Sur les 1700 producteurs de fruits et légumes en Pays de la Loire, 150 (seulement) sont concernés par la production de fruits et de légumes biologiques, dispersés sur les cinq départements. La production de fruits et légumes biologiques est donc une production de niche dont l’importance sur le plan national est faible (6ème région productrice de légumes biologiques). La filière se caractérise par la présence de nombreux acteurs, souvent indépendants, voire isolés. Ce secteur est structuré en micro-filières, mettant en relation souvent directe des producteurs et des grossistes, des distributeurs ou des consommateurs.
Nous retracerons ici les principales caractéristiques des acteurs intervenant sur le secteur : producteurs d’une part et grossistes – transformateurs de l’autre. Puis nous analyserons l’organisation de la filière. Enfin nous proposerons des pistes de développement .
1. Présentation des acteurs régionaux
a- Les producteurs
* La population biologique enquêtée est très hétérogène quant aux systèmes d’exploitation, aux parcours et aux métiers des producteurs. Ceux-ci sont globalement jeunes (38 ans), leur niveau de formation est élevé. Leurs parcours professionnels sont variés : reprise d’une exploitation maraîchère biologique ; installation en agrobiologie, après avoir exercé une activité dans l’agriculture et éventuellement dans la bio. pendant 10 ans ; ou conversion de l’exploitation à mi-parcours, après avoir exploité en conventionnel pendant près de 10 ans. Les motivations de ces producteurs pour l’AB sont de deux types principaux :
- des motivations économiques – les producteurs sont intéressés par la bonne valorisation des produits, par la possibilité d’utiliser la main-d’œuvre et d’augmenter le chiffre d’affaires par hectare. Nous avons qualifié ces producteurs « d’entrepreneurs » ou « d’opportunistes » ;
- des motivations idéologiques et sociales - certains producteurs y recherchent une meilleure reconnaissance professionnelle et sociale. Ils sont attirés par les objectifs de protection de l’environnement et de production de produits sains et bons de la bio.. Parmi ces producteurs nous avons distingué des « contestataires », des « producteurs en relance professionnelle » et beaucoup de « repreneurs professionnalisés ».
Sur le plan des structures et des systèmes d’exploitation, la population d’horticulteurs biologiques est également hétérogène. Les systèmes de production se caractérisent par le degré de spécialisation et par le mode de valorisation des produits :
- Les poly-maraîchers de proximité, représentant 39% de la population enquêtée, vendent en direct, sur les marchés ou à la ferme : ils cultivent un nombre important d’espèces pour répondre à une demande diversifiée du consomma-teur ; ils sont souvent spécialisés en maraîchage. Sans être très techniques ou spécialistes de certaines cultures, ils sont motivés par la vente.
- Les maraîchers et arboriculteurs vendant en gros représentent chacun un quart des enquêtés : ils ont souvent d’autres ateliers sur l’exploitation. Spécialisés dans un nombre restreint de cultures horticoles, ils vendent à des grossistes. Ils ont souvent pu réaliser des investissements importants et sont mieux équipés que les poly-maraîchers.
La production maraîchère peut aussi être assurée par des éleveurs diversifiés ou des Centres d’aide par le travail (CAT).
* La population d’horticulteurs biologiques paraît plutôt dynamique puisque 81% des producteurs formulent des projets. Leur première préoccupation est d’améliorer la rentabilité de l’outil de production. 20% des producteurs souhaitent aussi développer leur production de fruits ou de légumes biologiques : dans un objectif de maintien de l’emploi et de valorisation d’une main-d’œuvre disponible, ou bien avec un souci de réorientation des activités de l’exploitation en fonction de la rentabilité. Cependant, ce dynamisme est parfois le fait d’exploitants en situation précaire : en effet 36% des enquêtés, convertis récemment, expriment des difficultés importantes - techniques, commerciales, de main-d’œuvre ou économiques -, qui pourraient remettre en cause l’exploitation ou du moins sa continuité en bio.. Ce diagnostic entraîne donc une incertitude sur l’évolution à venir de la production des exploitants enquêtés.
En revanche, nous pensons qu’il existe un réel potentiel de développement des conversions ou des installations en horticulture biologique. Les exploitants conventionnels enquêtés constituent une population sensible à l’hypothèse du mode de production agriculture biologique, puisqu’un tiers des enquêtés déclare « avoir déjà pensé à convertir son exploitation à l’agriculture biologique ». Cependant, peu ont aujourd’hui un projet concret de conversion. Les quatre principaux freins à la conversion cités sont : la technique - la conversion constitue souvent un saut technique important et comporte donc de forts risques – l’absence de motivation économique, le surcroît de travail et la nécessité de trouver des débouchés.
Face à la conversion, les enquêté s’inscrivent dans quatre types de logiques :
- des producteurs satisfaits de la valorisation en direct de leurs produits, qui ne trouvent pas d’avantage à passer à la bio, ou pour qui le frein technique est trop important ;
- des producteurs sensibles aux arguments environnementaux, mais qui s’orienteraient plutôt vers l’agriculture raisonnée, moins risquée et plus proche techniquement de ce qu’ils font ;
- des agriculteurs en OP, culturellement sensibilisés à l’agriculture raisonnée, ou déjà engagés dans cette démarche, qui ne voient pas d’intérêt réel à l’agriculture biologique ;
- des producteurs en OP qui souhaitent passer à la bio, mais qui ne veulent pas commercialiser leurs produits par eux-mêmes.
Il existe donc un potentiel significatif de conversion des horticulteurs conventionnels, qui ne pourra s’exprimer que dans un cadre économique structuré, et avec un accompagnement technique important.
b- Les grossistes et transformateurs
* Une diversité de profils d’entreprises
Il est impossible de dégager un profil-type de l’entreprise transformatrice de fruits et légumes biologiques (au sens large, incluant le négoce). Notre enquête a révélé une importante diversité et hétérogénéité des configurations, tant du point de vue de l’histoire du projet productif (origine, motivations, genèse) que de la structuration du système d’offre (organisation de l’activité, taille, relations avec les acteurs amont et aval de la filière…) et de l’offre (couple métier/mission, choix d’activité et des prestations).
Le tissu d’entreprises transformatrices de produits Bio est essentiellement composé de PME voire de petites entreprises et très petites entreprises.
Les non spécialisés ont intégré le bio pour des raisons essentiellement économiques, comme levier possible de croissance alors que les spécialisés expriment, en priorité, des raisons éthiques, ce qui n’empêche pas la présence de mobiles économiques et la volonté d’engager des projets de développement respectueux de leurs principes.
L’éthique de la Bio constitue en quelque sorte un critère de reconnaissance et/ou d’exclusion, il apparaît donc difficile de considérer globalement ces acteurs, car ils se revendiquent de courants ou d’approches différentes de la bio. Il existe donc des niveaux et des repères multiples de légitimité.
* Nous constatons une très large diversité des stratégies affichées par les entreprises. Les non spécialisés bio ont en majorité un projet individuel, motivés par des objectifs économiques (croissance, conquête de nouveaux marchés….). Les projets productifs s’appuient sur une structure industrielle ou néo-artisanale existante, dans laquelle le bio n’est qu’une déclinaison de l’activité. Les spécialisés Bio ont des projets productifs, à dominante artisanale et individuelle, et très intégrés (c’est à dire intégration de toutes les phases du process de transformation) ; il n’existe aucun outil industriel de transformation.
* Orientations stratégiques et projets de développement
Le bio n’est pas une priorité pour les non spécialisés, qui cherchent peu à le développer de manière offensive et proactive; certains étudieront les demandes éventuelles de leurs clients et de la grande distribution (par exemple, produits bio sous MDD).
Les spécialisés bio récemment installés consolident d’abord leur activité avant de se développer de manière modeste . Les plus anciens, ayant les moyens et l’opportunité de se développer, s’engagent dans des activités de diversification de leurs produits (élargissement de leur offre de produits transformés) et vers des marchés hors région.
2. une filière inorganisée
* La vente directe et le gros : les deux univers du secteur des fruits et légumes biologiques
Le mode de distribution de l’offre structure le secteur des fruits et légumes biologiques en deux « univers » :
- L’univers de la vente directe. Il concerne presque tous les producteurs, mais pour les deux tiers d’entre eux, c’est le principal mode de valorisation des produits. Ainsi ces acteurs sont des producteurs-détaillants. Ce sont souvent des professionnels indépendants, qui organisent leur système de production de manière à offrir à leurs clients une gamme satisfaisante. Toutefois, un tiers de ces producteurs-détaillants s’organisent à petite échelle pour la vente (complément de gamme, gestion coordonnée des transports).
- L’univers du gros et mi-gros. Il concerne 20% des horticulteurs biologiques. Ici, les fruits et légumes sont vendus à des grossistes, des distributeurs ou des restaurateurs. La plupart des producteurs développent des circuits spécifiques en direct, alors que d’autres délèguent à une OP ou à une coopérative la vente de leurs produits. Cependant, la délégation de la vente reste un comportement minoritaire.
Dans tous les cas, les producteurs semblent très attachés à leur liberté commerciale. Nombreux sont ceux qui souhaitent que la filière s’organise d’avantage, mais presque aucun producteur ne souhaite adhérer à une OP ou perdre sa liberté de négociation.
* Forces et faiblesses des organisations de producteurs pour l’activité de vente en bio.
Pour toutes les OP et coopératives engagées dans la vente de fruits et légumes biologiques dans la région, cette activité est minoritaire : elle représente de l’ordre de 1% de l’activité de la structure. Aucun agent n’est spécialisé dans la vente de produits biologiques. Ainsi, ces acteurs souffrent souvent d’une méconnaissance du marché des produits biologiques et des circuits existant.
Les stratégies des acteurs sont orientées en fonction de conceptions divergentes du rôle d’une organisation de producteurs d’une part et de la conversions à l’agriculture biologique de l’autre.
- Ainsi certains acteurs sont guidés dans leurs dynamiques par les valeurs de liberté de choix des producteurs et de devoir d’accompagnement de l’organisation de producteurs. Ces acteurs suivent les producteurs adhérents dans leur démarche en agriculture biologique et n’ont donc pas nécessairement de connaissance préalable du marché des produits qu’ils assument de vendre.
- D’autres acteurs sont avant tout guidés par la volonté de répondre aux demandes du marché afin d’assurer une bonne valorisation des produits des adhérents. C’est parce que leurs clients leurs demandent des produits biologiques qu’ils accompagnent les producteurs dans leurs démarches de conversion. Ces acteurs ont un rapport au marché et une conception de l’agriculture biologique de type plus entrepreneuriale que les précédents.
* Un effort de structuration à travers Bio Loire Océan
Une association régionale, Bio Loire Océan, regroupe une trentaine de producteurs de fruits et légumes biologiques. Ses objectifs affichés sont d’une part de réguler le fonctionnement du marché et d’assurer une bonne valorisation des produits, et d’autre part de construire une image des fruits et légumes biologiques des Pays de la Loire autour des notions de savoir faire et de qualité. A ces fins, l’association développe un outil pour améliorer la circulation de l’information commerciale et technique : la constitution de réseaux de producteurs par culture autour de référents identifiés.
Ce projet est une réponse à l’attente des producteurs indépendant : il leur donnera un outil d’information et d’aide à la décision commerciale et technique sans pour autant limiter leur liberté commerciale. Cependant ce dispositif soulève plusieurs questions :
- Comment impulser une déontologie commerciale commune efficace et une image de qualité des produits régionale sans inciter tous les intervenants à adhérer à l’association ?
- Comment concilier un objectif de régulation du marché et la préservation des libertés de négociation commerciale des producteurs ?
- Quid du développement des débouchés et de l’accueil de nouveaux producteurs ?
* Les acteurs de l’aval soulignent également les difficultés inhérentes au manque de structuration actuel de la filière. Les relations avec l’amont de la filière soulignent le très faible degré de structuration de la filière Fruits & Légumes. Chaque acteur apprend progressivement à « se débrouiller », en gérant les contraintes au fur et à mesure qu’elles se présentent (recherche de fournisseur hors région, changement de fournisseur pour se « dépanner », recours ponctuel ou régulier à l’importation…). Dans ce contexte de tensions, ces pratiques contribuent à favoriser la multiplication des intermédiaires et l’augmentation des coûts d’achats des matières premières. La prédominance des relations d’approvisionnement « en confiance » est liée aux petites volumes et aux difficultés de lisser l’activité de transformation Bio.
3. Enjeux et perspectives
La structuration actuelle de la filière fruits et légumes est encore très émergente ; malgré quelques initiatives récentes on ne peut pas réellement considérer qu’une démarche constructive soit engagée et animée sous l’action des acteurs du secteur de la production et de la transformation.
Aujourd’hui plusieurs scénarios de développement de la filière peuvent être envisagés : le repli, la stabilité, la croissance. La réalisation de ces scénarios dépend de l’évolution du marché mais aussi (et surtout) de la structuration de la filière autour d’acteurs moteurs et de projets de développement collectifs.
Il nous semble que les acteurs de la filière sont aujourd’hui confrontés à plusieurs enjeux dans une perspective de développement :
- Le développement de structures fédératrices pour construire et gérer les relations au sein de la filière ;
- La construction d’une offre de soutien et de formation dédiée, pour favoriser le développement de compétences techniques et rompre un certain isolement des acteurs ;
- Le développement d’une dynamique régionale par la construction d’un espace de cohésion autour de stratégies partagées ;
- Le soutien des acteurs dans la recherche d’avantages concurrentiels durables et défendables