Les paysans chercheurs du Kîvu

Abstract

Au Kivu, des paysans se sont organisés en brigades agricoles autour de thèmes très concrets pour trouver eux-mêmes, à leur rythme, des solutions à leurs problèmes. Les populations rurales africaines ont été soumises depuis les indépendances à diverses propositions de schémas de développement agricole. Parfois contradictoires, ces orientations n'ont pas favorisé un réel démarrage de l'agriculture paysanne. Lheure est venue à présent de définir une nouvelle approche qui tienne vraiment compte des réalités sociales, économiques et politiques vécues par les paysans. C'est dans cette perspective qu'ont été conçues, les brigades agricoles du Kivu, à l'est du Zaïre. Plusieurs constats sont à l'origine de cette expérience de recherche-action menée depuis quatre ans au sein d'une ONG, l'ADI-Kivu (Actions pour le Développement intégré au Kivu). Tout d'abord, malgré leur richesse et leur variété, les pratiques paysannes ne sont que fort peu diffusées, même si elles sont techniquement intéressantes. Il fallait donc trouver un cadre susceptible de les valoriser davantage. Second constat : les différents intervenants en milieu rural (ONG, églises, organismes publics) ont rarement perçu les problèmes de manière globale. Chacun ne s'intéressant le plus souvent qu'à un seul aspect (culture, élevage, santé, artisanat...), alors que toutes ces activités sont interdépendantes, aucune de ces solutions sectorielles n'a pu être pleinement efficace. Troisième constat : le paysan a trop longtemps été considéré comme un consommateur des produits de la recherche et non comme un partenaire de celle-ci, capable de cheminer avec le scientifique pour résoudre avec lui ses difficultés. Au Zaïre, par exemple, les centres de recherche recèlent du personnel compétent, formé dans les plus grandes universités du monde. Mais ces chercheurs, affectés le plus souvent à la recherche fondamentale, ne disposent pas du cadre qui leur permettrait de mettre leur savoir à la disposition de la communauté. Il faut donc les sortir de ce carcan pour les rapprocher des paysans. La logique ancienne du technicien détenteur du savoir et du paysan ignorant doit aussi disparaître, les deux acteurs devenant conscients de leur apport mutuel. Le technicien doit enlever sa casquette de spécialiste et parler d'égal à égal avec le paysan dont il est chargé de valoriser les connaissances par son savoir technique. Le résultat de ce travail en commun sera un produit hybride, ni purement paysan, ni purement technicien. Les brigades agricoles du Kivu, créées pour remédier à tous ces inconvénients, offrent une vision beaucoup plus large des réalités paysannes. On ne peut, en effet, prétendre à une bonne production uniquement en insistant sur l'usage d'intrants ou en apportant des techniques aussi performantes soient-elles. Une fois ces blocages identifiés, il faut savoir qu'ils ne seront pas résolus d'un seul coup. Lagriculteur part d'un problème qu'il considère prioritaire pour aborder progressivement les autres questions qui s'y rattachent. Il doit de ce fait être libre de sa stratégie et bénéficier d'une planification souple, adaptée à sa situation. Ainsi, le développement ne saurait se faire au rythme imposé par l'afflux de l'argent du Nord. Un projet se concrétise peu à peu, au fur et à mesure que ses bénéficiaires assimilent les principes et les normes de gestion. Une telle évolution n'est possible qu'au sein de groupes organisés, de collectivités paysannes solides et bien gérées. C'est ainsi que dans la région de Kavumu, cinq cents producteurs de café se sont organisés en brigade agricole afin d'améliorer leurs pratiques culturales, de rechercher des marchés plus rémunérateurs et de trouver des accès au crédit agricole. Dans la région de Katana, un groupe s'est attaqué au problème de la cochenille du manioc, puis au jaunissement des feuilles de haricot. Ensuite s'est posée la question de la constitution d'un stock de haricots pour la semence. Le groupe pharmacopée a, lui, évolué vers la santé des petits ruminants. Une autre brigade a travaillé sur le développement de la culture de pomme de terre en relation avec l'INERA (Institut National pour l'Etude et la Recherche Agronomique) à Mulungu. Dans le Bushi un groupe s'est engagé dans une recherche-action et dans la collecte de données sur l'élevage de la chèvre en stabulation. Cette activité a suscité dès le départ une réflexion globale autour de la question : « Comment la chèvre peut-elle contribuer, sous toutes ses formes, à améliorer les conditions de vie des éleveurs ». Le groupe a commencé sa recherche par l'installation des étables puis s'est intéressé aux maladies, notamment celles liées à la nutrition, à la qualité du fourrage, etc. Les membres de cette association d'éleveurs de petit bétail continuent à se rencontrer une fois par semaine pour les travaux collectifs (construction à tour de rôle des étables) et pour réfléchir et programmer les activités à mener... Lorsqu'un cas de maladie se déclare chez l'un des membres, il mobilise quatre ou cinq de ses voisins pour faire ensemble le diagnostic et trouver des remèdes. Les opinions émises dans cette tribune libre n'engagent que leurs auteurs. Elles ne sauraient être attribuées au CTA.Au Kivu, des paysans se sont organisés en brigades agricoles autour de thèmes très concrets pour trouver eux-mêmes, à leur rythme, des solutions à leurs problèmes.Les populations rurales africaines ont été soumises depuis les indépendances..

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