La doxorubicine (DOX) est un puissant agent antinéoplasique fréquemment administré dans le
traitement de nombreux cancers pédiatriques, notamment la leucémie lymphoblastique aiguë
(LLA). La doxorubicine possède une efficacité démontrée dans le traitement du cancer, mais elle
engendre également un large spectre d'effets cardiaques indésirables. Les changements structurels
du myocarde s'accompagnent de modifications progressives de la géométrie de la paroi du
myocarde du ventricule gauche (VG). La détérioration de la fonction myocardique peut progresser
silencieusement pendant des années et se manifester sans avertissement ou même ne devenir
apparente que longtemps après la fin du traitement. Des doses cumulatives plus élevées de DOX
augmentent le risque d'effets nocifs associés au traitement. La faisabilité de la résonnance
magnétique cardiaque (RMC) a été établie et plusieurs logiciels de modélisation géométrique 3D
du coeur ont été développés pour évaluer la fraction d'éjection, l'épaisseur de la parois, et le volume
télésystolique et le volume télédiastolique du VG. La modélisation par éléments finis (EF) de la
mécanique du ventricule gauche et les stratégies inverses d'identification des paramètres des
matériaux ont ensuite été introduites pour tenir compte du comportement mécanique passif du tissu
myocardique.
Compte tenu de cela, nous avons entrepris une étude visant à analyser en détail les subtils
changements asymptomatiques dans la géométrie et dans la fonction du ventricule gauche chez 84
survivants de la LLA infantile traités par chimiothérapie utilisant la doxorubicine (dose faible à
modérée). Étant donné le grand potentiel de la modélisation numérique du coeur, cette évaluation
a été réalisée à l'aide d'une approche basée sur un modèle EF qui intègre la forme et le mouvement
spécifiques de la chambre ventriculaire directement à partir des données RMC.
84 survivants de la LLA, âgés de 23 ± 7 ans, ont été recrutés prospectivement et répartis en deux
groupes distincts, nommés respectivement risque standard (SR, n = 19) et risque élevé en fonction
du risque de récidive. En outre, les sujets du groupe associé à un risque élevé de récidive ont été
subdivisés en deux sous-groupes selon qu’ils avaient reçu (HRdex, n = 36) ou non (HR, n = 45) la
thérapie cardioprotectrice (dexrazoxane) dans le but de réduire le risque de lésions cardiaques à
long terme. Par ailleurs, à des fins de comparaison, 10 volontaires en santé, d’âge similaire aux
survivants (22 ± 4 ans) et n’ayant jamais été atteints de leucémie aiguë ou de cardiomyopathie, ont
formé un groupe témoin.
Dans le cadre de l'étude de la cardiotoxicité tardive, tous les sujets ont subi une imagerie RMC,
une échocardiographie transthoracique et des tests d'effort. À partir des données RMC acquises, un
opérateur formé a extrait la forme et le mouvement spécifiques du ventricule gauche à l'aide d'un
cadre de points de repère (CIM v8.1, University of Auckland, Nouvelle-Zélande). Les bordures
intérieures et extérieures des parois du ventricule gauche ont été dessinées semi-automatiquement
à partir de six points de guidage placés par l'opérateur, puis corrigés manuellement en cas d'erreurs
d'alignement. À partir de ce tracé, on a calculé la fraction d'éjection, le volume de course, la masse
myocardique, l'épaisseur de la paroi, le volume diastolique final et le volume systolique final pour
chacun des participants de l'étude. Par la suite, la reproductibilité inter- et intra-observateurs des
résultats de la segmentation a été quantifiée par des coefficients de corrélation intra-classe (ICC)
sur quatre reconstructions de 15 survivants du cancer, chacune étant réalisée par quatre opérateurs
formés, et sur trois reconstructions du même sujet, chacune étant effectuée par un seul opérateur.
Pour un sous-ensemble de la population des survivants de la leucémie (n = 48), un modèle 3D
conçu par éléments finis a été utilisé pour calculer la propriété hyperélastique (C1) à partir d’une
stratégie d'identification des paramètres inverses des matériaux basés sur la géométrie du VG lors
de la diastase. Au départ, nous avons supposé des valeurs physiologiquement raisonnables de 0.75,
1.0 et 1.25 kPa comme contraintes de charge de pression pour tous les participants. Une fois les
pressions ventriculaires spécifiques au sujet (au repos et à l'exercice maximal) connues, nous avons
incorporé ces données dans le modèle et répété l'analyse aux éléments finis. Les valeurs résultantes
de C1 ont été notées et comparées entre les groupes pour chacun des cinq scénarios de charge. Les
comparaisons statistiques ont été effectuées par analyse de variance à sens unique (ANOVA) sur
les paramètres géométriques globaux et régionaux et par analyse de variance à mesures répétées
bidirectionnelles sur les paramètres géométriques dépendants du temps. Enfin, une analyse de
sensibilité a été effectuée pour évaluer la dépendance de la propriété hyperélastique de la diastase
et de la pression.
Dans le cas de notre étude, la reproductibilité intra-observateur était bonne pour les paramètres
géométriques régionaux (ICC, 0.60-0.74) et excellente pour les paramètres géométriques globaux
(ICC, 0.75-1.00), alors que la reproductibilité inter-observateur était excellente pour les deux types
de paramètres (ICC, 0.75-1.00). Aucune différence significative entre les quatre groupes n’a été
observée relativement à la fraction d’éjection, au débit systolique, à la masse, au volume systolique
final et au volume diastolique final. Quelques différences de volume épicardique ont été observées,
mais seulement entre la phase finale de la systole et la diastase (p<0.01) à l’intérieur des groupes
HRdex et HV ou SR, et parmi les groupes HV et HR. Il est intéressant de noter que la propriété
hyperélastique pour les pressions standard était légèrement plus faible dans le groupe HR
comparativement au groupe HRdex ou SR et aussi relativement au groupe contrôle (p<0.05). En
revanche, aucune différence appréciable n’a pu être détectée dans la propriété hyperélastique à des
pressions intraventriculaires au repos (p>0.5) et à l’exercice maximal (p>0.6).
Il ressort clairement de cette analyse que les paramètres géométriques globaux et régionaux ne sont
pas suffisamment sensibles pour détecter les changements subtils induits par la cardiotoxicité
tardive de la doxorubicine dans la structure et la fonction du ventricule gauche. Toutefois, les
paramètres globaux dépendants du temps constituent des preuves préliminaires que l’exposition à
la doxorubicin a un effet plus néfaste sur la diastole précoce que sur la systole ou la diastole tardive.
La propriété hyperélastique, plus faible dans le groupe HR, suggère un tissu myocardique plus
enclin à la dilatation si une pression intra-ventriculaire plus élevée est appliquée, comparativement
aux autres groupes d'étude. Cette constatation concorde avec ce qui a été observé chez les
survivants à long terme ayant eu la leucémie adulte et traités par chimiothérapie à forte dose à base
de doxorubicine. Il convient toutefois de noter que ces estimations ne peuvent tenir compte que des
effets géométriques du remodelage du myocarde sur la mécanique ventriculaire passive, puisque
la pression intra-ventriculaire gauche spécifique au sujet n'était pas incluse dans ces simulations.
Des résultats similaires ont été obtenus lors de l'application de pressions intra-ventriculaires
mesurées au repos et pendant l'exercice maximal.
En conclusion, cette étude démontre que la cardiotoxicité subclinique de la doxorubicine peut être
évaluée par l’analyse du comportement mécanique du ventricule gauche sur des images RMC. Nos
résultats doivent toutefois être confirmés par des analyses additionnelles avant d’en tirer une
conclusion solide sur la signification pronostique, à long terme, des altérations de la raideur
myocardique et de leur relation avec le statut de risque dans la cohorte de survivants étudiée ou
dans une cohorte similaire. Il serait très pertinent, dans le cadre d’études ultérieures, d’inclure la
simulation de la mécanique ventriculaire, avec la méthode des éléments finis, pendant la diastole
précoce et la systole afin de mieux analyser les changements de rigidité dans les groupes. Dans le
même but, il pourrait être utile d'augmenter la résolution temporelle des données d'imagerie chez les survivants de la leucémie et les sujets témoins.
Mots-clés : survivants de la leucémie lymphoblastique aiguë, cardiotoxicité induite par la
doxorubicine, imagerie par résonance magnétique cardiaque, rigidité passive du myocarde,
modélisation par éléments finis personnalisée, mécanique ventriculaire gauche.----------ABSTRACT
Doxorubicin (DOX) is a potent chemotherapeutic agent routinely administered in the treatment of
several pediatric malignancies, including acute lymphoblastic leukemia (ALL). Despite its efficacy
to improve the outlook of cancer patients, doxorubicin is known to cause a wide spectrum of cardiac
adverse effects. The structural changes in the myocardium are accompanied by progressive changes
in LV myocardial wall geometry. The deterioration of myocardial function can progress silently
for many years before the manifestation of clinical symptoms and become apparent even long time
after completion of treatment. Higher cumulative doses of this agent increase the risk for late
cardiac complications. The feasibility of CMR imaging has been established and a variety of
software for 3D geometric modeling of the heart have been developed to assess wall thicknesses,
ejection fraction, end-systolic and end-diastolic volumes. Finite element (FE) modelling and
inverse material parameter identification strategies were then introduced to take into account the
passive mechanical behavior of the myocardial tissue.
In light of the above, we undertook a study to assess the asymptomatic changes in LV structure and
function in a group of long-term survivors of childhood ALL treated with low to moderate doses
of doxorubicin therapy. Given the high potential of numerical cardiac modeling, this evaluation
was conducted using a FE model-based approach that integrates the subject-specific shape and
motion of the ventricular chamber directly from imaging data.
Eighty-four ALL survivors (23±7 years old) were prospectively enrolled and stratified into two
different groups, designated as standard-risk (SR, n=19) and high-risk groups, according to their
risk of tumor recurrence. Subjects treated for high-risk ALL were further divided into two groups
depending upon whether they did (HRdex, n=36) or did not (HR, n=45) receive the protective
therapy (dexrazoxane) in an attempt to reduce the likelihood of late cardiotoxicity. Furthermore,
for purposes of comparison, 10 healthy volunteers (HV, 22±4 years), with no prior history of cancer
or cardiac pathologies and similar in age to the survivors, were used as controls.
As a part of the investigation of late-onset cardiotoxicity, all subjects underwent CMR imaging,
transthoracic echocardiography, and exercise stress testing. From the acquired CMR data, a trained
operator extracted the subject-specific shape and motion of the LV using a guide-point framework
(CIM v8.1, University of Auckland, New Zealand). The inner and outer borders of the LV walls
were semi-automatically drawn from six guidepoints placed by the operator at end-systole and then manually corrected for mis-registration errors. From this tracing, ejection fraction, stroke volume,
myocardial mass, wall thickness, end-diastolic and end-systolic volumes were computed for each
of the study participants. After that, inter- and intraobserver repeatability of the segmentation
results were quantified by intra-class coefficients (ICC) on four reconstructions of 15 leukemia
survivors, each by four trained operators, and on three reconstructions of the same subject, each by
a single operator.
For a subset of the leukemia survivor population (n=48), a 3D finite element model was used to
quantify the hyperelastic property (C1) from inverse material parameters identification strategies
based on the LV geometry at diastasis. This biomechanical parameter was initially calculated by
assuming physiologically realistic values of 0.75, 1.0, and 1.25 kPa as pressure loading constraints
for all participants. Once the subject-specific LV pressures (at rest and peak exercise) became
available, we incorporated such data in the model and repeated the FE analysis. The resulting
values of C1 were reported and compared between groups for each of the five loading scenarios.
Statistical comparisons were performed by one-way analysis of variance (ANOVA) on global and
regional geometrical parameters, and two-way repeated-measures ANOVA on time-dependent
geometrical parameters. Ultimately, a sensitivity analysis was conducted to evaluate the
dependence of the hyperelastic property on the diastasis frame and the pressure load.
In our experience, inter-observer repeatability was good for regional geometrical parameters (ICC,
0.60-0.74) and excellent for global geometrical parameters (ICC, 0.75-1.00), while intra-observer
repeatability was excellent for both regional and global parameters (ICC, 0.75-1.00). Groups had
similar LV function values. No significant differences were observed among the four study groups
in ejection fraction, stroke volume, mass, end-diastolic or end-systolic volumes. Some differences
were detected in epicardial volume only between end-systole and diastasis phases (p<0.01) among
the HRdex and HV or SR groups, and among the HV and HR groups. Interestingly, the hyperelastic
property for standard pressures was slightly lower in the HR group when compared against the
HRdex or SR group, and also when compared against the control group (p<0.05). In contrast, no
appreciable difference could be noted in the hyperelastic property for intra-ventricular pressures at
rest (p>0.5) and peak exercise (p>0.6).
From this analysis, it is clear that the global and regional geometrical parameters are not sufficiently
sensitive to capture the subtle changes induced by late doxorubicin cardiotoxicity in LV structure and function. Nevertheless, the time-dependent global parameters provided preliminary evidence
that early diastole was more affected by doxorubicin exposure than systole or late diastole. The
smaller hyperelastic property in the high-risk group suggested a myocardial tissue more prone to
dilatation if increased intra-ventricular pressure is applied than in the other study groups. This
finding is consistent with what has been observed in long-term survivors of adult leukemia treated
with high-dose doxorubicin-based chemotherapy. It should be noted, however, that these estimates
could account only for the geometrical effects of myocardial remodeling on the passive ventricular
mechanics since the subject-specific LV cavity pressure was not included in these simulations.
Similar results were obtained when applying intra-ventricular pressures at rest and peak exercise.
In conclusion, this study demonstrated that the subclinical cardiotoxicity of doxorubicin can be
non-invasively assessed through the mechanical behavior analysis of the LV on CMR images.
Additional investigations will be necessary to confirm our results and draw a firm conclusion about
the long-term prognostic significance of alterations in myocardial stiffness and their relationship
with ALL risk status in this or similar cohort of survivors. In future works, we hope to include the
FE simulation of the left ventricular mechanics during systole and early diastole in order to better
capture the changes in stiffness across groups. To the same purpose, it might be convenient to
increase the temporal resolution of the image data in both leukemia survivors and control subjects.
Keywords: acute lymphoblastic leukemia survivors, doxorubicin-mediated cardiotoxicity, cardiac
magnetic resonance imaging, passive myocardial stiffness, personalized FE modeling, in vivo left
ventricular mechanics