Les Appellations d’Origine Contrôlée traversent à nouveau une crise. La notion de « terroir » qu’elles protègent soulève depuis longtemps la polémique ; elle est suspectée n’être qu’une construction imaginaire. Mais cette fois‑ci, ce sont des vignerons qui en dénoncent le laxisme réglementaire : pour eux, les terroirs sont bien une réalité, mais il faut en « durcir » la réglementation. Cet article analyse les différentes interventions des acteurs à propos du terroir : les sciences « objectives », les producteurs de vin défenseurs d’un « retour au terroir » et les pouvoirs publics. Ces derniers exigent qu’une certification publique repose sur des critères objectifs de la présence du terroir. Faute de parvenir à stabiliser des listes de critères le définissant, les sciences « objectives » sont tentées de conclure au caractère illusoire, de « pure » construction sociale, du terroir. Pourtant, les producteurs – et leurs clients – n’ont aucune peine, eux, à évaluer la qualité de terroir des vins et y appuyer des stratégies commerciales de différenciation qualitative. Faut‑il emboîter le pas des chercheurs et dénoncer la méprise des vignerons et buveurs ? L’analyse de l’instrumentation de la preuve par les deux partis montre qu’une partie essentielle du différend repose sur l’ontologie de la notion de terroir : une « chose » dont on doit pouvoir garantir la présence pour l’administration par des tests objectifs fournis par la science ; une expression à produire et faire émerger pour les producteurs, sans qu’elle puisse être jamais stabilisée a priori. Dans les deux cas, la garantie de la présence du terroir ne repose pas sur les mêmes procédures d’instruction de la preuve. Les objets en forme de « chose » ont une existence autonome et indépendante prédéterminée. Elles sont observables de « l’extérieur » sans en ressentir de perturbation. Au contraire, les objets en forme de « produits » ne peuvent être analysés indépendamment de leur processus d’élaboration. Ils sont le résultat d’une quête toujours incertaine a priori et ne se laissent donc pas saisir par des critères prédéfinis. L’article poursuit la discussion en cherchant à préciser la nature de cette différence : s’agit-il d’un postulat philosophique sur la nature du monde ? Ces deux ontologies sont-elles exclusives l’une de l’autre ? Exigent‑elles des précautions méthodologiques ?The French geographic indications - the “Appellations d’Origine Contrôlée” - go again through a crisis. Since a long time, the “terroir” which they protect are polemical; it is suspected to be nothing but an imaginary construction. But this time, the vintners themselves denounce the permissiveness of its regulations: for them, terroir are something real, but its regulation has to be reinforced. This article analyses the different conceptions of terroir by “objective” sciences, vintners defending a renewal of terroir and the public administration. The authorities require that a public certification rest upon criteria defining the presence of terroir. Since objective sciences do not seem to be able to stabilize any list of such defining criteria, objective sciences are inclined to conclude to the illusory nature of terroir, a “pure” subjective or social construction. Yet producers – as well as their clients – do not experience trouble in evaluating the wines terroir quality. It even supports commercial qualitative differentiation strategies. Should we agree with the scientists and denounce the vintners and drinkers mistake? By analyzing how proof of terroir is implemented the article show that part of the controversy rests upon the ontology of the notion of terroir. For the administration terroir must be a “thing” which presence can be guaranteed by objective tests provided by science. For vintners it is a constantly produced and reproduced expression, impossible to definitively stabilize a priori and nevertheless evaluated ex post. In both cases the guarantee of the presence of terroir does not rest upon the same implementation of proof. The “thing” shaped objects are autonomous and predetermined. They can be observed from “outside” without enduring perturbations of their nature. On the contrary, “product”-shaped objects cannot be analysed independently from their elaboration process. They are the result of an a priori uncertain quest and do not fit into predefined criteria. The article follows in trying to make this difference and some of its consequences more precise: does it only resort to a philosophical hypothesis on the world nature? Are the two ontologies mutually exclusive? Do they require methodological precautions?Las apelaciones de origen controlado están experimentado de nuevo una crisis. La noción de «terroir» (lugar de procedencia de la viña y tipo del vino) desde hace mucho tiempo es objeto de controversia; se le acusa de ser una construcción imaginaria. Pero esta vez fueron los propios viñadores quienes denunciaron el laxismo en la reglamentación: el «terroir» es una realidad pero se deben concebir reglas más estrictas. Este artículo analiza las diferentes intervenciones de los actores en torno al «terroir»: la ciencias «objectivas», los productores de vino, los defensores del «regreso al terroir» y las autoridades públicas. Estas últimas exigen que una certificación pública este basada sobre criterios objetivos de la presencia del terroir. Las ciencias «objetivas» por no tener una lista estable de criterios tienden a concluir en el carácter ilusorio, de «pura» construcción social, del «terroir». Sin embargo, los productores (y sus clientes) no tienen ninguna dificultad, por su lado, en evaluar la calidad del «terroir» del vino y apoyar campañas comerciales de diferenciación cualitativa. ¿Será que debemos seguir las sugerencias de los investigadores y denunciar el error de los productores de vino y de los clientes? El análisis de la instrumentación de la prueba por las dos partes muestra que buena parte del desacuerdo se apoya en la ontología de la noción de «terroir»: una «cosa» de la cuál podemos asegurarnos de su presencia administrando tests objetivos que ofrece la ciencia; o bien, une expresión que se debe producir y emerger entre los productores sin que se pueda nunca estabilizar a priori. En los dos casos, la garantía de presencia de un «terroir» no se establece con los mismos procedimientos de instrucción de la prueba. Los objetos con forma de «cosa» tienen una existencia autónoma e independiente predeterminada. Se pueden observar desde «el exterior» sin que dicha observación los perturbe. Al contrario los objetos en forma de «productos» no se pueden analizar independientemente de sus proceso de elaboración. Son el resultado de la búsqueda siempre insegura a priori y no se dejan entender con criterios predefinidos. El artículo prolonga dicha discusión buscando precisa la naturaleza de esta diferencia, interrogándose si se trata de un postulado filosófico sobre la naturaleza del mundo. Si estas dos ontologías son exclusivas una de otra. Si se exigen ciertas precauciones metodológicas