Ahmed Allal

Bruno Vergnes

Gérard Marin

Comptes Rendus Physique

C. R. Physique 8 (2007) 109–114http://france.elsevier.com/direct/COMREN/Physique/Surfaces, interfaces, filmsForme de la distribution des masses molaires pour supprimerle défaut de peau de requinAhmed Allal a,∗, Bruno Vergnes b, Gérard Marin aa LPCP – UMR 5067, université de Pau et des pays de l’Adour, avenue de l’université, BP 1155, 64013 Pau cedex, Franceb CEMEF – UMR CNRS 7537, École des mines de Paris, BP 207, 06904 Sophia Antipolis cedex, FranceReçu le 13 juin 2005 ; accepté après révision le 21 décembre 2006Disponible sur Internet le 24 janvier 2007Présenté par Jacques VillainRésuméDans cette Note, nous nous sommes focalisés sur le défaut de peau de requin, que l’on rencontre fréquemment lors de l’extrusionde polymères linéaires. Notre objectif est de relier l’apparition du défaut de peau de requin aux propriétés rhéologiques du polymèreet plus particulièrement à la forme de la distribution des masses molaires. Ainsi, en nous appuyant sur le modèle de Brochard–de Gennes, nous montrons qu’il est possible de supprimer le défaut de peau de requin si Mn ≈ 10Me. Pour citer cet article : A. Allalet al., C. R. Physique 8 (2007).© 2007 Académie des sciences. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.AbstractShape of the MWD to remove the sharkskin. In this Note, we focused on the sharkskin defect, classically observed in linearpolymer extrusion. The aim of this work is to link the sharkskin onset to the rheological properties of polymer melt and moreparticularly to the shape of the molecular weight distribution. Using the model of Brochard–de Gennes, we show that it is possibleto eliminate the sharkskin if Mn ≈ 10Me. To cite this article: A. Allal et al., C. R. Physique 8 (2007).© 2007 Académie des sciences. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Mots-clés : Polymère ; Défaut d’extrusion ; Peau de requin ; ModélisationKeywords: Polymer; Low instability; Sharkskin; Modelling1. Introduction et position du problèmeDans l’industrie de la plasturgie, le procédé d’obtention de produits finis ou semi-finis le plus utilisé est l’extru-sion. Ce procédé consiste à faire passer un matériau polymère fondu à travers une filière pour obtenir des films, desplaques, des tubes, des profilés, . . . Durant l’extrusion de polymères linéaires, tels que le polyéthylène haute densité(PEHD), apparaît à faible taux de cisaillement, alors que l’écoulement est encore stable (pas de variation périodiqueou chaotique de la pression dans le temps), une rugosité de la surface appelée peau de requin [1,2]. Ce phénomène* Auteur correspondant.Adresse e-mail : ahmed.allal@univ-pau.fr (A. Allal).1631-0705/$ – see front matter © 2007 Académie des sciences. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.crhy.2006.12.012110 A. Allal et al. / C. R. Physique 8 (2007) 109–114Fig. 1. Courbe schématique de la variation de la contrainte en fonction du taux de cisaillement pour un polymère linéaire.est un problème pour l’industrie de la transformation car il limite la cadence de production ainsi que la qualité desproduits extrudés. Par son importance économique, ce problème a fait, depuis ces cinquante dernières années, l’objetde nombreuses études qui tentent de relier les propriétés du polymère à l’état fondu aux conditions d’apparition deces instabilités d’extrusion.Notre travail s’inscrit dans cette thématique, avec pour objectif de relier l’apparition du défaut de peau de requinaux propriétés rhéologiques du polymère et, de façon plus fondamentale, à sa distribution des masses molaires.Pour étudier les instabilités d’extrusion, l’outil de référence est le rhéomètre capillaire. Son principe consiste àmesurer la perte de charge P à travers le capillaire pour un débit volumique Qv imposé. Pour un polymère linéaire,la variation de la pression en fonction du débit (ou de la contrainte en fonction du taux de cisaillement) se décomposeschématiquement en deux branches stables, nommées traditionnellement branche I et branche II, séparées par une zoneoscillante instable (Fig. 1) [3]. Pour la branche I, à faible débit, l’extrudat qui sort du capillaire est lisse (A). Lorsquele débit augmente, nous observons, sur l’extrudat, l’apparition du défaut de peau de requin (B), qui se présente sousl’aspect de fines craquelures perpendiculaires à la direction d’extrusion.Plusieurs auteurs tels que Kurtz [4], Ramamurthy [5], Kalida et Denn [6], El Kissi et al. [7], Wang et al. [8] ontobservé que le défaut de peau de requin apparaissait pour un taux de cisaillement correspondant à un changement depente de la courbe d’écoulement (Fig. 1). Ce résultat pourrait suggérer que le défaut de peau de requin soit dû à unmécanisme de glissement du polymère à la paroi du capillaire.A ce stade, on peut toutefois émettre deux objections : (i) le changement de pente n’est pas toujours observé. Cecine signifie pas qu’il n’y a pas de transition glissement faible/glissement fort, mais tout simplement que la contraintede transition est trop élevée ou que le niveau de glissement peut, dans certains cas, ne pas être suffisant pour produireun changement de pente ; (ii) il apparaît comme contradictoire que le glissement soit à l’origine du défaut de peaude requin alors qu’il est maintenant bien connu que l’on peut le supprimer complètement en utilisant des surfacesparfaitement glissantes [9–12].L’idée majeure pour atténuer ou supprimer le défaut de peau de requin est donc de faciliter le glissement à laparoi. Jusqu’ici, cela a principalement été accompli en modifiant la surface de l’outillage, directement ou en rajoutantau polymère des additifs qui vont, au cours du temps, migrer vers cette surface. La solution que nous proposonsaujourd’hui est de jouer uniquement sur la distribution des masses molaires du polymère pour arriver à ce résultat.2. Condition pour supprimer le défaut de peau de requinLorsque l’on fait s’écouler un polymère à travers un capillaire, des molécules viennent s’adsorber à la surface(surface de haute énergie). Comme le montrent de Gennes [13] et Guiselin [14], la couche de molécules ainsi forméeest constituée de boucles, de trains et de queues. Cette couche forme une pseudo-brosse. L’épaisseur L de cettepseudo-brosse est égale au rayon de giration Rg de la même molécule dans le fondu (Fig. 2). Nous supposons queA. Allal et al. / C. R. Physique 8 (2007) 109–114 111Fig. 2. Molécules à la paroi : (a) molécule adsorbée sur une surface de haute énergie ; (b) molécules greffées équivalentes à la molécule adsor-bée [14].pour les taux de cisaillement auxquels apparaît le défaut de peau de requin, l’écoulement ne modifie pas la structureet la taille de la pseudo-brosse. Elles restent celles définies par Guiselin et de Gennes.Dans un fondu, une molécule occupe une sphère dont la dimension caractéristique est son rayon de giration Rg .Lorsqu’elle s’adsorbe sur une surface de haute énergie, sous l’action de force de van der Waals, la molécule crée degrandes boucles dont la taille moyenne est Rg (R2g = N0b2/6, où N0 est le degré de polymérisation et b la distancemoyenne entre extrémités des monomères dont les mouvements sont corrélés).Pour éliminer le défaut de peau de requin, il faut favoriser le glissement fort. La première idée serait de dire qu’ilne faut pas que les boucles formées par les molécules adsorbées à la paroi de la filière soient enchevêtrées avec lesmolécules du volume. Dans ce cas, la longueur curviligne des boucles doit être inférieure ou égale à 5a/2 (a diamètredu tube selon Doi et Edwards). Sachant que l’épaisseur de la couche adsorbée Rg est aussi égale à la distance entreextrémités des boucles, la condition de non-enchevêtrement précédente se traduit par : Rg √2.5a. Ceci donne pourle degré de polymérisation la relation suivante : N0  15Ne (N0 est le nombre de monomères par chaîne et Ne lenombre de monomères entre points d’enchevêtrement).3. Cinétique des courtes chaînes à la paroiIl nous faut relier maintenant ce critère à la forme de la distribution des masses molaires. Celle-ci est caractériséepar Mn, la masse moyenne en nombre, qui caractérise la queue de basses masses de la distribution, Mw , la massemoyenne en poids, et l’indice de polydispersité Ip .A priori, il est naturel de penser que la distribution des masses moléculaires en paroi reflète celle du volume.Ceci est vrai en statique. Par contre, les choses changent si le polymère est soumis à un champ de cisaillement. Ilapparaît alors une ségrégation au niveau de la surface. En effet, comme le montrent expérimentalement Schreiberet al. [15], des extrudats de polyéthylène haute densité (HDPE) et basse densité linéaire (LLDPE) présentent, à lasortie du capillaire, un gradient radial de masse moléculaire. Par diffusion de lumière et viscosimètrie, ils ont montréque les petites molécules se trouvent à la surface de l’extrudat alors que les grandes molécules sont au centre. Cettemigration des petites chaînes vers la surface est également bien connue dans les opérations de coextrusion à traversune filière [16,17]. Il a été observé que le polymère le moins visqueux (donc avec des chaînes plus courtes) tend àenrober le polymère le plus visqueux. Ce phénomène est connu sous le nom d’encapsulation. L’explication physiquedonnée par les différents auteurs est la suivante : le fluide le moins visqueux enrobe le plus visqueux de manière àminimiser les dissipations d’énergie. Ceci montre clairement que, sous un champ de cisaillement, les petites moléculesse trouvent préférentiellement dans les zones cisaillées, c’est-à-dire à la surface. Ceci permet de valider l’hypothèsefaite précédemment. Enfin, nous pouvons aussi citer les travaux d’Ajji et al. [18] qui montrent expérimentalementque le taux de cisaillement critique d’apparition du défaut de peau de requin est contrôlé par les petites masses de ladistribution.Donc, nous pouvons assumer que, à la surface, ce sont les petites masses qui auront le plus d’importance. Larelation pour l’élimination du défaut de peau de requin, N0  15Ne, peut donc s’écrire :Mn  15Meoù Me est la masse molaire entre points d’enchevêtrement.112 A. Allal et al. / C. R. Physique 8 (2007) 109–1144. Confrontation avec l’expériencePour valider cette idée, nous avons relevé dans la littérature les masses molaires moyennes en masse Mw et ennombre Mn de polymères de différentes espèces chimiques, qui ont donné ou pas de défaut de peau de requin. Nousavons construit sur la Fig. 3 un graphique où nous avons présenté la variation du nombre d’enchevêtrement parmolécule, Mw/Me, en fonction de l’indice de polymolécularité Ip . En effet, si Mw/Mn = Ip et si Mn  kMe , alorsMw/Me  kIp .La Fig. 3 montre que la frontière entre la région où il y a défaut de peau de requin (◦) et celle où il n’y a pasde défaut (•) peut être une droite d’équation : Mn ≈ 12Me, ce qui signifie que l’épaisseur de la couche adsorbée estRg ≈ a. Ce résultat est compatible avec le fait que les boucles ne sont pas enchevêtrées aux molécules du volume etest cohérent avec un glissement fort permanent.Fig. 3. Domaine du défaut de peau de requin. Variation du nombre d’enchevêtrement par chaîne en fonction de l’indice de polymolécularité (voirTableau 1).Fig. 4. Forme de distribution des masses molaires pour supprimer le défaut de peau de requin.A. Allal et al. / C. R. Physique 8 (2007) 109–114 113Tableau 1Caractéristiques moléculaires et défaut de peau de requinPolymère Mw (g/mol) Ip Me (g/mol) Mw/Me Défaut RéférencePS 295 620 2,17 18 500 15,98 NS [20]PS 186 000 1,07 18 500 10,05 NS [21]PS 760 000 1,14 18 500 41,08 SS [21]msPP 160 000 4,5 2200 72,73 SS [22]msPP 120 000 4,1 2200 54,55 SS [22]msPP 115 000 3,6 2200 52,27 SS [22]msPP 87 000 3,4 2200 39,55 SS [22]miPP 203 000 2,5 7000 29 NS [22]miPP 160 000 2,8 7000 22,86 SS [22]HDPE 200 000 17 1500 133,33 NS [3]HDPE 280 000 7,5 1500 186,67 SS [23]LLDPE 65 000 2,5 1500 43,33 SS [24]LLDPE 55 000 3,5 1500 36,67 NS [20]EPR 100 000 1,43 1859 53,8 SS [20]EPR 140 000 1,56 2460 56,9 SS [20]EHR 230 000 1,77 2581 89,1 SS [20]EHR 230 000 1,77 3959 58,1 SS [20]EHR 250 000 1,67 4912 50,9 SS [20]EHR 230 000 1,64 6199 37,1 SS [20]PDMS 131 000 1,9 8500 15,41 SS [7]PDMS 156 000 2,8 8500 18,35 SS [7]PDMS 418 000 3,2 8500 49,18 SS [7]PDMS 428 000 2,9 8500 50,35 SS [7]PDMS 758 000 3,9 8500 89,17 SS [7]PDMS 1 670 000 7,9 8500 196,47 SS [7]PB 38 000 1,22 2150 17,70 SS [25]PB 67 500 1,2 2150 31,40 SS [25]PB 102 000 1,1 2150 47,40 SS [25]PB 151 000 1,1 2150 70,20 SS [25]PB 204 000 1,1 2150 94,90 SS [25]PB 240 000 1,1 2150 112,00 SS [25]PB 320 000 1,1 2150 149,00 SS [25]PB 580 000 1,11 2150 270,00 SS [25]PI 106 000 2,03 7000 15,10 NS [25]PI 148 000 1,61 7000 21,10 NS [25]PI 282 000 1,14 7000 40,30 SS [25]PI 355 000 1,14 7000 50,70 SS [25]PI 380 000 1,1 7000 54,30 SS [25]PI 422 000 1,05 7000 60,30 SS [25]PI 575 000 1,02 7000 82,10 SS [25]PI 602 000 1,1 7000 86,00 SS [25]– NS : pas de défaut de peau de requin, SS : défaut de peau de requin ;– PS : polystyrène, msPP : polypropylène syndiotactique métallocène, miPP : polypropylène isotactique métallocène, HDPE : polyéthylène hautedensité, LLDPE : polyéthylène basse densité linéaire, PDMS : polydimethylsiloxane, PB : polybutadiène, PI : polyisoprène.Ce résultat est intéressant car il montre qu’en dessous d’une certaine masse molaire, il y a théoriquement glissementfort et donc plus de défaut de peau de requin. Mais la thermodynamique de l’adsorption est très subtile. Manghi [19]explique que la tension de surface résulte de la compétition entre deux effets : d’une part, l’attraction des bouts dechaîne vers la surface, d’autre part l’entropie des boucles. Cette compétition est gouvernée par un degré de poly-mérisation caractéristique N∗0 . L’effet des bouts de chaîne domine pour N0 < N∗0 , tandis que l’entropie associée àla polymolécularité en taille des bouts de chaîne domine pour N0 > N∗0 . N∗0 est fonction de l’énergie d’adsorptionikBT des monomères des extrémités des chaînes (où i est un nombre entier, kB la constante de Boltzmann et T latempérature absolue) : N∗0 = exp(i8/3). Dans le cas qui nous intéresse, i est de l’ordre de l’unité car, d’une part, il n’ya pas de modification chimique des extrémités et, d’autre part, l’énergie d’interaction monomère-surface est de typevan der Waals.114 A. Allal et al. / C. R. Physique 8 (2007) 109–114Si nous supposons que N∗0 = 12Ne, nous obtenons pour toutes les espèces chimiques de polymères 2 < i < 3. Cerésultat semble acceptable compte tenu des considérations précédentes.5. ConclusionCette étude nous a permis de mettre en place plusieur résultats importants : (i) d’une part, pour éviter le défautde peau de requin, il faut favoriser le glissement fort. Pour ce faire, il faut que la longueur des boucles formées parle polymère adsorbé à la surface de la paroi de la filière soit telle que ces boucles ne soient pas enchevêtrées. Cettecondition impose que Mn  12Me. Pour ces tailles de molécules, les bouts de chaîne sont attirés par la paroi, ce quidiminue encore les interactions entre les chaînes adsorbées et celles du volume ; (ii) d’autre part, cette condition nousamène à proposer que la distribution des masses moléculaires respecte la forme de la Fig. 4. Ainsi, pour supprimerle défaut de peau de requin, il faut que la masse moyenne en nombre Mn soit voisine de 10Me. Pour que le matériausoit transformable, il faut aussi qu’il respecte une certaine viscosité. Celle-ci est contrôlée par la masse moyenne enmasse Mw .RemerciementsNous remercions pour leur soutien financier la Communauté Européenne dans le cadre du projet 3PI (Post-pone Polymer Processing Instabilities, programme GROWTH, contrat GSRT-CT-2000-00238) et le Conseil Régionald’Aquitaine dans le cadre du CTP sur les instabilités d’extrusion de polymères chargés. Nous remercions aussiCyprien Gay pour les discussions enrichissantes et fructueuses sur cet article.Références[1] C.J.S. Petrie, M.M. Denn, AIChE J. 22 (1976) 209.[2] R.G. Larson, Rheol. Acta 31 (1992) 213.[3] L. Robert, Instabilité oscillante de polyéthylènes linéaires : observations et interprétations, Thèse de Doctorat, Université de Nice Sophia-Antipolis, 2001.[4] S.J. Kurtz, in: B. Mena, A. Garcia Rejon, C. 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