National audienceLes gestes de pause et d'hésitation dans le discours politique. Isabelle Guaïtella - CNRS Laboratoire Parole et Langage & Groupe de Recherche Geste et Voix Cette étude s'intègre dans un projet de recherche global sur la multimodalité du discours politique (Guaïtella, Lagrue, Santi, 2008, Guaïtella, 2015). La similitude entre pause et hésitation réside dans l'interruption du flux verbal, mais si l'hésitation vocale marque une recherche cognitive portant sur l'expression verbale à venir, la pause silencieuse dispose de plusieurs fonctions potentielles (Goldman-Eisler 1968, Butterworth & Goldman-Eisler, 1979, Piolat 1983, Davis & Léon, 1989, Guaïtella, Autesserre & Nishinuma, 1990). L'activité kinésique sur les pauses silencieuses et sur les hésitations vocales diffère : plus structurée sur les pauses, plus abondante et désynchronisée sur les hésitations. Les pauses, équivalentes à des ponctuations, vont structurer le discours, et, lors de la pause, les évènements kinésiques vont structurer celle-ci et servir d'articulation discursive. Corpus et méthode Le corpus est constitué de discours télévisés, et d'entretiens avec des journalistes, télévisés ou filmés lors de radiodiffusion. Une durée comparable de 10 minutes a été relevée pour chaque prestation. Les hommes politiques étudiés sont soit président de la république, soit ministre, soit leader de leur parti. Il s'agit de : Ch. De Gaulle, G. Marchais, F. Mitterrand, J. Chirac, N. Sarkozy, F. Hollande et J.M. Ayrault. Nous avons relevé des pauses silencieuses (10 chez chacun de nos locuteurs - 70 cas en tout), et examiné des hésitations à titre comparatif. Au niveau kinésique, nous distinguons mouvement et « posture » : des lèvres ouvertes sur toute la durée de la pause vont être une « posture », mais si elles s'ouvrent à un moment de la pause, ce sera un mouvement. Ainsi, les démarrages ou changements de sens sur la durée de la pause sont considérés comme mouvements. Sont pris en compte les fermetures/ouvertures labiales et oculaires, les mouvements des sourcils, tête, buste, bras-mains. Durée des pauses On observe que les durées de pause sont les plus importantes en situation de discours, et les moins importantes en situation de débat journalistique plus polémique, les valeurs intermédiaires étant celles des entretiens avec des journalistes. Diversité de l'activité kinésique Nos locuteurs présentent une importante diversité dans la quantité d'activité kinésique - parmi ceux considérés usuellement comme plus mobiles, GM et NS ont plutot une moyenne basse de mouvements, CDG ou JC à l'apparence relativement calme, ont plutot une moyenne haute. Les « postures » Inversement les « postures » de pause de NS ou GM sont importantes : bouche souvent franchement ouverte pour GM, ou bras levé(s) en suspens pour NS. Ces gestes peuvent également être perçus comme des « arrêts sur image » et marquer d'autant plus l'auditoire. Styles kinésiques et évolution socio-historique L'utilisation des paramètres kinésiques chez les hommes politiques étudiés comporte des tendances, stylistiques et marquées par l'époque, telles que l'utilisation mitterrandienne (également chez FH et JMA) du clignement oculaire, ou encore les mouvements de sourcils utilisés par CDG, GM ou JC, qui constituent un marquage de proximité avec l'interaction et la communication quotidienne, et qui tendent à se raréfier à notre époque. L'utilisation des 2 mains, ou uniquement la droite ou la gauche, également de la posture de mains préférentiellement au mouvement, paraît liée à la fois aux options politiques et à l'évolution socio-historique (voir également Calbris, 1997). L'utilisation des 2 mains, connotée comme plus explicative, laisse place à une seule main (plutôt la droite) à valeur plus directive. Conclusion La pause correspond à une recherche de confort, qui peut assoir le pouvoir (Duez, 1991), mais aussi à une prise de risque : se faire interrompre ou perdre l'attention de son auditoire. On observe deux stratégies : d'une part structurer sa pause au niveau kinésique (marqueurs de reprises de parole tels que les mouvements de sourcils ; postures en suspens - bouche ouverte, bras levé immobile... - qui ont la fonction de maintenir le discours) ; et d'autre part réutiliser habilement en contexte marqué les indicateurs standards de pause et d'hésitation pour les décharger de leur connotation usuelle (tels que fermeture/ouverture des yeux chez FM, mouvements latéraux du buste et épaules chez NS...), et pour renouveler la dimension expressive (Bally)