Konate, Yacouba

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76commerciales ne font pas mieux.L’amateurisme qui y prédomine entretientle conservatisme. Qui dit absence de galerienationale, dit absence de collection et doncabsence de politique d’achat, etc. Au total,l’évolution de l’histoire de l’art en Afrique semodèle selon l’idée d’un système, qui n’é-tant pas encore constitué, se sous-développe au rythme de ses contre-perfor-mances.Si les musées réels restent pris dansdes logiques anthropologiquement mar-quées, qu’en est-il des musées imaginaires,ceux que construisent au fil des jours, lesrevues et publications sur l’art contempo-rain? Les effets pervers du manque cruel depublications sur l’art contemporain africainsont aggravés par le fait que les profession-nels vivant en Afrique n’ont pas accès à l’in-formation produite sur l’art contemporainafricain. A juste titre, Barbara Murray, unedes principales animatrices de Gallery,posait la question de savoir combiend’artistes, de critiques et de professionnelsd’Afrique ont seulement vu le catalogue dela très controversée exposition dite LesMagiciens de la terre? Je crois être enmesure d’indiquer qu’en Côte d’Ivoire, en2001, en comptant large, il n’y a pas dixpersonnes qui puissent se prévaloir de ceprivilège. Le catalogue n’est disponibledans aucun centre de documentation,aucune bibliothèque publics.Quand les publications sontdisponibles sur le marché, reste l’obstacledu prix. 10 000 F CFA, soit 15,24 euros lenuméro de la revue noire, en vérité, ce n’estpas cher payé, vue la qualité de l’impres-sion. Mais à ce prix, si les peintres quivendent quelques tableaux par an, peuvents’offrir la revue, les étudiants des beaux-artsdont la bourse est de 40 00 par mois, nel’achèteront jamais. D’où la nécessité dedoter les écoles professionnelles de centresde documentation conséquente. Ces prob-lèmes de l’accès à la documentation lais-sent entière la question du contenu de ladocumentation. Il faudra bien un jourinstruire et discuter l’ensemble des posi-tions explicitement ou implicitementdéfendues par la Revue Noire. S’il est indé-niable que cette publication de 1991 à1998, a rehaussé le niveau et la qualité despublications sur l’art contemporain africain,il reste à se demander entre autres ques-tions, quelles définitions de l’art africain sedégagent des choix esthétiques et critiquesassumés et illustrés dans ces publications?1. Il y a une série de tableaux de YinkaShonybare dite Journée d’Un dandy àl’époque victorienne. Par une sorte d’effrac-tion, L’artiste nigérian place une tête noiredans des scènes d’époque typiquement bri-tanniques et victoriennes. Il y a quelquechose de subversif mais aussi de dérisoiredans cette peinture. La situation du person-nage noir perdu en Occident dans la fouledes hommes blancs peut conduire à penserà la place de l’Afrique dans les forums inter-nationaux. Les photos de groupes dequelque congrès ou expositions mondiauxrévèleraient que très souvent les intel-lectuels et les artistes d’Afrique se retrou-vent dans la peau de ce personnage uniquedont la singularité fait tâche en même tantqu’elle semble narguer la discriminationraciale.A y regarder de près, le dandy dans lestableaux de Yinka Shonybare n’est pastriste. Il ne semble souffrir d’aucune dis-crimination raciale quoique la particularitésingulière de sa couleur, reste incontourn-able. Et si le tableau ne dégage aucunrelent de racisme, c’est bien parce que lesconditions d’apparition du noir dans letableau, instruisent des rapports d’égalitéentre l’ensemble des personnages destableaux. Là où l’égalité, la justice équili-brent les rapports humains, les préjugés derace se retrouvent réévalués. La présencede l’Afrique aux endroits où se discutent leschoses dites mondiales, peut contribuer àréduire le poids des préjugés qui pèsent surl’Afrique. Mais l’essentiel du débat a lieu enAfrique, là où les hommes inventent leurhistoire à l’intérieur de structures qu’ils vontévoluer. Les cadres institutionnelscomptent au nombre de ces structures.2. Parler des cadres institutionnels desarts visuels en Afrique, c’est évoquer l’étatlamentable des établissements d’enseigne-ment artistique, le manque presque total demusée national d’art contemporain, etc. EnAfrique, l’institution muséale en tant qu’élé-ment du système de l’art moderne et con-temporain, est un avatar de l’histoire colo-niale. Tout musée est régi par une traditionet une logique de la collection. Etant donnéque l’essentiel des collections nationales aété constitué pendant la période coloniale,les ressources nationales accusent un tro-pisme anthropologique et ethnologique.Quant aux musées d’art contemporain, leurpetit nombre et l’insignifiance des budgetsles empêchent d’apporter leur contributionà la structuration du secteur. Les galeriesyacouba konateles cadres institutionnelles des arts plastiquesen afriquel77Là-dessus, une étude comparée avecGallery, la seule revue d’art publiée àHarare au Zimbabwe, en Afrique, surl’Afrique et essentiellement par des profes-sionnels africains depuis plus de dix ans,pourrait s’avérer stimulante.3. L’absence presque totale de struc-tures institutionnelles formelles ou mêmede politique culturelle ne signifie pas inca-pacité des hommes et des femmes à éla-borer des stratégies alternatives. Elle nesignifie pas davantage incapacité deshommes à instituer. Plutôt que de fonderl’état des lieux sur les structures formellespour ensuite décliner les autres formes d’or-ganisation comme informelles, ne faudrait-il pas éviter d’inverser les pôles mais lesrelativiser d’abord, les requalifier, les re-caractériser ensuite.Le déficit de galeries nationales d’artcontemporain a placé les centres culturelsde la coopération internationale (CentreCulturel Français, British Council, et plusrécemment Goethe Institut) dans des rôlesd’opérateurs parfois ambigus mais toujoursessentiels qui révèlent l’importance des cir-cuits et des réseaux dans la promotion desartistes dont certains sont devenus desinstitutions sans êtredes artistes institution-nels. Frédéric Bruly Bouabré, Kane Kwéi,Cyprien Tokoudagba… sont de ceux-là. Parl’effet des relais de la puissance publiqueeuropéenne en Afrique, et en Europe, ilssont devenus des stars africaines du sys-tème de l’art globalisé, sans avoir été insti-tué artistes chez eux. Il y a bien dérégula-tion et cela a fait grincer bien de dents.Les commissaires des Magiciens de laTerre mettent en œuvre un concept généralqu’ils appliquent à l’ensemble de l’exposi-tion, produisant une contemporanété dansl’espace de l’exposition, entre des artistesappartenant à des registres historiques dif-férents, notamment des artistes relevantdes cultures anciennement colonisées etdes artistes relevant des puissance occiden-tales. Ils n’ont pas un projet spécifique pourl’Afrique. Toujours est-il que, sans l’avoirvraiment voulu, l’exposition est devenue lepoint de départ de l’institutionnalisationinternationale d’un type d’art dit contempo-rain africain. La montée en puissance de ce“nouveau courant” accélère le rythme del’histoire de l’art. Plus que jamais, lesartistes d’Afrique comprennent qu’il n’y apas d’histoire de l’art sans instance de déci-sion des faits d’histoire, des faits qui fontdate.4. Reprenons toute l’histoire à partir de1960, années des indépendancesafricaines. Il est notable qu’à cette époque,aucun pays ne se dote d’un ministère de laculture. A cela deux types de raison: oubien la culture n’apparaı̂t pas suffisammentimportante pour lui consacrer tout un min-istère, c’est le cas en Côte d’Ivoire, au Mali,au Nigeria; ou bien elle apparaı̂t tropimportante pour la confier à un ministreparmi d’autres ministres. Bien entendu,cette dernière lecture est articulée par desidéalistes invétérés, les philosophes et lespoètes par exemples. Au Ghana, officia unphilosophe-président, Nkwamé Nkrumahqui était en fait le ministre de la culture. AuSénégal, régna un poète président de larépublique qui était en fait le super-ministrede la culture. Léopold Sédar Senghor étaitégalement critique d’art, curateur, mécène.Dans le catalogue de l’exposition consacréeà l’art nègre au festival des arts nègres de1966, c’est lui qui écrit le texte de fond ets’offre comme guide de l’exposition.La plupart des Etats n’ont pas de min-istère de la culture. Tout le monde ne s’of-fre pas non plus une école des Beaux-Arts.Dans celle-ci, on veut former les artistesdes temps nouveaux. Mais à cette période,l’attraction que l’art exerce sur les intelli-gences reste faible. La conception tradition-nelle de l’art n’en fait ni un métier noble niun métier pour nobles. Les parents n’en-couragent pas leurs enfants et trop souventces derniers ne se dédient aux disciplinesde la création que lorsqu’ils semblent neplus avoir le choix. Il s’ensuit que les pre-miers élèves formés dans les écoles desbeaux-arts éprouveront du mal à établir lefait de leur professionnalisme. MustaphaDimé, artiste sénégalais décédé en 1997,était encore confronté à ce problème en1996.Au plan de la fonction publique, laprise en charge de l’artiste révèle l’innocuitéde la logique administrative. Quant l’artistedevient professeur comme ce fut le cas deChristian Lattier (1925-1978), il ne perçoitqu’un salaire de misère, sans rapport avecla qualité de ses références académiques etprofessionnelles et sans égard pour le pres-tige des écoles dont il relève. Et commedans le même temps, il n’y a pas de publicpour l’offre culturelle que l’artiste dispose, ilne peut guère compter sur la vente de sesœuvres pour survivre. Au surplus, du fait del’aliénation culturelle ambiante, l’artisteafricain se trouve déprécié. A qualification78alors de mille feux, est une illustration decet état des choses. Il s’ensuit une réduc-tion drastique des budgets des écoles engénéral et des écoles d’art en particulier.Les élèves manquent de matériaux clas-siques. Ils n’ont plus d’argent pour acheterles toiles et la peinture importées. Cesannées voient également arriver en Afriquedes assistants techniques d’un autre type.Peu formalistes, mai 1968 n’est pas loin,ils sont ouverts aux nouvelles écritures. Etla peinture abstraite éclate…6. Au Sénégal, Souleymane Kéı̈ta etViyé Diba ont expérimenté les voies de Et ilest remarquable qu’au plan formel, la prob-lématique sénégalaise des années 1970 estsoeur jumelle au plan formel et idéologiquedes efforts d’innovation engagés par ladeuxième génération des artistes plasticiensdu temps des indépendances en Côted’Ivoire. En effet, la recherche de matériauxlocaux, le parti pris pour la matière et l’in-troduction de nouvelles lois de compositionsouvent inspirées de l’art traditionnel quiprédominent dans le courant Vohou-Vohouen Côte d’Ivoire se situent dans le mêmehorizon de recherche que le styleKangourou de Viyé Diba ou la série diteChemise du Chasseur de SouleymaneKéı̈ta. Toutes ces recherches témoignentd’un souci commun de connexion avec lesréalités locales dans une sorte d’esthétiquedu milieu. Yacouba Touré en Côte d’Ivoireest l’un de ces artistes Vohou. Les Vohoupoussent la contestation formelle jusqu’àproposer de ne peindre qu’avec des col-orants et des supports afro-africains.Au plan historique, l’émergence del’expression abstraite en Afrique occidentalecorrespond au moment de durcissementdes dictatures africaines. C’est l’époque dela guerre froide et les dictateurs sont hyper-protégés par leur tutelle. Laminée, lasociété civile qui a fait le sacrifice de la lib-erté sans récolter le gain du développementescompté et promis par les politiques, seréveille de ses illusions. Les jeunes artistestraduisent cette désillusion et ils engagentun débat avec et contre les artistes figurat-ifs qui apparaissent académiques et con-ventionnels. Quant aux artistes engagésdans l’esthétique de la récupération, ilspeuvent êtretenus pour les esthètes de lapaupérisation grandissante produite par ledéveloppement du sous-développement.7. L’émergence des artistes promuspar Les Magiciens de la Terre soumet tousces cheminements à la turbulence d’uneégale, c’est le Blanc qui l’emporte. Lesmarchés publics que l’Etat propose aucours de ces années de croissanceéconomique forte et de plein emploi sontaccordés à des artistes occidentaux et cesont leurs œuvres qu’on accroche dans lessalons officiels de la république et dans lesvillas cossues de la bourgeoisie nationale.5. C’est dans ce contexte que Senghor,le Président poète, critique et grandthéoricien de la négritude organise leFestival Mondial des Arts Nègres. Noussommes en 1966. Ce fut un grand momentpour la conscience noire et la prise de con-science culturelle de l’Afrique. C’est à lafaveur de ce festival que furent souventmontés les premiers ballets nationaux,effectués les premiers recensementsd’artistes. D’où le rôle structurant des festi-vals et autres biennales. A défaut d’êtredescadres fixes, ce sont des instances de légiti-mation et de critique qui bien queponctuelles et éphémères, aident à l’orga-nisation progressive du secteur culturel.Senghor a été longtemps critiqué pourle caractère non dialectique de certaines deses prises de position, notamment lorsqu’ildit: “la raison est hellène, l’émotion estnègre.” Mais il semble que le volontarismepeut combler certaines béances desthéories boiteuses. Senghor avait une visionculturelle pour l’Afrique et il l’expérimenteraau Sénégal. Il mit au point une diplomatieculturelle pour promouvoir les artistes del’Ecole de Dakar, école créée à son initiativeet qui devrait s’appliquer à promouvoir etfaire évoluer la négritude au plan plastique.Senghor organisera de grandes exposi-tions de peinture sénégalaise dans lemonde entier, avant de réduire progressive-ment ses ambitions artistiques dans lesannées 1970. Et quand il abandonnera lepouvoir en 1983, les artistes se sentirontlargués… Il leur faudra se redéfinir, car l’artau Sénégal avait perdu et son mentor et saboussole.Senghor abandonne l’Ecole de Dakar.Pierre Lodds passe du Congo au Sénégal,de Poto-Poto à Dakar. Dans le même mou-vement, la peinture d’inspiration naı̈ve del’Ecole de Poto-Poto cherche son répondantà Dakar. En fait, si les années 1970 ne sontpas des années de crise économique pourl’Afrique, elles entérinent la surdétermina-tion du politique sur l’économique etl’écrasement du culturel par l’économiqueet le politique. L’idéologie de l’authenticitéau Zaı̈re du président Mobutu qui brille79lignée néo-primitiviste qui surprend tout lemonde. Les nouveaux venus volent lavedette à l’establishment artistique. Etquant aux artistes de la désillusion quicherchaient à déclasser ces premiers, ilsn’ont pas vu le coup venir. Pour sa part, lepublic ne comprend pas que les nouveauxobjets qui parfois ressemblent à n’importequoi, puissent prétendre au statut d’œuvresd’art. Ah! si la critique existait! Encoreaurait-il fallu qu’elle accepte de faire œuvrede pédagogie…Il ne faut pas se plaindre outre mesurede ces dérégulations. Peut-être même qu’ilconviendrait de les applaudir. Tout comptefait, l’espace artistique ne s’en trouve-t-ilpas enrichi de nouvelles expériences?L’horizon ne s’élargit-il pas? Et puis, le coupde bâton magique qui désenchante cer-tains, est sous bien des rapports, le mêmedont le revers bienveillant les avait faitprinces ou roitelets. La démonstration estdésormais faite qu’il est nécessaire d’inven-ter de nouveaux jeux, de nouvelles straté-gies de reconnaissance artistique qui nesacrifient pas la question des référents surl’autel des réquisits de ce qui se présentesous le signe de la mode ou de la mondial-isation.Les Artistes en Afrique ont besoin dedialoguer avec l’histoire de l’art africainautant qu’avec l’histoire de l’art occidental.Ce dialogue, il faut lui trouver des pointsd’application qui permettent d’articuler unecritique théorique et pratique des exposi-tions qui nous tirent vers le bas au momentoù nous aspirons non pas à réécrire l’his-toire de l’art à l’africaine, mais d’inscrirel’Afrique dans l’histoire de l’art. Il s’agitd’être partie prenante de l’écriture de l’artpassé, présent et à venir. Pour ce faire, ilnous faut avant tout être les contemporainsde l’art de notre époque. Il nous faut être etdes magiciens de la terre, et des savants duciel, quitte à nous faire désenchanteurs dela terre. Il nous faut expérimenter le pouvoird’instituer les marqueurs de nos arts et lesrepères de notre histoire. Nous lesAfricains, nous avons à nous convaincre dece qu’il n’y a pas de langages artistiques del’heure, ni de langages artistiquesdépassés. Un langage artistique ne vautque par la pertinence de la démarche qui ladialectise. l≥ Jacouba Konate - is Professor ofPhilosophy at Universite d’Abidjan Cocody.He is an art critic and Director of Centre deRecherche sur les Arts & la Culture and theauthor of several books on art, culture andsocio-political issues.

Les cadres institutionnelles des arts plastiques en Afrique

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