De façon générale, le théâtre québécois s’est à peine préoccupé des questions liées au non-humain, et sa critique encore moins. En effet, Stéphanie Nutting a beau écrire, dans un des seuls articles portant sur le sujet, que « [l]’animal foule régulièrement les planches au Québec et ce, depuis longtemps », il n’en demeure pas moins que cet aspect d’une nature à l’œuvre a très peu retenu l’attention des spécialistes qui ont souvent eu tendance à placer l’activité dramatique à la remorque du politique pris au sens le plus restreint.
La présente thèse veut combler cette lacune en amorçant, dans une optique interdisciplinaire, une réflexion sur la place que l’animal occupe dans les pratiques scéniques québécoises récentes, avec comme point focal l’espèce qui apparaît plus que toutes les autres : le chien. Or si l’ubiquité de Canis familiaris se veut remarquable, elle est également fluctuante dans le temps et dans l’espace, souvent problématique, toujours ambigüe. C’est parce que, selon Richard Schechner, elle partage, avec le théâtre, un vocabulaire et d’innombrables points de contact, que l’anthropologie se voit conviée dans cette étude, aussi parce que la fameuse paire conceptuelle nature-culture s’y articule en moment fondateur depuis les travaux de Claude Lévi-Strauss selon qui « [l]e monde animal et le monde végétal ne sont pas utilisés seulement parce qu’ils sont là, mais parce qu’ils proposent à l’homme une méthode de pensée ».
Ici j’analyse une vingtaine de pièces et spectacles qui, depuis la création, en 1987, de l’œuvre éponyme de Jean Marc Dalpé qui semble donner le ton à mon corpus, mettent en scène au moins un chien comme élément central de la représentation. Cela me permet de baliser le théâtre contemporain au Québec en établissant une géographie critique de ce rapport trouble qui constitue l’une des plus vieilles affaires de discipline(s) qui soit. Ultimement, je désire commencer à répondre à la question suivante : Qu’est-ce que l’animal fait au théâtre, au Québec ? Se dégage, de la violence métonymique au cœur des manifestations canines que j’étudie, peut-être moins le reflet immédiat du social à l’époque de leur présentation, qu’une constellation symbolique annonçant une profonde crise des intériorités et des différences.
Mots clés
Théâtre contemporain au Québec ; culture québécoise ; études animales ; chien (représentation) ; anthropologie de la nature.
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In general, Quebec theatre has hardly been concerned with questions related to the non-human, and its critique even less so. In fact, Stéphanie Nutting may well write, in one of the only articles on the subject, that “[t]he animal regularly treads the boards in Quebec and has done so for a long time,” yet the fact remains that this aspect of nature at work has received very little attention from drama specialists who often tended to place theatre in the context of politics in their most restricted sense.
This thesis aims to fill this gap by initiating, from an interdisciplinary perspective, a reflection on the place that the animal occupies in recent Quebec art practices, with a particular focus on the species that appears more often than all others: the dog. However, if the ubiquity of Canis familiaris is remarkable, it nevertheless remains fluctuating in time and space, often problematic, always ambiguous. It is here that anthropology enters the scene, because, according to Richard Schechner, it shares a vocabulary and innumerable points of contact with the theatre itself, also due to the fact that the famous conceptual nature-culture pair was constituted as a founding moment in the work of Claude Lévi-Strauss, according to whom “[t]he animal world and the plant world are not used only because they are there, but because they offer man a method of thought.”
I analyse some twenty plays and shows, which, since the creation of Le chien by Jean Marc Dalpé in 1987 that set the tone, stage at least one dog as a central element of the performance. My thesis therefore allows me to mark out contemporary theatre in Quebec by establishing a critical geography of this troubled relationship that constitutes one of the oldest intermingling of discipline(s) there is. Ultimately, I want to begin to answer the following question: What animals do in/to theatre in Quebec? What emerges from the metonymic violence at the heart of the canine manifestations I study is maybe not the immediate reflection of the social at that time, so much as a symbolic constellation announcing a deep crisis of interiorities and differences.
Key words
Contemporary theatre in Quebec; Quebec culture; animal studies; dog (representation); anthropology of nature