the last chapter, I focus on the population level but consider evolutionary times. I perform an evolutionary experiment with bacteria to investigate how their growth rate varies under thermal adaptation. I measure the difference in growth rate between evolved lines and their ancestors. I demonstrate that there are selective constraints on growth rate for some bacteria strains but that adaptation does not overcome thermodynamical constraints as the shape of the thermal performance curve is robust to evolutionary treatments. None of the evolved lines do have an optimal growth rate at the selective temperature. Our study demonstrates that thermal adaptation can be limited by biophysical constraints on growth. My research findings bring new theoretical and empirical knowledge to tend toward a better mechanistic understanding of ecological dynamics under climate change and opens new avenues for further reflection. Answering this question remains challenging due to the complexity of temperature effects. Studying the effects of temperature at different scales and organizational levels is key in understanding how it impacts ecological processes