In his last letter to Crelle, Abel states a criterion for the solvability by radicals of an irreducible equation of prime degree. Sylow finds Abel’s statement ambiguous, and writes that it should be modified. We show the correctness of Abel’s original statement

Pierre Deligne

Comptes Rendus Mathématique

Comptes RendusMathématiquePierre DeligneLe critère d’Abel pour la résolubilité par radicaux d’une équationirréductible de degré premierVolume 359, issue 7 (2021), p. 919-921<https://doi.org/10.5802/crmath.242>© Académie des sciences, Paris and the authors, 2021.Some rights reserved.This article is licensed under theCreative Commons Attribution 4.0 International License.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/Les Comptes Rendus. Mathématique sont membres duCentre Mersenne pour l’édition scientifique ouvertewww.centre-mersenne.orgComptes RendusMathématique2021, 359, n 7, p. 919-921https://doi.org/10.5802/crmath.242Théorie des Groupes / Group theoryLe critère d’Abel pour la résolubilité parradicaux d’une équation irréductible de degrépremierAbel’s criterion for the solvability by radicals of anirreducible equation of prime degreePierre Deligne∗, aa Institute for Advanced Study, Princeton, NJ 08540, USA.Courriel : deligne@math.ias.eduRésumé. Dans sa dernière lettre à Crelle, Abel énonce un critère pour déterminer si une équation irréductiblede degré premier est résoluble par radicaux. Sylow dit cet énoncé ambigu et devant être modifié. Nousmontrons que le critère donné par Abel est correct tel quel.Abstract. In his last letter to Crelle, Abel states a criterion for the solvability by radicals of an irreducibleequation of prime degree. Sylow finds Abel’s statement ambiguous, and writes that it should be modified.We show the correctness of Abel’s original statement.Manuscrit reçu le 21 août 2020, révisé le 1 juin 2021, accepté le 5 juillet 2021.Dans sa dernière lettre à Crelle, datée du 18 Octobre 1828 et reproduite dans [1], Abel énoncele critère suivant pour qu’une équation irréductible de degré premier soit résoluble par radicaux :« Si trois racines d’une équation quelconque irréductible d’un degré marqué parun nombre premier, sont liées entre elles de la manière que l’on pourra exprimerl’une de ces racines rationnellement en les deux autres, l’équation sera toujoursrésoluble par radicaux. »La théorie de Galois fournit du critère d’Abel la traduction suivante.Théorème. Soient p un nombre premier et G un groupe transitif de permutations d’un ensembleE à p éléments. Pour que le groupe G soit résoluble il (faut et il) suffit que quel que soit le choix detrois éléments dans E, il existe un de ces trois éléments qui est fixé par tous les éléments de G quifixent les deux autres.∗Auteur correspondant.ISSN (electronic) : 1778-3569 https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/mathematique/920 Pierre DeligneDans l’article [3] à l’occasion du centenaire de la naissance d’Abel, Sylow écrit page 18 :« Abel s’est toutefois exprimé inexactement ou au moins peu clairement, eta sans doute voulu dire que toutes les racines devaient pouvoir s’exprimerrationnellement en fonction de deux d’entre elles, toujours les mêmes. Priserigoureusement à la lettre, la proposition est inexacte, car il existe une classed’équations à laquelle elle ne s’applique pas, tout ou moins lorsque le degré estde la forme 2k −1. »Nous montrons que, nonobstant ce que dit Sylow, l’énoncé d’Abel est correct. Nous n’avonstoutefois aucune idée de quelle était sa preuve.La preuve du lemme qui suit est due à Galois [2, propositions VI, VII et VIII].Lemme. Avec les hypothèses et notations du théorème, les conditions suivantes sont équivalentes :(i) Il existe deux éléments de E tels que le seul élément de G qui les fixe soit l’identité.(ii) |G| < p2.(iii) G contient un sous-groupe distingué A d’ordre p.(iv) Une indexation Z/p →̃ E transforme G en un sous-groupe du groupe des affinités x 7→ax +b, contenant les translations.(v) G est résoluble.Démonstration.(i) ⇒ (ii). En effet, (i) implique que |G| ≤ p (p −1), le nombre de paires ordonnées d’élémentsde E .(ii)⇒ (iii). Puisque G agit transitivement sur E , p divise l’ordre |G| de G et, d’après un théorèmede Cauchy, G contient un sous-groupe cyclique A d’ordre p. Il ne peut en contenir un deuxième,B , car on aurait dans ce cas |AB | = p2 ≤ |G|. Le sous-groupe A, étant unique, est distingué.(iii) ⇒ (iv). Identifions E à Z/p de sorte que A soit le groupe des translations. Le groupe G estalors contenu dans le groupe affine des x 7→ ax +b, qui est le normalisateur de A dans le groupesymétrique SE .(iv) ⇒ (i) et (v). Clair.(v) ⇒ (iv). Soit {e} = G0 ⊂ G1 ⊂ . . . ⊂ Gn = G une suite strictement croissante de sous-groupesde G , avec Gi distingué dans Gi+1 et Gi+1/Gi cyclique. Par hypothèse, l’action de G sur E esttransitive et fidèle. Si H ⊂ G est un sous-groupe distingué, ses orbites dans E ont toutes le mêmenombre d’éléments. Si H 6= {e}, H est donc transitif. Appliquant cet argument aux Gi , on voitpar récurrence descendante que les Gi (i > 0) sont transitifs. Le groupe G1 est commutatif et agitfidèlement. Il est donc cyclique d’ordre p. Comme dans la preuve de (iii) ⇒ (iv), on peut identifierE à Z/p de sorte que G1 soit le groupe des translations. Puisque G2 normalise G1, il est contenudans le groupe affine, et G1 est l’unique sous-groupe d’ordre p de G2. Puisque G2 est distinguédans G3, G3 normalise le sous-groupe caractéristique G1 de G2, et est contenu dans le groupeaffine. Répétant l’argument jusqu′à atteindre Gn , on obtient (iv). Preuve du théorème. Si G est résoluble, on applique la partie (v) ⇒ (iv) du lemme. Réciproque-ment, supposons que G vérifie la condition énoncée par Abel. Nous prouverons (i) du lemme.Puisque G agit transitivement sur E , p = |E | divise l’ordre de G , et G contient une permutationh de E d’ordre p. Identifions E à Z/p, de sorte que h soit la permutation n 7→ n +1 de Z/p. Pourvérifier (i) du lemme, nous n’aurons à utiliser la condition énoncée par Abel que pour les triplets{a,b,c} en progression arithmétique.Pour p = 2, l’énoncé est trivial. Supposons p > 2. Supposons d’abord que pour un k 6= 0 et untriplet de la forme {a, a +k, a +2k}, tout g dans G fixant a et a +k fixe aussi a +2k. Conjuguantpar une puissance de h, on obtient le même énoncé pour tout a. Si g fixe a et a +k, il fixe (a +k)C. R. Mathématique — 2021, 359, n 7, 919-921Pierre Deligne 921et (a +k)+k, et donc a +3k. Itérant l’argument, on voit que g fixe tous les a +nk, c’est à dire Etout entier. La clause (i) du lemme est donc vérifiée par a et a +k.Appliquant ceci à - k et au triplet {a +2k, a +k, a}, on voit que si tout g dans G fixant a +2k eta +k fixe aussi a, la clause (i) du lemme est vérifiée par a +2k et a +k.Si pour aucun triplet en progression arithmétique ces arguments ne permettent de conclure,alors, quels que soient a et b distincts, si g dans G fixe a et b, g fixe aussi 12 (a +b). Sous cettehypothèse, montrons par récurrence sur n que si g fixe 0 et b, g fixe aussi les 2−n .i .b pour0 ≤ i ≤ 2n . Considérant deux i consécutifs, et leur moyenne, on obtient en effet les 2−(n+1)i .b(i impair) à partir des 2−n .i .b. Dès que 2n ≥ p, E entier est atteint de sorte que la clause (i) dulemme est vérifiée par 0 et b. Références[1] N. H. Abel, Oeuvres complètes. Nouvelle édition publiée aux frais de l’État Norvégien par MM. L. Sylow et S. Lie.,Christiania. Grøndahl et Søn, 1881, Tome 2, XXII, p. 270.[2] É. Galois, « Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux », J. Math. Pures et Appl. 11 (1846),p. 417-433.[3] L. Sylow, « Les études d’Abel et ses découvertes », in Niels Henrik Abel, Mémorial publié à l’occasion du centenaire desa naissance, Christiania. Grøndahl et Søn, 1902.C. R. Mathématique — 2021, 359, n 7, 919-921

Le critère d’Abel pour la résolubilité par radicaux d’une équation irréductible de degré premier

Deligne, Pierre

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Comptes RendusMathématiquePierre DeligneLe critère d’Abel pour la résolubilité par radicaux d’une équationirréductible de degré premierVolume 359, issue 7 (2021), p. 919-921Published online: 17 September 2021https://doi.org/10.5802/crmath.242This article is licensed under theCreative Commons Attribution 4.0 International License.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/Les Comptes Rendus. Mathématique sont membres duCentre Mersenne pour l’édition scientifique ouvertewww.centre-mersenne.orge-ISSN : 1778-3569Comptes RendusMathématique2021, 359, n 7, p. 919-921https://doi.org/10.5802/crmath.242Théorie des Groupes / Group theoryLe critère d’Abel pour la résolubilité parradicaux d’une équation irréductible de degrépremierAbel’s criterion for the solvability by radicals of anirreducible equation of prime degreePierre Deligne∗, aa Institute for Advanced Study, Princeton, NJ 08540, USA.Courriel : deligne@math.ias.eduRésumé. Dans sa dernière lettre à Crelle, Abel énonce un critère pour déterminer si une équation irréductiblede degré premier est résoluble par radicaux. Sylow dit cet énoncé ambigu et devant être modifié. Nousmontrons que le critère donné par Abel est correct tel quel.Abstract. In his last letter to Crelle, Abel states a criterion for the solvability by radicals of an irreducibleequation of prime degree. Sylow finds Abel’s statement ambiguous, and writes that it should be modified.We show the correctness of Abel’s original statement.Manuscrit reçu le 21 août 2020, révisé le 1 juin 2021, accepté le 5 juillet 2021.Dans sa dernière lettre à Crelle, datée du 18 Octobre 1828 et reproduite dans [1], Abel énoncele critère suivant pour qu’une équation irréductible de degré premier soit résoluble par radicaux :« Si trois racines d’une équation quelconque irréductible d’un degré marqué parun nombre premier, sont liées entre elles de la manière que l’on pourra exprimerl’une de ces racines rationnellement en les deux autres, l’équation sera toujoursrésoluble par radicaux. »La théorie de Galois fournit du critère d’Abel la traduction suivante.Théorème. Soient p un nombre premier et G un groupe transitif de permutations d’un ensembleE à p éléments. Pour que le groupe G soit résoluble il (faut et il) suffit que quel que soit le choix detrois éléments dans E, il existe un de ces trois éléments qui est fixé par tous les éléments de G quifixent les deux autres.∗Auteur correspondant.ISSN (electronic) : 1778-3569 https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/mathematique/920 Pierre DeligneDans l’article [3] à l’occasion du centenaire de la naissance d’Abel, Sylow écrit page 18 :« Abel s’est toutefois exprimé inexactement ou au moins peu clairement, eta sans doute voulu dire que toutes les racines devaient pouvoir s’exprimerrationnellement en fonction de deux d’entre elles, toujours les mêmes. Priserigoureusement à la lettre, la proposition est inexacte, car il existe une classed’équations à laquelle elle ne s’applique pas, tout ou moins lorsque le degré estde la forme 2k −1. »Nous montrons que, nonobstant ce que dit Sylow, l’énoncé d’Abel est correct. Nous n’avonstoutefois aucune idée de quelle était sa preuve.La preuve du lemme qui suit est due à Galois [2, propositions VI, VII et VIII].Lemme. Avec les hypothèses et notations du théorème, les conditions suivantes sont équivalentes :(i) Il existe deux éléments de E tels que le seul élément de G qui les fixe soit l’identité.(ii) |G| < p2.(iii) G contient un sous-groupe distingué A d’ordre p.(iv) Une indexation Z/p →̃ E transforme G en un sous-groupe du groupe des affinités x 7→ax +b, contenant les translations.(v) G est résoluble.Démonstration.(i) ⇒ (ii). En effet, (i) implique que |G| ≤ p (p −1), le nombre de paires ordonnées d’élémentsde E .(ii)⇒ (iii). Puisque G agit transitivement sur E , p divise l’ordre |G| de G et, d’après un théorèmede Cauchy, G contient un sous-groupe cyclique A d’ordre p. Il ne peut en contenir un deuxième,B , car on aurait dans ce cas |AB | = p2 ≤ |G|. Le sous-groupe A, étant unique, est distingué.(iii) ⇒ (iv). Identifions E à Z/p de sorte que A soit le groupe des translations. Le groupe G estalors contenu dans le groupe affine des x 7→ ax +b, qui est le normalisateur de A dans le groupesymétrique SE .(iv) ⇒ (i) et (v). Clair.(v) ⇒ (iv). Soit {e} = G0 ⊂ G1 ⊂ . . . ⊂ Gn = G une suite strictement croissante de sous-groupesde G , avec Gi distingué dans Gi+1 et Gi+1/Gi cyclique. Par hypothèse, l’action de G sur E esttransitive et fidèle. Si H ⊂ G est un sous-groupe distingué, ses orbites dans E ont toutes le mêmenombre d’éléments. Si H 6= {e}, H est donc transitif. Appliquant cet argument aux Gi , on voitpar récurrence descendante que les Gi (i > 0) sont transitifs. Le groupe G1 est commutatif et agitfidèlement. Il est donc cyclique d’ordre p. Comme dans la preuve de (iii) ⇒ (iv), on peut identifierE à Z/p de sorte que G1 soit le groupe des translations. Puisque G2 normalise G1, il est contenudans le groupe affine, et G1 est l’unique sous-groupe d’ordre p de G2. Puisque G2 est distinguédans G3, G3 normalise le sous-groupe caractéristique G1 de G2, et est contenu dans le groupeaffine. Répétant l’argument jusqu′à atteindre Gn , on obtient (iv). Preuve du théorème. Si G est résoluble, on applique la partie (v) ⇒ (iv) du lemme. Réciproque-ment, supposons que G vérifie la condition énoncée par Abel. Nous prouverons (i) du lemme.Puisque G agit transitivement sur E , p = |E | divise l’ordre de G , et G contient une permutationh de E d’ordre p. Identifions E à Z/p, de sorte que h soit la permutation n 7→ n +1 de Z/p. Pourvérifier (i) du lemme, nous n’aurons à utiliser la condition énoncée par Abel que pour les triplets{a,b,c} en progression arithmétique.Pour p = 2, l’énoncé est trivial. Supposons p > 2. Supposons d’abord que pour un k 6= 0 et untriplet de la forme {a, a +k, a +2k}, tout g dans G fixant a et a +k fixe aussi a +2k. Conjuguantpar une puissance de h, on obtient le même énoncé pour tout a. Si g fixe a et a +k, il fixe (a +k)C. R. Mathématique — 2021, 359, n 7, 919-921Pierre Deligne 921et (a +k)+k, et donc a +3k. Itérant l’argument, on voit que g fixe tous les a +nk, c’est à dire Etout entier. La clause (i) du lemme est donc vérifiée par a et a +k.Appliquant ceci à - k et au triplet {a +2k, a +k, a}, on voit que si tout g dans G fixant a +2k eta +k fixe aussi a, la clause (i) du lemme est vérifiée par a +2k et a +k.Si pour aucun triplet en progression arithmétique ces arguments ne permettent de conclure,alors, quels que soient a et b distincts, si g dans G fixe a et b, g fixe aussi 12 (a +b). Sous cettehypothèse, montrons par récurrence sur n que si g fixe 0 et b, g fixe aussi les 2−n .i .b pour0 ≤ i ≤ 2n . Considérant deux i consécutifs, et leur moyenne, on obtient en effet les 2−(n+1)i .b(i impair) à partir des 2−n .i .b. Dès que 2n ≥ p, E entier est atteint de sorte que la clause (i) dulemme est vérifiée par 0 et b. Références[1] N. H. Abel, Oeuvres complètes. Nouvelle édition publiée aux frais de l’État Norvégien par MM. L. Sylow et S. Lie.,Christiania. Grøndahl et Søn, 1881, Tome 2, XXII, p. 270.[2] É. Galois, « Mémoire sur les conditions de résolubilité des équations par radicaux », J. Math. Pures et Appl. 11 (1846),p. 417-433.[3] L. Sylow, « Les études d’Abel et ses découvertes », in Niels Henrik Abel, Mémorial publié à l’occasion du centenaire desa naissance, Christiania. Grøndahl et Søn, 1902.C. R. Mathématique — 2021, 359, n 7, 919-921

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