International audienceUne évidence reconquiert sa reconnaissance : il y a bien une architecture de terre ! Est-il sérieux d'opposer plusieurs millénaires d'histoire de l'architecture et de la ville fondés sur l'emploi privilégié et universel de la terre et à peine deux siècles d'histoire d'une architecture et d'une ville construites en matériaux « modernes » 1 ? Et pourtant, une telle opposition n'a-t-elle pas été délibérément entretenue pour légitimer le plus rapidement possible l'emploi des nouveaux matériaux vecteurs de l'avènement de cette construction et architecture modernes ? Le rejet de la terre et de son architecture « désuète », des savoir-faire d'un art de bâtir transmis de génération en génération de bâtisseurs, des pratiques d'entraide communautaires, accompagnait la Révolution Industrielle et la redéfinition des enjeux économiques des entreprises profitant d'une fantastique croissance du secteur bâtiment. Le béton et l'acier, fers de lance de cette modernisation de la construction, allaient rapidement remodeler le paysage bâti et aménagé. Pour cela il fallait bien « condamner » les cultures constructives antérieures. Ainsi, par exemple, au siècle dernier, la brique cuite « industrielle » (vs/artisanale), introduite par les maçons italiens à São Paulo, au Brésil, était-elle opposée à la terre crue, très présente depuis le début de la colonie portugaise, comme « le » matériau d'avenir garantissant une construction qualitativement supérieure et durable. Elle contribuait à l'éradication rapide et totale d'une architecture en pisé qui fondait l'urbanité historique de cette ville neuve du Nouveau Monde. Ainsi encore, au début de ce siècle, en France, François Coignet (1814-1888) développait-il le « pisé-béton », qu'il utilisera comme un « bâtisseur lyonnais » en continuité de la culture constructive du pisé (mêmes outils) mais en remplaçant la terre par un mélange de chaux, cendres et scories, introduisant un processus subtile mais irréversible de disparition du pisé, « en douceur ». En effet, ce nouveau matériau se situe dans une période féconde en invention qui verra se succéder de nombreux brevets sur les « pisés de mâchefer », les « bétons agglomérés », les « bétons économiques », les « pierres factices » déroulant le tapis rouge pour l'avènement du béton armé lorsque les cimentiers et le Comité des Forges feront alliance. Les exemples similaires d'un tel processus d'évolution vers une « modernité » des matériaux et de la construction associé à une éradication de la construction en terre sont légion de part le vaste monde. On peut toujours observer ce processus dans les régions dites « en développement » où cohabitent les matériaux et les cultures constructives traditionnels et actuels dans des tissus construits, urbains ou ruraux, en pleine mutation. Mais, ne peut-on pas dire aujourd'hui, sans excès, qu'une telle stratégie de véritable guerre économique visant à évacuer des pratiques constructives millénaires totalement maîtrisées, pour récupérer un vaste marché au profit d'une industrie de « nouveaux » matériaux, se fondait sur une forme de négation de l'histoire de l'architecture, de la mémoire culturelle des peuples bâtisseurs et de « l'existence » de cette architecture de terre pourtant présente sur tous les continents ? N'est-on pas confronté aujourd'hui à une situation similaire avec les promoteurs d'une « world society » 2 qui prônent l'avènement de la « Révolution noolithique »-celle de l'intelligence collective – et de la « noosphère »-la montée vers la convergence et la conscience planétaire ? Une vision d'inspiration teilhardienne, récupérée et « révisée » à dessein, vecteur du néo-libéralisme élogieux de « l'Homo economicus » attribuant à tout ce qui relève du passé les qualificatifs de « néolithique » ou de « jurassique », imposant une homogénéisation des comportements socioculturels et orchestrant un enterrement de la diversité des identités culturelles. Et tant pis pour ceux qui seront largués puisque que toute révolution fait de la casse. N'y at -il pas pourtant, pour garantir ce « développement durable »-nouveau paradigme du 3 ème millénaire – fondé sur une « alliance globale » en faveur de la protection de la biodiversité, l'obligation de protéger et transmettre la diversité culturelle, c'est à dire la mémoire des peuples, véhicule de valeurs et de sens « intangibles » sans lesquelles une société peut exister ? Une diversité culturelle qui ne serait pas l'expression de cultures identitaires « opposables » 1 L'industriel grenoblois Henri Vicat réalise la synthèse du ciment hydraulique vers 1800