Être visible sur et par internet : le cas de l'État islamique

Abstract

Cette thèse porte sur la visibilité de groupes qualifiés d’extrémistes sur internet. Si plusieurs études ont décrit les différents usages des technologies numériques par des groupes radicaux et la manière dont internet serait un catalyseur de radicalisation, peu d’études ont cherché à analyser la relation constitutive entre un dispositif technique et des militants extrémistes. L’objectif de la thèse est de renouveler le modèle de la visibilité médiatisée de groupuscules qualifiés d’extrémistes, en tenant compte des reconfigurations mutuelles entre les plateformes numériques et le groupe militant. Sur le plan théorique, cette recherche se situe à l’intersection de la théorie de l’acteur-réseau, des software studies et des travaux de Lucy Suchman (2007) sur les dynamiques de reconfigurations mutuelles et permanentes des relations entre humains et machines. Basée sur l’étude du cas de l’État islamique, l’analyse s’ancre dans des données provenant d’un terrain de recherche de type ethnographique, collectées sur un an et demi. L’enquête est composée d’une observation non participante menée sur plusieurs plateformes numériques exploitées par le groupe jihadiste, de l’archivage et l’analyse des traces en ligne, ainsi que d’un corpus documentaire. Nos résultats contribuent premièrement à une meilleure compréhension de la visibilité des groupes qualifiés d’extrémiste sur les plateformes numériques, en démontrant qu’elle est relationnelle, technicisée et conflictuelle. Notre étude fait tout d’abord ressortir qu’on assiste à une complexification du tableau de la visibilité. La visibilité en ligne de l’État islamique nécessite un vaste réseau d’acteurs, tels que spécialistes des médias, militants, spécialistes en cybersécurité et botnets. La visibilité mêle ainsi des procédés hors-ligne et en ligne, décentralisés et centralisés. L’analyse des pratiques quotidiennes de visibilité montre que le travail d’apparence des militants de l’État islamique suit un objectif d’amplification et d’abondance de leur flux informationnel. Le but est d’inonder les plateformes de réseaux sociaux de contenus pro État islamique, afin de mener une « guerre médiatique ». Par ailleurs, les résultats suggèrent que la visibilité est complexe en raison des séries de contraintes et de forces ennemies qui contrecarrent le projet en ligne de l’État islamique, tel que la modération de leurs contenus. Parallèlement, notre étude montre que la présence de ces usagers a redessiné la régulation de ces technologies en les rendant plus contraignantes. Enfin, nos résultats dévoilent que les militants de l’État islamique refusent l’assujettissement face aux suspensions répétées dont ils font l’objet. Pour limiter les effets négatifs de la modération, le collectif travaille activement à mettre en place des tactiques de résistance. Dans un second temps, la thèse s’intéresse aux formes de visibilité que cette médiation technique entre les militants et les plateformes numériques configure. Nous proposons le concept de visibilité technicisée pour rendre compte de la visibilité en ligne des opinions politiques. Ce type de visibilité se fonde sur l’incessant déploiement d’une raison technique. En cela, la visibilité devient une activité spécialisée qui exploite les dimensions techniques et automatisées des technologies numériques, avec leurs normativités propres. Si la visibilité technicisée confère aux utilisateurs du pouvoir pour assurer leur visibilité, la thèse émet certaines réserves quant à la valeur réelle de ce faire-voir. Elle montre que, dans la quête d’efficacité et d’abondance qui la caractérise, ce type de visibilité technicisée généralise un ensemble de comportements nuisibles et de procédures trompeuses pour exprimer une opinion politique. Révélatrices de nouvelles formes de domination et d’asymétrie, nous plaidons qu’elle pourrait à terme contraindre le jeu démocratique.This thesis focuses on the visibility of extremist groups on the internet. While several studies have focused on describing the different uses of digital technologies by radical groups and the way the internet would operate as a catalyst for radicalization, few studies have sought to analyze the constitutive relationship between the technical apparatus and the militant extremist. The objective of the thesis is to renew the visibility model of groups classified as extremists, taking into account the mutual reconfigurations between digital platforms and the militant groups. At a theoretical level, our study is situated at the intersection of actor-network theory (ANT), software studies and Lucy Suchman’s work (2007) on the dynamic reconfiguration of mutual and permanent relationships between humans and machines. Based on the case study of the Islamic State, this analysis, lasting one and a half years, was anchored in data from an ethnographic research field. The survey consists of non-participant observation of several digital platforms exploited by the jihadist group, online archiving and analysis of online traces, as well as a documentary corpus. Our results contribute to better understanding how groups qualified as extremist develop their visibility on digital platforms, by emphasizing that it is relational, technical and conflictual. First of all, our study demonstrates the evolution to a more complex development of the resources used to obtain visibility. The online visibility of the Islamic state requires a vast network of actors, such as media specialists, activists, cybersecurity specialists and botnets. For this reason, offline and online, decentralized and centralized processes are combined. The analysis of their daily practices shows that the work of Islamic state militants to obtain visibility strive at amplification and abundance of their information flow. Their goal is to inundate social media platforms with their contents, conducting a “media war”. Furthermore, the results obtained suggest that developing visibility is complex due to a series of constraints and enemy forces that thwart the Islamic State project, such as moderation of contents as an example. At the same time, our study shows that the presence of this type of users has resulted in the redesign of the regulation of these technologies, making them more restrictive. Finally, the results reveal that the Islamic state militants are actively working to put in place resistance tactics in order to limit the negative effects of that moderation. In a second step, the thesis focuses on the forms of visibility evolving from this technical mediation between activists and digital platforms. We suggest the concept of technical visibility to highlight the online visibility of political opinions. This type of visibility is based on the deployments of a technical rationality. Therein the creation of visibility becomes a specialized activity using the technical as well as mechanized dimensions of digital technologies, each with their own mode of normativity. If technical visibility gives users the possibility to develop their visibility, the thesis expresses certain reservations as to the real value of this “ faire-voir ”. It shows that this type of technical visibility, due to its characteristic quest for efficiency and abundance of information, generalizes bulk, aggressive, or deceptive activity. This results in new forms of domination and asymmetry. We therefore argue that it could jeopardize democracy

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