Le sujet de l’articulation entre les émotions et les valeurs fait l’objet de discussions importantes. Si l’on reconnaît qu’un lien étroit les unit, une question cruciale porte sur la délimitation du rôle joué par les émotions dans la justification des croyances évaluatives. À ce titre, l’approche fiabiliste de la justification (Goldman, 1979) a été relativement peu explorée, alors même qu’elle soulève un certain nombre de difficultés. Dans cette thèse, je montre que les émotions ont un rôle essentiel à jouer dans la justification des croyances évaluatives. En recourant à une approche fiabiliste, je défends qu’elles assurent ce rôle d’autant mieux qu’elles s’accompagnent de mécanismes de vigilance épistémique s’incarnant de façon privilégiée à travers des sentiments d’incertitude. L’argumentation proposée se structure en quatre parties. La première partie précise les fondements de ce travail. Le chapitre 1 apporte une définition générale d’une émotion et propose une articulation entre émotions et valeurs. Le chapitre 2 présente les différentes théories de la justification disponibles et motive le choix d’une approche fiabiliste, tout en introduisant plusieurs défis auxquels elle est confrontée. La seconde partie présente l’objection principale à l’application d’une théorie fiabiliste de la justification aux émotions. En effet, il semble que les émotions ne nous relient généralement pas correctement aux valeurs. Pourtant, si plusieurs auteurs reconnaissent précisément leur manque de fiabilité, ils en minimisent étonnamment l’importance épistémique (par exemple, Tappolet, 2000 ; Pelser, 2014). Le chapitre 3 motive cette objection par un ensemble de considérations psychologiques. Le chapitre 4 présente un certain nombre de réponses ayant été apportées, lesquelles sont autant de nature psychologique qu’épistémologique, pour en révéler les insuffisances. L’objection soulevée met particulièrement en difficulté l’approche fiabiliste classique, dans laquelle les éléments portant sur la fiabilité des émotions ne sont pas rendus accessibles au sujet. La troisième partie apporte de premières réponses à travers l’examen d'une approche fiabiliste amendée qualifiée d’« expérientielle » en ce qu’elle fait droit au rôle de preuve de l’expérience émotionnelle. Les chapitres 5 et 6 proposent des discussions approfondies des versions existantes, une théorie fiabiliste dite « des indicateurs » (Alston, 1988) et une théorie fiabiliste dite « des processus » (notamment, Goldman, 2011), lesquelles se distinguent selon la nature de la propriété de fiabilité sur laquelle elles reposent. Je favoriserai la seconde version et avancerai qu’elle doive s’accompagner de la prise en compte de mécanismes de vigilance. Le chapitre 7 consiste en une discussion d’illustrations existantes d’une telle théorie fiabiliste à deux niveaux, lesquelles ont été proposées par Goldie (2004) et par Brady (2010). La quatrième et dernière partie motive l’introduction de sentiments métacognitifs d’incertitude. Le chapitre 8 présente les avantages de cette position par rapport aux approches concurrentes, tout en dressant un portrait de ces états mentaux et de leurs propriétés épistémiques. Je propose qu’ils reposent sur la détection d’éléments d’incertitude caractérisant les situations dans lesquelles surviennent les émotions. Le chapitre 9 justifie la plausibilité de cette approche en montrant que des sentiments d’incertitude sont susceptibles de porter sur des émotions pour en améliorer le statut épistémique, et qu’ils peuvent se déclencher dans l’ensemble des situations d’incertitude émotionnelle. Le modèle proposé semble ainsi le mieux positionné pour prouver que les émotions peuvent constituer des sources fiables de croyances évaluatives et qu’elles sont indispensables à leur justification. Il suggère plus généralement une perspective élargie sur la rationalité des émotions.The articulation between emotions and values is the subject of significant discussion. In particular, a crucial question concerns the role of emotions in the justification of evaluative beliefs. In this respect, the reliabilist approach to justification (Goldman, 1979) has been relatively unexplored, even though it raises several difficulties. In this thesis, I show that emotions play an essential role in the justification of evaluative beliefs. Using a reliabilist approach, I argue that they play this role all the better as they are accompanied by epistemic vigilance mechanisms that are instantiated in a privileged way by feelings of uncertainty. The proposed argument is structured in four parts. The first part specifies the foundations of this work. Chapter 1 provides a general definition of emotion and proposes an articulation between emotions and values. Chapter 2 presents the different theories of justification available and motivates the choice of a reliabilist approach while introducing several challenges it faces. The second part presents the main objection to applying a reliabilist theory of justification to emotions. Indeed, it seems that emotions do not generally connect us correctly to values. Yet, while several authors precisely acknowledge their unreliability, they surprisingly downplay its epistemic importance (e.g., Tappolet, 2000; Pelser, 2014). Chapter 3 motivates this objection with a set of psychological considerations. Chapter 4 presents some existing responses, which are as much psychological as epistemological, to reveal their shortcomings. The objection raised is particularly problematic for the classical reliabilist approach, in which the elements concerning the reliability of emotions are not made accessible to the subject. The third part brings some first answers examining a modified reliabilist approach. It is qualified as "experiential" since it allows for the evidential role of emotional experience. Chapters 5 and 6 offer in-depth discussions of different versions that are distinguished by the nature of the determining property for justification: a so-called "indicator" reliabilist theory (Alston, 1988) and a so-called "process" reliabilist theory (notably, Goldman, 2011). I will favor the second version and argue that it should be improved to include vigilance mechanisms. Chapter 7 discusses existing illustrations of such a two-level reliabilist theory, which have been proposed by Goldie (2004) and by Brady (2010). The fourth and final section motivates the introduction of metacognitive feelings of uncertainty. Chapter 8 presents the advantages of this position over competing approaches while also providing a portrait of these mental states and their epistemic properties. I propose that they detect an element of uncertainty characterizing the situation in which the emotion occurs. Chapter 9 justifies the plausibility of this approach by showing that feelings of uncertainty are likely to be related to emotions to improve their epistemic status in all situations of emotional uncertainty. The proposed model thus seems best positioned to prove that emotions can be reliable sources of evaluative beliefs and that they are indispensable for their justification. More generally, it suggests a broader perspective on the rationality of emotions