Bruera, Franca

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07 January 2023AperTO - Archivio Istituzionale Open Access dell'Università di TorinoOriginal Citation:Une voix protéiforme et polymorpheTerms of use:Open Access(Article begins on next page)Anyone can freely access the full text of works made available as "Open Access". Works made availableunder a Creative Commons license can be used according to the terms and conditions of said license. Useof all other works requires consent of the right holder (author or publisher) if not exempted from copyrightprotection by the applicable law.Availability:This is the author's manuscriptThis version is available http://hdl.handle.net/2318/1845443 since 2022-03-03T12:30:58ZFOCUS F. BRUERA • Une voix protéiforme et polymorphe     7 CoSMo  Comparative Studies in Modernism n. 19 (Fall) • 2021 FRANCA BRUERA UNE VOIX PROTÉIFORME ET POLYMORPHE     André Salmon (1881-1969) a été l’un des animateurs les plus fervents de la vie artistique parisienne entre les premières années du XXe siècle et le début de la deuxième guerre mondiale. Membre fondateur de « la bande à Picasso », celui que Max Jacob nommait « le précurseur », il a été tout au long de l’histoire du court XXe siècle une figure centrale de la scène artistique de Montmartre et de Montparnasse, comme en témoignent les portraits de lui qui ont été réalisés par Pablo Picasso, Marie Laurencin, Amedeo Modigliani et maints autres artistes et écrivains venus de tous les horizons, tels que Léopold Survage, Moïse Kisling, Nino Frank, Constantin Brancusi, Ricciotto Canudo, etc.  Figure essentielle du renouveau littéraire et artistique prôné par les avant-gardes du début du siècle, témoin de la naissance du cubisme au Bateau-Lavoir, il a été l’un des grands explorateurs de la modernité aussi bien par son talent d’écrivain, que par son inlassable activité de critique d’art. C’est à lui notamment que l’on doit le titre attribué au célèbre tableau de Picasso Les Demoiselles d’Avignon (1907) et également celui de Joconde du Cubisme, qu’il a donné au tableau Le Goûter (1911) de Jean Metzinger. Et c’est encore à lui qu’il faut reconnaître le mérite d’avoir découvert le génie d’Amedeo Modigliani, ce jeune inconnu « beau à faire trembler la beauté et vaciller la grâce » (Salmon 1961, 281) débarqué à Paris en 1906 et dont Salmon a continué de souligner le talent et la singularité dans les portraits biographiques qu’il lui a consacrés entre 1920 et 1957. Poète, romancier et mémorialiste, ami et compagnon de route de Guillaume Apollinaire, de Max Jacob, de Pablo Picasso, de Gino Severini, il s’est mesuré avec la plus part des formes de la création littéraire au cours d’une longue carrière qui s’étend de 1905 - date de son exorde poétique avec le recueil Poèmes – jusqu’en 1968, date qui coïncide avec son dernier ouvrage, le roman Le monocle à deux coups.  Journaliste de profession, au cours des difficiles années 1930 et 1940 il a voyagé à travers l’Europe comme envoyé spécial, en témoignant de la naissance des totalitarismes, de la guerre civile espagnole, de l’invasion nazi en Europe, de la crise politique, culturelle et économique qui a conduit à la deuxième guerre mondiale, jusqu’à l’après-guerre des nouvelles ententes européennes.  Dans sa traversée du XXe siècle, André Salmon a donc exploré de nombreuses formes d’écriture et a donné vie à une œuvre polymorphe qui témoigne d’une trajectoire FOCUS F. BRUERA • Une voix protéiforme et polymorphe     8 CoSMo  Comparative Studies in Modernism n. 19 (Fall) • 2021 d’écrivain très dense, faite aussi de multiples collaborations et de rencontres marquantes aussi bien dans la période de son « existence collective » (Salmon 1961, 9), comme lui-même il définit ses expériences au cœur du groupe des artistes et des écrivains à l’époque des avant-gardes littéraires, que dans les années 1950 et 1960, qui témoignent de ses rapports jamais interrompus avec les amis d’antan, parmi lesquels Ardengo Soffici et Gino Severini qui n’a pas manqué d’en tracer le portrait dans ses mémoires – La vita di un pittore (1965) – en soulignant tout particulièrement son rôle de critique d’art partisan du Cubisme.  L’« existence collective » d’André Salmon a pris forme dans le contexte européen cosmopolite de toute une génération d’artistes nés autour de 1880. Il a vécu dans un atelier du Bateau-Lavoir et fréquenté Pablo Picasso jusqu’à en partager les amitiés et les recherches artistiques, comme Le Manuscrit trouvé dans un chapeau (1919, livre illustré avec des dessins à la plume de Picasso et textes de Salmon) en témoigne. Guillaume Apollinaire a été son ami fraternel. Ils avaient le même âge, les mêmes goûts, ils ont fréquenté les mêmes artistes et les mêmes milieux littéraires. Ils ont collaboré aux mêmes revues et témoigné de leur exigence de participation active au renouveau du langage artistique et littéraire par la fondation et la direction de la revue Le Festin d’Ésope (1903-1904) et par leurs expériences théâtrales communes remontant aux années 1903-1906, lorsqu’ils ont écrit à quatre mains les trois pièces théâtrales La Température, Le Marchand d’anchois e Jean-Jacques. C’est précisément à partir de ces années-là qu’André Salmon s’est fait connaître pour ses qualités poétiques et pour son lyrisme renouvelé : Fééries, deuxième recueil du poète, qui remonte à 1907 – tout comme les Demoiselles d’Avignon de Picasso – se distingue notamment par l’audace formelle de ses vers libres et par ses modulations proches de l’écriture en prose.  Si jusqu’aux années de la première guerre mondiale Salmon s’est consacré principalement à la poésie, à partir de l’après-guerre il a commencé à intensifier son activité de narrateur et de critique. La jeune sculpture française (suite de La jeune peinture française de 1912) date de 1919, L’Art Vivant de 1920 et Propos d’Atelier de 1922. Au cours de ces mêmes années, de nouvelles voix d’avant-garde commençaient à se faire entendre avec fracas en Europe. Pour Salmon, Dada ne représentait aucune nouveauté par rapport à l’expérimentation extraordinaire de sa propre génération. Dans ses Souvenirs sans fin il écrivait à propos du Surréalisme : « Personne n’oserait contester l’importance de la redoutable expérience surréaliste. André Breton et les siens ont voulu mêler l’art à la vie comme nous l’avions tenté aux soirs du « Soleil d’or » et aux matins du Bateaux Lavoir » (Salmon 1961, 61-62). Hostile depuis toujours aux étiquettes, il a souvent manifesté sa capacité à échapper aux entrelacs théoriques de l’esprit : « Je n’ai jamais signé le moindre manifeste. Je ne suis pas, comme de naissance, président ou chef d’école. Je n’ai pas eu, satisfait de mon modernisme et de ce que l’on savait reconnaître, besoin d’adhérer à l’Esprit Nouveau » (Salmon 1961, 232).  FOCUS F. BRUERA • Une voix protéiforme et polymorphe     9 CoSMo  Comparative Studies in Modernism n. 19 (Fall) • 2021 À partir de la publication du recueil de contes Monstres Choisis en 1918 et du poème épique sur la révolution russe, Prikaz (1919), Salmon semble avoir voulu rester hors de la mêlée avant-gardiste pour se consacrer à de nouvelles recherches conjuguant sa passion pour les lettres et pour les arts. C’est ainsi qu’en 1919 il a publié Le Manuscrit trouvé dans un chapeau, orné de dessins de Pablo Picasso, qui demeure l’un des exemples les plus formidables de « cubisme littéraire » (Gojard 1983). Les années qui ont suivi ont été très riches en publications assez différentes entre elles : une œuvre majeure de critique d’art, les romans La négresse du Sacré Cœur (1920) et l’Entrepreneur d’illumination (1920), L’Amant des Amazones (1921), des recueils de poèmes Le livre et la bouteille (1920), Vente d’amour (1920), L’Age de l’humanité (1921) et Peindre (1921). À partir des années 1920, Salmon a également commencé une intense activité journalistique auprès de grands quotidiens populaires : L’Intransigeant, Paris Journal, Gil Blas, L’Éveil, Le Matin, et de janvier 1928 jusqu’au mois d’août 1944, il a collaboré au Petit Parisien. Au cours de cette période très intense, Salmon a suivi de près les événements de la guerre d’Espagne, les conflits des Balkans et a voyagé entre la Corse, l’Autriche, le nord et le sud de la France. Sa participation au journal de la zone occupée Le Petit Parisien, vaudra à Salmon une peine de cinq ans d’indignité nationale. Cette condamnation sommaire et arbitraire – comme l’a montré Marilena Pronesti dans son livre (Pronesti 1996) – est sans doute à l’origine de la réception problématique, intermittente et fragmentaire de l’écrivain journaliste après la libération.  Au cours de ses dernières années, André Salmon, a poursuivi son activité de critique littéraire et d’auteur et a été élu conseiller communal sur la liste locale de gauche à Sanary-sur-Mer (Var). En décembre 1964, l’Académie Française lui a décerné le Grand Prix de Poésie pour l’ensemble de son œuvre poétique. Si on fait la somme des principales œuvres poétiques, des romans, des œuvres dramatiques, des essais d’art, des monographies de peintres publiés par Salmon entre 1905 et 1968 on peut compter presque soixante-dix ouvrages signés de son nom. À cette production il faut ajouter notamment tout ce qu’il a écrit en tant que journaliste ; entre 1903 et 1944, il a collaboré à plus de trois cents périodiques : des petites revues d’arts ou de lettres aux grands quotidiens français. Des milliers de pages composent donc la galaxie de l’écriture d’André Salmon ; dans une interview de 1931 dans Les Nouvelle Littéraires du 20 novembre 1931 Georges Charensol demandait à Salmon : « Poésie, roman, reportage, critique, vous avez pratiqué tous les genres littéraires. Y-a-t-il rupture de l’un à l’autre ? » « Très peu, le moins possible », lui répondait Salmon, en ajoutant : « la plus part des choses que j’écris le sont dans un esprit, un sentiment à peu près égal et mes romans sont composés exactement comme mes longs poèmes. »  *  *  *  FOCUS F. BRUERA • Une voix protéiforme et polymorphe     10 CoSMo  Comparative Studies in Modernism n. 19 (Fall) • 2021 Les articles ici réunis se proposent d’ouvrir de nouvelles pistes de lecture à travers tous les territoires d’expression investis par cet écrivain, dont les œuvres ont été animées par les révolutions esthétiques et idéologiques qui ont secoué l’histoire moderne du monde occidental. André Salmon a été non seulement le chantre de son époque, mais aussi un témoin et un acteur majeur dont l’œuvre foisonnante mérite d’être relue aujourd’hui et resituée dans le paysage culturel du XXe siècle.  Poète avant tout, témoin des bouleversements de son temps depuis ses débuts littéraires, Salmon a su saisir le quotidien et en faire un instrument de renouvellement du langage poétique le sous le signe de la fantasmagorie. Dans Prikaz (1919), qui fait l’objet de l’article d’Alexandre Dickow, l’expérience de la première guerre mondiale se noue à des souvenirs de jeunesse (l’enfance en Russie de Salmon) et à la barbarie des événements de la révolution russe élevée à « mythe moderne de la violence atroce et purificatrice » à la fois, comme l’écrivait Germana Orlandi Cerenza dès 1987 dans la première monographie consacrée à l’écrivain publiée en Italie par des spécialistes des avant-gardes littéraires et artistiques internationales du XXe siècle. Dickow relit ce long poème en mettant l’accent sur le rêve de rupture poursuivi par Salmon, qui rappelle celui de la modernité poétique, de forger une parole inédite par le mélange volontaire de faits et de mensonges. Son analyse porte sur la polyphonie de Prikaz, qui propose une fresque carnavalesque de la Révolution russe sans jamais rassembler les perspectives et les points de vue des nombreux personnages en une seule vision totalisante.  Écrivain prolifique dans les années 1920, dont l’inventivité esthétique a été trop longtemps sous-estimée, Salmon participe avec ses romans au « tournant spatial » du genre romanesque, comme l’écrit Emilien Sermier dans son article. La Négresse du Sacré-Coeur (1920), Archives du Club-des-Onze (1924) et d’Une Orgie à Saint-Petersbourg (1925) témoignent d’une poétique romanesque encore une fois polyphonique à re-situer dans le contexte du modernisme international, comme ses « romans urbains » en témoignent par le montage simultanéiste qui les caractérise et la fonction centrale de la ville, non pas simplement décor, mais sujet principal des romans salmoniens de ces années-là. L’un des traits les plus évidents d’André Salmon est sans aucun doute la variété des intérêts qui en a dessiné l’image protéiforme et polymorphe d’auteur difficile à classer et dont l’œuvre « vaste, trop vaste, confuse trop confuse » (Faucherau 1986, 8) justifierait la difficile fortune critique. Et pourtant, comme les articles de Peter Read, Jacqueline Gojard et Alessandro Maras le montrent à la lumière de recherches bien plus approfondies sur l’auteur, la versatilité foncière du poète semble plus un avantage qu’un défaut. « La plume de Salmon oscille facilement entre vers et dessins » écrit Peter Read dans son article, en montrant comment à la « sensibilité artistique » de Salmon a pu répondre la « fibre poétique » de Picasso. Jacqueline Gojard et Alessandro Maras ouvrent quant à eux de nouvelles pistes de lecture critique des intérêts de Salmon pour la musique de son époque et pour la musique savante, sujet qui n’a jusqu’à présent jamais FOCUS F. BRUERA • Une voix protéiforme et polymorphe     11 CoSMo  Comparative Studies in Modernism n. 19 (Fall) • 2021 été abordé par les commentateurs et qui permet de mieux comprendre les raisons de l’alliance entre poésie et chanson dans son œuvre ainsi que le regard détaché qu’il porte sur la musique cultivée.  L’activité journalistique de Salmon fait l’objet des contributions de Maria Dario et de Marilena Pronesti. La première porte sur la question du rapport entre l’œuvre poétique de Salmon et le journal en tant que source de formes, modèles et pratiques d’écriture et se concentre sur les grandes épopées de l’après-guerre (Prikaz, Peindre et L’Age de l’Humanité), dans lesquelles Salmon met au point une forme que Maria Dario définit comme « poème-reportage ». Marilena Pronesti s’interroge sur les raisons de la damnatio memoriae qui a frappé André Salmon et présente pour la première fois ses toutes dernières recherches auprès des Archives Nationales de Paris ou elle a pu consulter le « Dossier Salmon » et mieux comprendre, à travers des témoignages jusqu’à présent inexplorés et des documents originaux de l’enquête judiciaire, le long parcours et les raisons à l’origine du procès intenté à André Salmon.  Pour conclure, Jacqueline Gojard présente dans son article des documents inédits qui permettent une relecture renouvelée et enrichie des rapports d’amitié et de collaboration entre André Salmon et Guillaume Apollinaire, rapports qui ont duré quinze ans. En dépit d’une vie difficile placée sous le signe de la solidarité et de la rivalité en même temps, malgré une entente parfois difficile en raison du désir d’hégémonie de l’un, au besoin d’indépendance de l’autre, Jacqueline Gojard a montré comment ces deux poètes, tout en allant chacun son chemin, ont réussi à ne jamais couper les liens qui les unissaient. Pionnière dans les recherches sur la figure d’André Salmon, Jacqueline Gojard accomplit et légitime ainsi, de façon tout à fait novatrice, le projet de ce dossier salmonien qui voudrait œuvrer à la redécouverte de cet écrivain par de nouvelles approches, de nouvelles sources, de nouveaux regards.  BIBLIOGRAPHIE FAUCHEREAU, S. 1983. Préface à A. Salmon. Carreaux et autres, Paris : Gallimard. GOJARD, J. 1983. Le manuscrit trouvé dans un Chapeau. Paris : Fata Morgana. ORLANDI CERENZA, G. 1987. André Salmon “Prince e l’épopée”. Lo spazio epico in Prikaz. In Quaderni del Novecento Francese n. 9 – André Salmon. Roma/Paris : Bulzoni/Nizet. PRONESTI, M. 1996. Polvere di Storia. André Salmon Giornalista 1936-1944. Roma/Paris : Bulzoni/Nizet. SALMON, A. 1957. La vie passionnée de Modigliani. Verviers/Paris. : Gérard et Cie. — 1961. Souvenirs sans fin. Troisième Époque 1920-1940. Paris : Gallimard.  SEVERINI, G. 1965. La vita di un pittore. Roma : Edizioni di Comunità.   FOCUS F. BRUERA • Une voix protéiforme et polymorphe     12 CoSMo  Comparative Studies in Modernism n. 19 (Fall) • 2021  

Une voix protéiforme et polymorphe

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