thesis

La crise du syndicalisme comme crise de la représentation des travailleurs : une étude de cas de l'évolution des identités collectives dans l'économie solidaire au Brésil

Abstract

Cette thèse part du postulat que la crise du syndicalisme résulte d’une remise en cause des identités collectives ayant légitimé jusque dans les années 70 leur représentation des travailleurs. En témoignent les mobilisations, qui se déroulent souvent en dehors des syndicats et de façon conflictuelle avec eux, de travailleuses et travailleurs longtemps minorés par les arrangements institutionnels prévalant avec la société salariale. Différents travaux dans le renouveau syndical relèvent de leur côté que les syndicats peinent à prendre en compte les besoins et aspirations de ces travailleurs car leur identité collective les entraîne à rester dans les sentiers des orientations et représentations institutionnalisées. Cependant, les auteurs se focalisent sur la façon dont le syndicalisme, et en particulier les leaders, peuvent reconstruire une représentation des travailleurs, et non sur la façon dont les identités collectives se transforment. Les études sur le syndicalisme héritent d’un débat sur les mouvements sociaux qui a abouti à scinder les approches théoriques entre celles conceptualisant les identités collectives, mais dans le cadre de théorisations contestables de l’évolution des sociétés, et celles qui sous-théorisent les identités collectives et considèrent que les mouvements sociaux émergent des processus politique et de la mobilisation des ressources. Les travaux sur le renouveau syndical reprennent généralement cette seconde approche et assimilent les mouvements de travailleurs à des organisations en considérant, implicitement, les buts de l’action collective comme donné. Or, un mouvement social est un concept ; il n’est pas réductible à une organisation, au risque sinon de perdre sa valeur heuristique, qui est de chercher à saisir les identités collectives en conflit et les stratégies associées. À partir de l’étude du cas du mouvement de travailleurs dans l’économie solidaire brésilienne, cette thèse questionne donc le « pourquoi de nouvelles identités collectives de travailleurs émergent » et le « comment ou le pourquoi des identités syndicales se transforment ou se reproduisent », lorsqu’elles sont confrontées à l’émergence de nouvelles façons de définir les dominations à combattre et les orientations. Les identités collectives sont opérationnalisées comme des matrices cognitives et normatives, ce qui permet de rendre compte de leur caractère évolutif en fonction des modalités d’interaction. L’étude de cas met en évidence que les mobilisations autonomes des travailleurs minorés sont porteuses de nouvelles définitions des problèmes et de pratiques sociales transformatrices, qui entrent en conflit avec les significations et les pratiques syndicales institutionnalisées. Elle montre que c’est à la suite d’interactions délibératives entre ces travailleurs et les syndicalistes que les identités syndicales se transforment. Cependant, la reconstitution des trajectoires de deux syndicats (de la principale centrale brésilienne) indique que le fait d’entrer dans de telles interactions ne dépend pas d’une décision rationnelle, mais de la perception (de la part des syndicats) des capacités des travailleurs à transformer le rapport au travail et au monde lorsqu’ils agissent collectivement. Un dernier résultat, corollaire, tient dans la falsification de l’hypothèse – défendue par une partie de la littérature sur le renouveau syndical – selon laquelle les syndicats, et en particulier les leaders, peuvent conduire une transformation de la représentation collective en procédant eux-mêmes à une agrégation des multiples identités collectives. Cette hypothèse, qui revient à considérer le but de l’action collective comme donné, est contredite par les données : elles montrent que, dans un tel cas, s’il y a bien des innovations institutionnelles conduites par le syndicat, ces innovations favorisent l’adaptation du syndicalisme aux mutations du capitalisme et non la transformation des rapports sociaux de domination, parce que prédominent alors les liens sociaux avec les groupes dominants, c’est-à-dire les interprétations cognitives dominantes des problèmes.This thesis is based on the premise that the crisis of trade-unionism is the product of the questionning of the collective identities which had legitimized their workers’ collective representation up to the end of the 1970s. The evidence lies in the mobilization – often outside of the trade-unions and in conflict with them – of workers who have long been “minoritized” by the institutional arrangements which were dominant with the wage society. Various studies in the trade-union renewal literature point out that trade-unions have difficulty taking into account the needs and aspirations of these workers, because their collective identity leads them to maintain their established representations and orientations. However, these scholars focus on the way trade-unions, and specifically their leaders, can rebuild the representation of workers, rather than on the way collective identities are transforming themselves. Studies on trade-unionism have inherited a debate from within the field of social movements, dividing theoretical approaches regarding collective identities. In one approach, collective identities are conceptualised in the context of questionable theories about the evolution of societies; in the other, collective identities are under-theorised and social movements are seen to emerge in the context of political process and ressources mobilization. Literature on trade-union renewal generally returns to this second approach and assimilates workers movements to trade-unions, thus considering implicitly that the targets of collective action are given. However, a social movement is a concept; it cannot be reduced to an organization without the risk of losing its heuristic value, which is to lead us to seek an understanding of collective identities in conflict and the strategies associated with them. On the basis of a case study of the workers’ movement in the Brazilian “solidarity economy”, this thesis poses the following questions: Why are new workers’ collective identities emerging? How or why are trade-union identities being transformed or reproduced, at a time when they are being confronted with the emergence of new ways of defining the forms of domination they have to contend with, and new ways of defining how to do this? Collective identities are operationalized in this thesis as cognitive and normative matrices. This allows us to take in account their evolution, in association with different modes of interaction. The case study highlights that the autonomous mobilization of “minoritised” workers brings with it new problem definitions as well as transformational social practices, which enter into conflict with institutionalized trade-union meanings and practises. The case study shows that it is after trade-unions and workers have entered into deliberative interaction that trade-union identities begin to change. However, the reconstruction of the trajectories of two trade-unions (both members of the main Brazilian confederation) shows that interacting with minoritised workers movements does not depend on a rational choice, but on the perception (by trade-unions) of workers ability, through collective action, to transform their relationship to work and to the world. A last result, and a corollary of those mentioned, is the falsification of an assumption found in some of the trade-union renewal literature, namely, that trade-unions, and specifically their leaders, can bring about a transformation of collective representation by aggregating different collective identities. This assumption, which considers the target of collective action as a given, is contradicted by this research: we demonstrate that, in such a case, there are indeed real institutional innovations introduced by the union, and that these innovations promote the adaptation of trade-unionism to changes in capitalism. But they do not promote the transformation of the social relations of domination; rather, as social ties with dominant actors prevail, they reproduce existing relations of domination as they reproduce dominant interpretations of the problem

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