Cette recherche doctorale en éducation étudie l’activité des professeurs qui discutent des cas en gestion. Cette pratique s’inscrit dans une tradition de plus de cent ans. Toutefois, la discussion de cas représente un défi pour les enseignants puisqu’elle est à la base d’une série de craintes, comme de ne pas être en mesure de maintenir l’engagement des étudiants dans la discussion, de perdre le contrôle du contenu de la discussion ou la peur de ne pas être en mesure de gérer les émotions des étudiants. Une analyse de la littérature effectuée d’un point de vue ergonomique a permis de constater que la recherche antérieure qui a abordé la façon dont les professeurs discutent des cas s’est surtout penchée sur la partie visible de l’activité, soit les moyens mobilisés par ces enseignants, sans toutefois expliquer comment ils font face aux craintes et difficultés qui se présentent pendant leur activité. Ainsi, l’aspect concret de cette activité demeure méconnu et c’est à ce niveau que la présente recherche apporte une contribution.
La présente étude propose un regard théorique original rendu possible par le cadre de la cognition en pratique (Lave, 1988) permettant une analyse fine de l’activité des personnes pour mieux la comprendre. La particularité de cette analyse est qu’elle donne accès simultanément à sa partie visible et invisible, soit à la relation dialectique entre les moyens mobilisés par les professeurs et les fins qu’ils poursuivent, les dilemmes rencontrés et la façon dont ils sont tranchés sur le vif, en situation, par des compromis qui sont provisoires.
Sur le plan méthodologique, la présente étude propose une étude de cas multiples portant sur cinq professeurs de HEC Montréal possédant entre 3 ans et 35 ans d’expérience avec la discussion de cas. Les données proviennent d’entretiens semi-structurés, d’observations filmées et d’autoconfrontations. Ces études de cas se terminent par une analyse transversale permettant de repérer les régularités dans l’activité des personnes.
L’analyse identifie les moyens mobilisés par l’ensemble des professeurs à l’étude qui sont éclairés par les fins qu’ils poursuivent. Un même moyen est déployé dans l’intention d’atteindre une fin et un même moyen peut contribuer à atteindre plusieurs fins différentes. Les cas des cinq professeurs à l’étude montrent comment ces fins et ces moyens se construisent sur la base des contributions des étudiants, dans le vif de l’action et appuient la thèse de Suchman (1987) selon laquelle l’action ne se résume pas à l’exécution d’un plan. Le plan est une ressource parmi d’autres dans la conduite de l’action. Puis, l’étude démontre que les rapports incessants entre les moyens et les fins en cours de discussion de cas exigent un arbitrage constant de la part du professeur puisque certaines fins poursuivies simultanément deviennent contradictoires ou encore parce que le moyen qui s’apprête à être déployé met en péril une fin poursuivie importante pour la personne enseignante. Ceci met les professeurs dans une position de dilemme, ce qui contribue à expliquer, par une explication novatrice, la complexité et les craintes reliées à cette activité. Les données permettent également de comprendre la dynamique interne des dilemmes et la façon les personnes les tranchent. La lecture transversale des études de cas identifie des récurrences dans l’activité des professeurs, soit les moyens mobilisés par tous les professeurs, les fins qui sont impliquées dans les dilemmes, ainsi que les dilemmes typiques. Les conclusions de l’étude permettent de proposer d’autres façons de former à la discussion de cas par l’activité de la personne et celle des collègues. Le cadre de la cognition en pratique et le concept de compromis se sont avérés des outils théoriques appropriés pour comprendre l’activité des professeurs menant des discussions de cas. Le maillage entre ces éléments conceptuels et une proposition au cadre de la cognition en pratique contribue à l’analyse de l’activité