Les communautés francophones au Canada. Entretien avec Joseph-Yvon Thériault (UQAM), réalisé par Muriel Chemouny sous la direction scientifique de Peter Stockinger (INALCO).
Corpus PCM (Peuples et Cultures du Monde)Partant de l’implantation et de l’expansion progressive des Français sur un vaste territoire vers l’Ouest de l’Amérique dès le XVIe s, Joseph-Yvon THERIAULT explore les particularités et les aléas de la francophonie d’Amérique.L’Empire français d’Amérique, près d’un siècle de présence française où le français est la lingua franca, la langue de commerce de cette immense région - s’étendant du bassin du Saint Laurent, jusqu’aux montagnes Rocheuses en descendant par le Mississipi jusqu’à la Louisiane -, jusqu’ à ce que cet empire prenne fin en 1763. Les territoires sont redistribués : le Nord à l’Angleterre, la vallée du Mississipi à l’Espagne, etc.Au XIXe siècle, un projet lié à la construction d’un chemin de fer reliant l’Océan atlantique (Régions acadiennes, Québec, Ontario) à l’océan Pacifique (Colombie britannique) doit traverser le vaste territoire du Nord. « Go West, young man »… La création de l’ « Union des provinces britanniques du Nord » va de pair avec la décision de créer des implantations « blanches ». S’affrontent alors la conception canadienne anglaise - qui voit l’Ouest, le « Haut Canada » comme une extension de l’Ontario donc de la population anglo-américaine - et celle des « Canadiens » du Québec - qui perçoivent ces vastes territoires du Nord-Ouest comme une extension naturelle du Québec. Les implantations, majoritairement anglophones, suscitent la colère des métis de tradition francophone en particulier, dont une figure emblématique, Louis Riel, au destin funeste, se fait le défenseur.Malgré l’obtention de la création de provinces bilingues, anglais-français, à la manière du Québec, ces régions deviennent majoritairement anglophones. Entre 1850 et 1930 s’opère le constat que, l’expérience de l’Ouest ayant été un échec pour les francophones - le Canada anglais n’ayant pas permis la création de communautés vivantes dans l’Ouest canadien -, l’avenir du Canada français passe dorénavant par le Québec.A la montée du souverainisme québécois, le gouvernement canadien répond politiquement, dans les années 1960, en proposant le projet du bilinguisme canadien. Sans revivifier totalement les populations francophones de l’Ouest, cette mesure favorise le développement d’une affirmation identitaire et d’un imaginaire communs autour du français.Cependant, jusque dans les années 1980, loin de leur vieux rêve de faire société, de créer une civilisation d’origine française en terre d’Amérique, la réalité de ces francophones ressemble davantage à celle des immigrants récents, un écartèlement « entre l’ethnie et la nation ».Depuis, les migrations de populations d’Est en Ouest, la découverte de richesses du sous-sol (sables bitumineux de l’Alberta notamment), ont entraîné un boum économique dans ces régions du Nord-Ouest.Joseph-Yvon Thériault souligne que les francophones de l’Ouest ne vivront jamais dans un milieu d’homogénéité francophone, que le statut de minoritaire est leur état d’être, contrairement à la situation des francophones de l’Acadie ou du Québec.Joseph-Yvon THERIAULT est professeur au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Il est titulaire de la chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie et professeur de l'institut d'études internationales de Montréal. Ses travaux en sociologie politique et en phénoménologie de la démocratie portent sur trois sujets :- le fonctionnement de la démocratie dans sa réalité à partir de l’inscription d’identités dans l’espace démocratique- l’imaginaire politique québécois, la mémoire politique du Québec et l’oubli de cette mémoire- la lecture politique du poème de Longfellow, ou comment le récit narratif, transformé pendant un siècle a été utilisé comme récit fondateur pour trois types sociétals différents : récit national américain, récit à l’origine de la construction du mouvement nationalitaire acadien, et récit comme élément d’affirmation des Acadiens de Louisiane de leur ethnicité