La construction de l'altérité en contexte marchand : le cas de l'animal

Abstract

Pourquoi celui qui me fait face est-il un Autre au sens éthique du terme? Pourquoi son statut moral peut-il parfois osciller d’autrui à simple objet? Vivre, pour un humain, c’est être lié à autrui par un lien particulier : un lien éthique. Ce lien se compose de deux termes, moi et l’Autre, et, entre eux, de la distance éthique, qui ne se déploie pas dans un espace euclidien. Cette distance est plutôt une action, que j’appelle « bonne distanciation ». De plus, elle relève en priorité de la conscience pratique et non de la délibération discursive. Que devient le lien éthique quand ce qui me fait face n’est pas humain? Depuis une trentaine d’années, les philosophes travaillent sur la question de la valeur intrinsèque de l’environnement. Leurs réponses se classent en quatre catégories, anthropocentrisme, zoocentrisme, biocentrisme et écocentrisme, que j’ai réexaminées à partir de la bonne distanciation face à l’Autre non humain. Il ressort de cette étude que l’animal représente le point de l’environnement où se concentrent les enjeux de la bonne distanciation face à un non-humain. J’ai donc resserré mon étude sur l’animal. Pour étudier empiriquement l’oscillation du statut moral de l’Autre, j’ai choisi le lien à l’animal familier vendu dans des boutiques d’animaux. J’ai étudié comment l’animalier, chargé de réceptionner, de soigner puis de vendre les animaux dans ces boutiques, fait osciller entre objet et autrui le statut moral de l’animal dont il s’occupe. Combinant observation participante et entretiens semi-structurés, j’ai examiné les éléments saillants et non saillants de la pratique des animaliers, les seconds étant la trame des gestes, des regards et des paroles de l’animalier pour l’animal, sur laquelle se détachent les gestes techniques. L’analyse des données m’a conduite à mettre au jour l’influence de deux logiques d’action, logique marchande et logique de soin, prédominantes dans le travail des animaliers. Les résultats montrent comment la bonne distanciation équivaut à l’arbitrage constant entre ces deux logiques, procédant en priorité de la conscience pratique et non discursive. De plus, plusieurs facteurs organisationnels influencent la bonne distanciation, qui varie aussi selon que l’animalier est anthropocentriste, zoocentriste, biocentriste ou écocentriste.This dissertation explores the fact that, depending on circumstances, the moral status of he who faces me may vary from that of an Other, in the ethical sense of the term, to that of an object. For a human being, to live is to be linked to others by a particular link, an ethical one. The distance that lies between me and the other may be better understood as “good distanciation” or the process of deciding how long the link should be, thus making what faces me either an Other or an object. Good distanciation takes place mainly in the sphere of practical consciousness rather than discursive consciousness. Furthermore, we tend to limit otherness to humans. New philosophies are emerging that study value in nature. These works fall into four broad categories, anthropocentrism, zoocentrism, biocentrism, and ecocentrism, which content I re-examine through the notion of good distanciation. It appears that animals represent the most problematic category of environmental elements as regards good distanciation. I have therefore centered my research on animals. The empirical part of the study focuses on the ethical link relating pet shop clerks to animals sold in pet shops. What is the moral status a pet shop clerk ascribes to the animal he takes care of and sells, that of a mere good or that of a companion? During five months of participant observation in 5 pet shops, I observed and assisted a total of 15 clerks. I have studied both codified technical skills that an animal caregiver must demonstrate and other movements, looks, words and sounds the caregiver makes or utters while taking care of an animal. Together, they reveal the work of practical consciousness in good distanciation. Results show that two logics of action, one of market and one of care, prevail in the daily work of a pet shop clerk. Good distanciation amounts to constant arbitration between these two logics and that it occurs mainly in the sphere of practical consciousness rather than in discursive consciousness

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