Cancer et sénescence : une approche éco-évolutive multi-échelle

Abstract

Selon les théories dominantes de l'oncogenèse, le cancer résulte d'un processus d'accumulation d'altérations (épi)génétiques transmises le long de lignages cellulaires somatiques. Si des observations moléculaires empiriques valident partiellement ces modèles multistades, ceux-ci ne permettent pas de prédire les patrons d'incidence du cancer i) aux grands âges et ii) entre les espèces (Paradoxe de Peto). En effet, ces modèles prédisent que l'incidence du cancer devrait être une fonction croissante de l'âge. Or, chez l'humain, le taux d'incidence du cancer décélère voire décroît aux grands âges. L'existence de ce patron dans d'autres espèces est à confirmer. Partant de cette observation, cette thèse étudie la relation évolutive entre le cancer et la sénescence : nous supposons qu'il existe, à l'échelle de l'organisme, un compromis évolutif entre ces composantes de la mortalité. Ce compromis serait arbitré par l'accumulation de cellules sénescentes dans les tissus. En effet, la sénescence cellulaire est largement considérée, en biologie cellulaire, comme un mécanisme de défense contre la cancérogenèse. Mais, la sénescence n'est pas la seule option pour une cellule mutée : l'apoptose, un programme de mort cellulaire, en est une autre. De plus, chaque destin cellulaire a un coût. L'accumulation de cellules sénescentes est liée aux maladies du vieillissement alors que l'apoptose induit une prolifération compensatoire qui pourrait, sur le long terme, augmenter l'accumulation de mutations dans les tissus. Ainsi, nous faisons l'hypothèse que le compromis évolutif à l'échelle de l'organisme serait le reflet d'un équilibre entre les coûts de ces mécanismes cellulaires. Cette thèse explore donc le rôle de la sénescence cellulaire dans la sénescence de l'organisme et la cancérogenèse : 1) À l'échelle de l'organisme, nous cherchons si une probabilité optimale d'entrer en sénescence pour une cellule endommagée permet à l'individu de maximiser sa survie et sa reproduction. Pour ce faire, nous utilisons un modèle théorique partant des dynamiques cellulaires pour ensuite se tourner vers leurs conséquences pour l'organisme : la sénescence de l'organisme et la mortalité par cancer. De plus, nous examinons l'influence de différents traits d'histoire de vie sur cet équilibre. 2) À l'échelle cellulaire, des modèles individus-centrés sont utilisés pour explorer différents aspects de l'accumulation de mutations dans les tissus. Premièrement, les mutations sont transmises d'une cellule mère à une cellule fille, posant ainsi la question du rôle de la structuration spatiale en lignages somatiques. Deuxièmement, l'apoptose entraîne une prolifération compensatoire mais son coût est hypothétique. Nous testons donc si cette prolifération joue un rôle substantiel dans l'accumulation de mutations. Enfin, les cellules sénescentes sont caractérisées par un sécrétome (le SASP) dont les effets paracrines sont associés à la cancérogenèse et aux pathologies de la sénescence. Nous évaluons donc comment l'équilibre entre sénescence cellulaire et apoptose est modifié par le SASP. 3) À l'échelle des espèces, des données empiriques provenant d'espèces mammifères en captivité sont utilisées pour répondre à deux questions. D'une part, tester si la décélération du taux d'incidence est observable dans d'autres espèces. D'autre part, en distinguant la mortalité par cancer de la mortalité due à d'autres causes intrinsèques, nous comparons les patrons d'incidence empiriques aux attendus découlant de l'hypothèse du compromis évolutif. En conclusion, notre travail lie des connaissances en biologie cellulaire avec des concepts de la biologie évolutive afin de mieux comprendre la relation entre sénescence et cancérogenèse. Nous montrons que le cancer n'est peut-être pas qu'un processus sénescent et qu'il est important de considérer l'hypothèse que l'évolution de la sénescence a été (au moins partiellement) façonnée par le cancer.Dominant theories of oncogenesis state that cancer is a multistage process fueled by the accumulation of (epi)genetic alterations along somatic lineages of mitotically active cells. While this model finds some empirical support at the molecular level, it fails to accurately predict cancer incidence patterns i) at old ages and ii) between species. Indeed, the Doll-Armitage and further models predict that cancer incidence should be an increasing function of age. However, in Humans, cancer incidence rate has been shown to decelerate and even decrease at old ages. Evidence in other species is mostly lacking. Starting from this puzzling observation, the PhD work investigates the evolutionary relationship between cancer and senescence: we hypothesize that there is, at the organism scale, an evolutionary tradeoff between those mortality components. This trade-off between cancer and senescence would be mediated at the cellular scale by the accumulation of senescent cells. Indeed, mutated cells can turn senescent, a mechanism widely thought of as a defense against carcinogenesis in cellular biology. Still, at the cellular scale, senescence is not the only path a damaged cell can take: apoptosis, a cell death program, is another option. In our framework, both cellular senescence and apoptosis come at a cost. Accumulated senescent cells lead to ageing-related disorders and it is hypothesized that apoptosis leads to compensatory proliferation that could, in return, lead to even more damage accumulation. Hence, the organismal trade-off could also result from a cellular trade-off: senescence and apoptosis should be balanced to lessen their respective costs. Therefore, this thesis explores the role of cellular senescence in both organismal senescence and carcinogenesis at different scales: i) At the organism scale, we investigate whether the probability for a damaged cell to enter senescence can reach an optimum allowing to maximize the lifetime reproductive success of an individual. We do this by modeling theoretical cellular dynamics and their consequences at the organism scale : cellular senescence is associated with organismal senescence and apoptosis with cancer mortality. Additionally, we look at how different life-history traits influence this balance. ii) At the cellular scale, we investigate different aspects of mutation accumulation within tissues using agent-based models. First, damaged cells transmit their mutational burden to their daughters. Therefore, we first address whether spatial structuring in lineages influences damage accumulation. Second, apoptosis does lead to compensatory proliferation but its cost is hypothetical. Thus, we assess whether compensatory divisions can significantly increase damage accumulation. Third, senescent cells display a specific secretome (the SASP) that has auto- and paracrine effects thought to be associated with both ageing-related disorders and carcinogenesis. Hence, we determine how a mechanistic balance between cellular senescence and apoptosis is changed under the influence of the SASP. iii) At the species scale, we use empirical data from mammal species in captivity to answer two questions. First, we assess whether other species display the same pattern of late-life deceleration of cancer. Second, discriminating between cancer mortality and mortality from other intrinsic causes, we test whether empirical incidence patterns are congruent with expectations derived from the hypothesis that senescence trades against cancer. In conclusion, this PhD work bridges knowledge from cellular biology and evolutionary biology in order to better understand the relationship between senescence and carcinogenesis. It shows that cancer might not only be only a proximal senescent process, but that senescence evolution might be (partially) shaped by cancer mortality

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    Last time updated on 23/01/2024