Les entreprises multinationales jouent un rôle de premier plan dans l’élaboration des politiques publiques. M’inspirant notamment des travaux du professeur Culpepper sur le pouvoir corporatif « silencieux » (2011, 2015), j’étudie les dynamiques de pouvoir ayant mené à l’inclusion des « accords de poursuite suspendue » (APS) au Code criminel canadien. D’origine américaine, les APS permettent aux entreprises de mettre un terme à des procédures judiciaires criminelles -sans plaidoyer de culpabilité- sur la base d’amendes et d’engagements de meilleure gouvernance. Alors même qu’ils suscitent la controverse quant à leur efficacité et leur équité aux États-Unis, ils se propagent au Royaume-Uni, au Brésil, en France, à Singapour et maintenant au Canada. Comment expliquer l’adoption d’APS canadiens malgré l’absence de preuve de leur efficacité et la controverse que cette politique publique suscite dans la littérature spécialisée ? Notre hypothèse principale est que le gouvernement a répondu à une demande de SNC-Lavalin (SNC), un champion national québécois et canadien en ingénierie, accusé de corruption à l’étranger. SNC a bien cadré sa campagne de lobbyisme, mais disposait surtout d’un avantage structurel vu son importance pour l’économie canadienne. Pour cette raison, SNC a obtenu la politique publique de son choix alors même que le modèle de Culpepper aurait prédit un contexte plus difficile. En effet, il n’y a pas eu de réel débat partisan malgré la saillance des scandales de corruption de SNC et malgré le cadre législatif (formel) nécessaire à l’adoption des APS canadiens. Comme autres explications, notre analyse de la saillance des enjeux montre une différence marquée entre la couverture médiatique des scandales de corruption et le moindre intérêt pour la politique publique très technique des APS pour y répondre. Par ailleurs, la variable du cadre législatif « formel », censée donner lieu à un débat partisan, s’applique moins bien au Canada où l’Assemblée législative est dominée par l’exécutif. L’adoption de ces nouveaux instruments en matière d’imputabilité criminelle des entreprises constitue donc un « cas d’orientation » pour les modèles de pouvoir corporatif. Leur étude permet de raffiner l’application du modèle de Culpepper et de mieux comprendre les mécanismes causaux du pouvoir des entreprises.Multinational companies play a leading role in shaping public policies. Inspired in
particular by Professor Culpepper's work on Quiet Politics and Business Power (2011, 2015), I
study the power dynamics that led to the inclusion of “Deferred prosecution agreements”
(DPAs) in the Canadian Criminal Code. Developed in the U.S., DPAs allow businesses to put
an end to criminal judicial proceedings - without guilty pleas – by paying fines and often by
adopting various governance reforms. Although their efficiency and legitimacy are being
questioned in the United States, they are spreading to the UK, Brazil, France, Singapore and
now Canada. How do we explain the adoption of Canadian DPAs despite the lack of evidence
of their effectiveness and the controversy they raise in the specialized literature? Our main
assumption is that the government responded to a request from SNC-Lavalin, a national
engineering champion of Quebec and Canada, accused of foreign bribery, fraud and
corruption. SNC properly framed its lobbying campaign, but had a structural advantage
because of its importance to the Canadian economy. For this reason, SNC obtained the public
policy of its choice even though Culpepper’s model would have predicted a more difficult
context of adoption for DPAs. Indeed, there was no real partisan debate despite the salience of
SNC's corruption scandals and the (formal) legislative framework necessary to the adoption of
the Canadian DPAs. Furthermore, our analysis of the salience of the “issue” shows a marked
difference between the wider media coverage of the corruption scandals as a political issue
and the narrower interest in the highly technical public policy of the APS as a response to it.
Also, the "formal" legislative framework variable, which could have triggered partisan debate,
is less applicable in Canada where the legislature is dominated by the executive. The adoption
of these new corporate criminal accountability instruments is therefore a "pathway case" for
business power. Their study allows us to refine the application of Culpepper’s model and to
better understand the causal mechanisms of corporate power