Penser des catégories objectives de classification musicale : l'exemple des intermédiaires techniques

Abstract

Le de\u301bat contemporain autour des formes de la le\u301gitimite\u301 culturelle s\u2019organise autour de deux positions ayant tendance a\u300 s\u2019opposer. L\u2019une, qui trouve ses racines dans les travaux de Pierre Bourdieu sur la distinction (Bourdieu, 1979), insiste sur le lien entre pratiques culturelles et stratification sociale. Par pratiques culturelles, il faut entendre non seulement les objets culturels en tant que tels, hie\u301rarchise\u301s sur le plan de la le\u301gitimite\u301 culturelle inspire\u301e par un ordre de domination sociale, mais e\u301galement et surtout les modes d\u2019appropriation de ces objets culturels, caracte\u301ristiques d\u2019un habitus propre a\u300 une classe sociale, permettant aux pairs de se reconnaitre entre eux et d\u2019exclure les exte\u301rieurs et les parvenus (Coulangeon, 2010 ; Jarness, 2015 ; Schwarz, 2015). La seconde trouve son origine dans les travaux de Peterson & Kern (1996), qui affirment l\u2019e\u301mergence d\u2019une nouvelle forme de le\u301gitimite\u301 culturelle qui trouverait sa source dans l\u2019e\u301clectisme des gou\u302ts plus que dans la mai\u302trise d\u2019une pratique culturelle le\u301gitime (voir aussi Sonnett, 2016 ; Bryson, 1996). Ces deux approches, qui tendent a\u300 e\u302tre oppose\u301es, sont en re\u301alite\u301 assez comple\u301mentaires (Coulangeon, 2003). En effet, on peut voir dans l\u2019approche e\u301clectique des objets culturels une forme d\u2019appropriation culturelle, un modus operandi de\u301coulant d\u2019un habitus de classe. Dans cette perspective, l\u2019e\u301mergence d\u2019une nouvelle forme de le\u301gitimite\u301 culturelle te\u301moignerait d\u2019un changement structurel dans les stratifications sociales. Inversement, la notion d\u2019 \uab omnivore \ubb re\u301pond efficacement a\u300 l\u2019un des de\u301fauts de la the\u301orie bourdieusienne de la le\u301gitimite\u301 culturelle, a\u300 savoir la tendance a\u300 conside\u301rer comme relativement unilate\u301rales et monocordes les pratiques culturelles d\u2019un groupe donne\u301 (Lahire, 2004). Afin de se de\u301tacher de la controverse et de rassembler les deux perspectives, il apparait utile de pointer un de\u301faut commun aux deux approches : le fait que les analyses soient base\u301es sur un de\u301coupage du phe\u301nome\u300ne musical en genres, ce qui implique plusieurs biais. Tout d\u2019abord, un genre musical est une notion floue, une frontie\u300re symbolique (Lamont et Molna\u300r, 2002) dont la de\u301finition est l\u2019objet de luttes sociales. D\u2019un agent social a\u300 un autre, ce n\u2019est pas le me\u302me objet que de\u301signe \uab musique classique \ubb, \uab varie\u301te\u301s \ubb, \uab jazz \ubb, \uab grindcore expe\u301rimental \ubb. Par ailleurs, les travaux sur la pluri-activite\u301 des musiciens (Bureau et al., 2009) ainsi que les ethnographies des mondes musicaux (Rudent, 2008 ; Lehmann, 2002 ; Perrenoud, 2007) montrent que si les genres musicaux sont vecteurs de conventions qui permettent la pratique musicale, ceux-ci ne se transcrivent pas ne\u301cessairement en frontie\u300res sociales, le musicien appartenant d\u2019abord a\u300 son instrument et a\u300 un statut social (comme celui de l\u2019intermittence) avant de s\u2019identifier a\u300 un genre musical. Dans la re\u301ception comme dans la production, la notion de genre apparait donc inade\u301quate a\u300 l\u2019e\u301tude des liens entre stratification sociale et pratiques culturelles. C\u2019est pourquoi nous proposons une autre approche du de\u301coupage du phe\u301nome\u300ne musical qui se baserait sur les travaux d\u2019Edward Kealy (1979). Celui-ci a mis en e\u301vidence un lien direct entre la relation de travail musicien - technicien et l\u2019esthe\u301tique musicale du re\u301sultat de leur collaboration. Il montre que l\u2019e\u301mergence du rock dans les anne\u301es 60-70 est directement lie\u301e aux e\u301volutions de cette relation, et qu\u2019a\u300 trois grands types d\u2019esthe\u301tiques correspondent trois grands types de relation. Malgre\u301 ces re\u301sultats et l\u2019omnipre\u301sence des techniciens dans la production musicale contemporaine, le sujet est reste\u301 tre\u300s peu e\u301tudie\u301. Nous proposons de mettre a\u300 jour ces travaux et d\u2019analyser les liens contemporains qui unissent rapports de travail musiciens-techniciens et esthe\u301tiques musicales, afin d\u2019offrir un regard renouvele\u301 sur les liens entre stratifications sociales et frontie\u300res symboliques

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