In June 2006, the Musée du Quai Branly acquired an exceptional piece of sculpture by the Abelam, a people who inhabit the Maprik region along the river Sepik in Papua-New Guinea. They are known for their extremely rich artistic production and for their very large ceremonial houses. The earliest studies of Abelam material culture led to the development of numerous concepts essential to the understanding of Oceanic Art and to the anthropology of art in general. The study of the iconography and nature of this piece allow us to reconsider some of these fundamental concepts. The acquisition of this polychrome work, finely sculpted on both sides, has significantly enriched the Oceanic collections of the Musée du Quai Branly

Coupaye, Ludovic

Rolland, Anne-Solène

Coupaye, L

Rolland, A-S

UCL Discovery

ÉTUDES74 2 - 2007  LA REVUE DES MUSÉES DE FRANCE. REVUE DU LOUVRECette pièce1 a probablement été collectée avant laSeconde Guerre mondiale. Elle a appartenu au marchandErnest Ascher, galeriste d’origine tchèque, installé à Paris,rue des Beaux-arts, dans les années trente et quarante.Spécialisé dans les pièces antiques, il vendait aussiquelques pièces d’arts dits « nègres », et comptait parmises clients son ami Picasso. Pendant la Seconde Guerremondiale, c’est à Pierre Vérité qu’est revenue la gestion dela galerie, tandis qu’Ernest Ascher se réfugiait en zonelibre2. La pièce a été acquise par le musée du quai Branlyen juin 2006 lors de la vente à l’hôtel Drouot de la collec-tion de Pierre Vérité.Entièrement sculptée sur les deux faces, cettelongue « planche » porte à chaque extrémité un person-nage, féminin d’un côté, masculin de l’autre, chacun sur-monté d’un oiseau (fig. 1). Orientés dans des directionsopposées, ils ont les jambes tendues et les bras le long ducorps. Ils sont représentés portant des ornements (col-liers, bracelets, jupes de fibres). La frise est sculptée surune pièce de bois de faible épaisseur, où le personnagemasculin est davantage en relief, présentant des formesplus pleines que son partenaire féminin. Entre les deuxfigures, une partie centrale est décorée de motifs sinusoï-daux, au centre de laquelle est sculpté un petit person-nage de sexe féminin, les bras et les jambes pliés (fig. 2).Sur la face opposée, on trouve la même iconographieinversée ; un homme s’adosse à la femme, une femme àl’homme (fig. 3). On retrouve également l’équivalent dumême personnage central (fig. 4). L’une des faces aconservé une polychromie composée de pigments rouges,blancs et noirs. L’autre face ne conserve que quelquestraces de cette polychromie.Brigitta Hauser-Schäublin, ethnologue allemande spé-cialiste des Abelam, attribue cette pièce à la région duvillage de Waignakum, à l’est de la zone Wosera ; cetteattribution est, d’après elle, indiquée par la forme de lafigure centrale, et le traitement particulier des visages,peints en blanc3. Les Abelam, connus pour la richesse deleurs productions artistiques (architecture, peintures etsculptures), sont des cultivateurs de tubercules,notamment d’ignames, qui vivent dans des villages instal-lés sur les contreforts de la chaîne du Prince Alexandreet dans la plaine qui s’étend vers le fleuve Sepik, dans lenord de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.Les représentations de couples dans la sculpture AbelamCes représentations de couples sont fréquentes dans lasculpture Abelam. Elles sont souvent identifiées commedes représentations des ancêtres, qui sont au cœur dumonde rituel et social Abelam. En effet, chaque clan estassocié à un esprit tutélaire identifié, son nGwaalndu,et les esprits des morts, qui octroient fertilité et prospé-rité, sont très présents. À cet égard, les premièresétudes de la culture matérielle des Abelam ont permis ledéveloppement de nombreux concepts, essentiels pourla compréhension des arts de l’Océanie et pour l’anthro-pologie de l’art en général. Ces recherches, initiées parAnthony Forge4, et poursuivies par Brigitta Hauser-Schäublin5, ont ainsi démontré que la sculpture, chezles Abelam, n’est jamais une simple représentation, maisbien plutôt la manifestation matérielle et visuelle dupouvoir créateur des ancêtres6. Sur cette sculpture, ceSculpture des Abelam de Papouasie-Nouvelle-GuinéeAnne-Solène Rolland etLudovic CoupayeRésumés en anglais p. 110 et en allemand p. 111Lors de la vente de la collection de Pierre Vérité en juin 2006, lemusée du quai Branly a acquis une pièce Abelam importante. Laculture des Abelam de la région de Maprik en Papouasie-Nouvelle-Guinée est une des cultures les plus importantes pour lacompréhension des arts d’Océanie21-77 études  1/03/07  12:05  Page 74ÉTUDESsont par exemple les principes masculin et féminin quisont matérialisés.De manière générale, l’association du féminin et dumasculin, en un ou parfois deux couples, renvoie à la ferti-lité. On peut également y voir une référence à la fortecomplémentarité entre les hommes et les femmes dans lessociétés Abelam7. Certes, les périodes de menstruationsrendent les femmes dangereuses pour le succès de cer-taines activités, notamment celles touchant au domainesacré : ainsi, elles n’ont pas le droit d’accéder aux espacesréservés à la culture des grandes ignames destinées auxcérémonies. En revanche les autres jardins sont communsaux deux sexes. En effet, l’association des deux sexes estla base de la reproduction et de la fertilité de la commu-nauté. Sur cette pièce, la complémentarité entre hommeset femmes s’exprime à la fois dans une lecture « horizon-tale » de la pièce, en deux dimensions, et dans une lecture« en profondeur », puisque derrière l’homme est sculptéeune femme et inversement. Les oiseaux qui surmontent lesdeux personnages (fig. 5) sont probablement polysé-miques : ils peuvent renvoyer à la fertilité, bien qu’il puisseégalement s’agir de simples éléments décoratifs, ou encorede référence aux oiseaux totémiques des clans. Cette ferti-lité est essentielle à toute forme de production, notam-ment celle de nourriture. D’après Brigitta Hauser-Schäublinet Gerd Koch, la représentation de figures féminines et1. Frise Abelam. Sepik,Papouasie-Nouvelle-Guinée.Recto. Bois polychrome. Début du XXe siècle? Inv. MQB 70.2006.28.1. H. 0,40 ; L. 3,50. Paris. Musée du quai Branly.2. Détail de la fig. 1 : personnageféminin du centre de la frise.4. Détail de la fig. 3 : personnageféminin du centre de la frise.752 - 2007  LA REVUE DES MUSÉES DE FRANCE. REVUE DU LOUVRE3. Verso de la frise (fig. 1).21-77 études  1/03/07  12:05  Page 752 - 2007  LA REVUE DES MUSÉES DE FRANCE. REVUE DU LOUVREmasculines (ndu-nyan takwa-nyan : « homme-fils » et« femme-fille » en langue vernaculaire) est souvent asso-ciée aux greniers à grandes ignames, surtout dans lecentre-nord de la région Abelam8.Une pièce très particulièreIl est difficile d’identifier avec certitude l’usage de cettepièce, au vu du peu d’informations sur sa provenance et lesconditions de sa collecte. Toutefois, deux interprétationssont possibles.Il pourrait s’agir d’une pièce appartenant à unensemble de sculptures présentées aux jeunes hommesdurant leur initiation. En effet, les initiations, aujourd’huidisparues, dans la région des Abelam, consistaient à fairepénétrer un à un les impétrants à l’intérieur de la grandemaison cérémonielle (kurambu, en Abelam ou HausTambaran en Tok Pisin, langue officielle de la Papouasie-Nouvelle-Guinée) et constituaient le cœur de la vie céré-monielle des Abelam. Ils étaient alors confrontés à unesérie d’images sculptées et peintes associées aux espritsngwaal, responsables de la fertilité des clans. Ces imagesévoquaient fréquemment les esprits tutélaires des clans,ancêtres ou esprits associés à des lieux secrets et dange-reux. Ces derniers sont évoqués par de petites sculpturesappelées wapi-nyan (« grandes ignames-enfants »), donton trouve des exemples anciens dans les collections dumusée du quai Branly9. Les initiés étaient physiquementmis en présence des matérialisations de la puissance desancêtres. Cette rencontre, par son effet visuel spectacu-laire et impressionnant, était censée les transformer ainsien membres de la communauté à part entière.La seconde interprétation possible pourrait associerdirectement la pièce à l’un des aspects culturels les plusfascinants chez les Abelam : la culture des grandesignames10. En effet, cette pièce est très proche de l’un deséléments d’architecture cérémonielle Abelam, appelée :tëkët. Bien qu’il soit fréquemment désigné comme« linteau », le tëkët ne joue aucun rôle architectonique. Ils’agit en fait d’une frise sculptée, appliquée horizonta-lement sur la façade des maisons cérémonielles, qu’il diviseen deux parties : une partie supérieure, ornée d’un frontonentièrement peint, où sont figurés les visages des espritsngwaal ; une partie inférieure en vannerie, où se situe l’en-trée. Les motifs sinusoïdaux qui encadrent le personnagecentral (fig. 4) de la pièce rappellent les motifs de cettepartie en lames de roseaux tressées. Les tëkët connus sonten général composés d’une suite de petites têtes d’an-cêtres, comme le montre l’exemple de la frise exposée aumusée du quai Branly11. Toutefois, on peut rapprochercette pièce d’une sculpture de l’Ethnologisches Museumde Berlin – qui représente deux couples – identifiée parGerd Koch comme la frise d’un grenier à grandes ignames.5. Détail de la fig. 1 : tête du personnagemasculinsurmontée dedeux oiseaux.21-77 études  1/03/07  12:05  Page 76ÉTUDESCette interprétation pourrait être confirmée par les dimen-sions de la pièce, trop petite pour avoir été la frise d’unemaison cérémonielle. Les kurambu sont en effet des struc-tures imposantes dont la taille peut atteindre quinzemètres de haut. La frise mesure en général cinq à septmètres. À cet égard voir le tëket exposé au musée du quaiBranly.Cependant, plusieurs éléments empêchent de confir-mer l’hypothèse selon laquelle il s’agirait d’un tekët de gre-niers à longues ignames. En effet, on ne connaît pas detëkët ainsi sculpté sur les deux faces, ce qui impliqueraitqu’une des faces sculptées aurait été invisible12. En outre,cette pièce et celle de Berlin sont stylistiquement assezdifférentes.La culture des grandes ignames chez les AbelamIdentifier cette frise comme le tëkët d’un grenier ouvrecependant des perspectives intéressantes sur cet aspectessentiel des pratiques Abelam. D’après Gerd Koch, lesgreniers à grandes ignames (mayëra waapi nga, littéra-lement « secret/sacré – grandes ignames – maison »), sedistinguent des greniers ordinaires (kadinga) où sontstockées toutes les récoltes13. En effet, à l’inverse deskadinga, ces greniers spécifiques sont décorés comme desmaisons cérémonielles, avec un fronton peint. Cependant,les enquêtes de terrain récentes ne font pas mention de cetype de grenier réservé aux grandes ignames, qui a peut-être disparu, sous cette forme au moins. L’existence de cesgreniers spéciaux s’expliquerait par le statut très particu-lier des grandes ignames, waapi. Encore aujourd’hui,chaque homme important cultive ces waapi dans des jar-dins à part. Pendant la période de croissance des ignames,les cultivateurs doivent observer certains interdits,notamment sexuels, pour ne pas nuire au processus.Arrivées à maturité, les waapi peuvent atteindre une taillede trois mètres. Ces tubercules sont alors décorés d’orne-ments divers (masques, plumes, feuilles, fleurs etcoquillages) et présentés lors d’une cérémonie annuelle.Leurs décorations relient visuellement ces grandesignames aux initiés, aux décors des maisons cérémonielleset aux représentations d’ancêtres.Cette pièce, par les questions qu’elle soulève tant dupoint de vue de l’anthropologie de l’art que de l’histoire descollections, constitue ainsi une contribution significativeaux collections mélanésiennes du musée du quai Branly.REMERCIEMENTSLes auteurs remercient chaleureusement Mme Brigitta Hauser-Schäublin,ethnologue, professeur à l’institut d’ethnologie de l’université deGöttingen (Allemagne), pour tous les renseignements précieux qu’elle abien voulu nous fournir. Nous remercions également M. Yves Le Fur,directeur-adjoint du département du patrimoine et des collections, muséedu quai Branly, et M. Philippe Peltier, responsable de l’unité patrimonialeOcéanie-Insulinde au musée du quai Branly, qui ont été à l’origine decette publication.NOTES1 Décret d’acquisition du 00/00/0000. Expositions : « Afrique, Océanie »,Paris, galerie Pigalle, 1930 (n° 323) ; « Arts de l’Océanie – Australie,Malaisie, Mélanésie, Polynésie », Paris, galerie la Gentilhommière, lesAmis de l’Art, 1951 (n° 23). André Portier et François Pocetton,Décoration océanienne, Paris, Librairie des Arts décoratifs, 1931(planche XIV).2 Informations recueillies en 2004 par Maureen Murphy, assistanted’exposition au musée du quai Branly, auprès d’Hélène Leloup.3 Brigitta Hauser-Schäublin, communication personnelle, 30 octobre2006. Dans plusieurs pièces de la région Wosera, on retrouve les visagesblancs et assez nettement séparés en deux moitiés, ainsi que le travail dubois, avec des personnages qui se détachent plus ou moins nettement surun arrière-plan sculpté de représentations d’oiseaux notamment. Maisaucune pièce ne correspond tout à fait au style de la frise.4 Sous la direction d’Anthony Forge, « Style and Meaning in Sepik Art »,Primitive Art And Society, Londres & Oxford, 1973, p. 169-192.A. Forge, «The Problem of Meaning in Art », sous la direction de SydneyMead, Exploring the Visual Art of Oceania, Honolulu, 1979, p. 278-86.5 Brigitta Hauser-Schaüblin, Leben in Linie, Muster und Farbe :Einführung in die Betrachtung aussereuropaïscher Kunst amBeispiel der Abelam, Papua-Neuguinea, Bâle-Boston-Berlin, 1989.B. Hauser-Schäublin, Kulthäuser in Nordneuguinea, (Abhandlungenund Berichte des Staatlichen Museums für Völkerkunde Dresden,Monographien, Bd 43), Berlin, 1989.6 Ludovic Coupaye, « les Abelam », sous la direction de Philippe Peltier,Ombres de Nouvelle-Guinée, arts de la grande île d’Océanie dans lescollections Barbier-Müller, Paris, 2006.7 Diane Losche, Male and female in Abelam Society, 1982, thèse,Columbia University, New York, non publiée.8 Hauser-Schäublin, cit. n. 3, p. 22-23.9 MQB inv. 71.1887.31.121, 71.1887.31.168 et 71.1887.31.169 : trois sculp-tures wapinyan données en 1887 au musée d’Ethnographie duTrocadéro par le prince Roland Bonaparte.10 Ludovic Coupaye, Growing Artefacts, Displaying Relationships :Outlining the technical system of Long Yam cultivation and displayamong the Abelam of Nyamikum village (East Sepik Province,Papua New Guinea), thèse, University of East Anglia, Norwich, 2004. ;en cours de publication.11 MQB inv. 72.1985.1.2.12 Brigitta Hauser-Schäublin, communications personnelles, 30/10/2006et 6/11/2006.13 Gerd Koch, « Kultur der Abelam », Die Berliner’Maprik’-Samplung.Veröffentlichungen des Museums für Völkekunde, Neue Folge 16,département Océanie 8, Berlin, 23 et fig. 29 à 31. C’est la seule mentionde ce type de grenier spécifique aux grandes ignames.772 - 2007  LA REVUE DES MUSÉES DE FRANCE. REVUE DU LOUVRE21-77 études  1/03/07  12:05  Page 77

Sculpture des Abelam de Papouasie-Nouvelle-Guinée

Abstract

Similar works

Full text

Available Versions

UCL Discovery

Name not available

Archive Ouverte a LUniversite Lyon 2

HAL AMU