La fabrique du désir féminin : le dispositif de la contrainte dans la littérature contemporaine des femmes (1990-2015)

Abstract

Cette thèse porte sur les représentations du désir tel qu’attribué à des personnages de jeunes filles tirés de romans et de récits contemporains écrits par des femmes et publiés entre 1990 et 2015. Plus précisément, l’analyse s’intéresse à la façon dont les désirs féminins se fabriquent, notamment à partir des schèmes symboliques reconduits dans la diégèse, lesquels « colonisent » l’imaginaire (Roussos, 2007) des sujets qui les reçoivent. L’approche féministe et constructionniste endossée pour aborder la représentation de la sexualité, basée entre autres sur la théorie des scripts sexuels (Gagnon, 1991), montre que les scénarios culturels relayés par les écrivaines contemporaines – qui les mobilisent afin de mieux les critiquer – reproduisent les paradigmes genrés qui soutiennent la perpétuation de la culture du viol, et que c’est bien à partir de ces premiers matériaux fournis par l’environnement socioculturel que le personnage féminin scénarise ses fantasmes et qu’il entre en interaction avec d’autres sujets – ces rencontres étant configurées, le plus souvent, en fonction de la primauté du désir masculin, telle qu’elle est inscrite à même les « fictions dominantes » (Jacob, 2001) intériorisées par les protagonistes. La réduplication, à tous les niveaux de scripts identifiés par Gagnon et Simon (1973) – soit culturel, intrapsychique et interpersonnel –, d’un ordre symbolique fondé sur la suprématie du Phallus comme seul représentant du désir (Benjamin, 1988), incite à aborder le désir féminin sous l’angle de la contrainte, motif occupant une place centrale dans les œuvres du corpus. Afin de prendre la pleine mesure des contraintes imposées aux personnages féminins dans l’économie du désir, la notion de « dispositif de la contrainte » est posée. Celle-ci permet notamment de considérer les multiples façons dont les instances en place travaillent à assigner et à maintenir les personnages féminins à la position objectale, sans pour autant nier la possible résistance des sujets féminins impliqués. L’analyse du dispositif de la contrainte, lequel entrave l’accession des jeunes filles à la subjectivité désirante et sexuelle, permet, par ailleurs, de récuser nombre de présupposés patriarcaux – le plus tenace et, de fait, le plus pernicieux étant que les filles et les femmes désirent être viol(ent)ées. S’érigeant contre la reconduction aveugle de ces mythes, la présente thèse cherche plutôt à lever le voile sur le pouvoir destructeur de la violence sexuelle, laquelle fait partie intégrante du « scénario de la première fois » (Le Gall et Le Van, 2007) tel qu’il est dépeint par les écrivaines du corpus. La première partie présente les prolégomènes théoriques servant d’assises à l’analyse littéraire. Les notions de jeunesse, d’« entrée dans la sexualité », de virginité et de « première fois », entre autres, y sont abordées au prisme de la sociologie des âges et de la sexualité (Gagnon et Simon, Weeks, Bozon, Firestone et Bonnardel), du genre et des rapports sociaux de sexe (Butler, Rubin, Mathieu, Guillaumin et Rich) de même que de la théorie de l’intersubjectivité (Benjamin, Honneth). La suite de la thèse est dédiée à l’analyse du corpus littéraire. La seconde partie est consacrée à l’étude des scénarios culturels de la domination, tandis que la troisième partie se penche sur les actualisations de la contrainte, laquelle opère tant sur le plan intrapsychique (à travers les fantasmes) qu’interactionnel (à travers la rencontre de corps en action). La quatrième et dernière partie se concentre sur les résistances dont font montre les personnages féminins, de même que sur les possibilités d’expression de leur agentivité en dépit des contraintes pesant à leur endroit. Enfin, à l’aune des réflexions présentées, est exposée la principale lacune dans la socialisation des protagonistes du corpus, soit l’absence d’un discours positif sur la sexualité et le désir féminins. À cette lacune s’ajoute le manque de relations privilégiées entre filles, laissant les personnages féminins seuls face à la domination masculine. En dépit des divers scénarios de resubjectivation proposés par les écrivaines, surtout à la fin des récits, il reste que la « première fois » des jeunes filles représentées continue d’être dépeinte négativement

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