Le cheval de papier : étude de la représentation du cheval dans la prose narrative québécoise des origines à nos jours

Abstract

Le cheval est l’un des animaux les plus importants du bestiaire québécois, phénomène sans doute attribuable au rôle important qu’il a joué dans l’histoire du Québec depuis l’époque de la Nouvelle-France jusqu’aux années 1960, période de grands bouleversements sociétaires qui marque la fin de l’« ère du cheval » (Martin Baron). Depuis les origines de la littérature québécoise, la représentation du personnage chevalin dans les récits a connu de nombreuses variations. Ces transformations figuratives reflètent, d’une époque à l’autre, un certain état de l’être québécois, de sa société. Une chevauchée à travers les vastes contrées de l’imaginaire collectif permet d’observer la présence de quatre profils distinctifs de chevaux au sein des fictions. Ces archétypes chevalins correspondent à quatre séries culturelles jalonnant l’histoire de la nation québécoise. Figure iconique des récits historiques du XIXe siècle marquée au fer par l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau, le cheval de la conquête est une monture racée. De luttes en combats, la noble bête et son cavalier cherchent ultimement à vaincre le passé douloureux, celui d’un peuple prétendument « sans histoire et sans littérature » (dixit Lord Durham). Pour sa part, la Grise est cette bonne vieille jument du terroir qui pendant un siècle nous a conduits sagement, vaillamment, religieusement, de la maison ancestrale à l’église du village, en passant par la terre paternelle. Mais un jour, « notre maître, le passé » s’est éteint, et la Grise du chanoine Lionel Groulx, comme celle de tous les écrivains du mouvement régionaliste, nous disant « Adieu », s’en est allée. Survient dans les années d’après-guerre ce formidable basculement du Québec dans la modernité qui coïncide avec un changement important dans la manière de représenter l’équidé. D’entité figurative zoomorphe qu’il avait toujours été (cheval de poils et de crins), il apparaît désormais le plus souvent sous la forme d’une entité figurative anthropomorphe (humain aux traits et allures du cheval). Né de la plume de créateurs téméraires dès les années 1930, mais surtout convoqué durant la période charnière de la Révolution tranquille, le personnage du joual est un cheval « désossé », selon la formule insolente du frère Untel. En faisant de la parole joualisante leur cheval de bataille, les jeunes révolutionnaires de la revue Parti pris dénoncent l’aliénation des Canadiens français causée par une humiliante dépossession politique, économique et culturelle. De leur côté, les écrivains font écho aux intellectuels montés sur leurs grands jouaux en esquissant dans leurs récits des chevaux poussifs, des picouilles malingres, des haridelles ployant sous le poids de leur tragique destin à l’image même du peuple colonisé. Parallèlement à l’apparition du joual, on voit poindre à l’horizon la grande horde des chevaux lâchés en liberté. Quatrième archétype, le cheval libéré surgit des imaginaires débridés sous la forme de personnages chevalins hybrides d’inspiration mythologique, surréaliste ou autre, des personnages humains également (femme-cheval, homme-cheval). Désormais libéré, comme le peuple canadien-français devenu fièrement « québécois », ce cheval de la modernité ne semble plus vouloir être harnaché à aucune convention littéraire ou idéologique. Mais qui sait

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