En 2014, Alain Guiraudie a publié son premier roman Ici commence la nuit (Prix Sade). Ce roman intervient à un moment opportun dans deux débats qui préoccupent les théoriciens “queer” aujourd'hui. Guiraudie écrit en réaction à l’asexualité ressentie des théories queer et aux accusations d’abstraction, de désincarnation et d’institutionnalisation qui leur sont faites. Il écrit aussi en réaction à la trajectoire principalement dystopique du “queer”, comme illustrée en particulier par le travail de Lee Edelman. Dans ce papier, j’affirme que Guiraudie a un rôle à jouer dans le futur et dans le potentiel de la littérature comme fantasme, pour réinventer les dynamiques du désir et de la pratique “queer”. Je démontrerai que l’originalité de Guiraudie réside dans la façon dont il redonne à l’homosexualité sa part de sexualité en vue de traverser les modalités sexuelles dominantes de relationalité, de monogamie et de narcissisme. À travers la pratique du “cruising”, du sadisme, de la renonciation de soi (rédemption) et de l’ascétisme, Guiraudie explore les contours d’un désir homosexuel durable, au-delà des pratiques sexuelles, de la personne et du corps. Au niveau méthodologique, l’article s’inspire du travail de Leo Bersani et de son concept de relationalité impersonnelle, ainsi que des trois aspects de la jouissance lacanienne : la jouissance comme manque (castration), la jouissance féminine (jouissance comme autre) et jouissance comme lalangue, moteur lacanien de l’inconscient