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    Cuerpo habitado

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    Guadalupe Nettel (MĂ©xico, 1973) es una joven escritora mexicana que estĂĄ construyendo un universo personal y singular en el cual el cuerpo y los cuerpos ocupan un lugar especial, invadiendo el espacio de la narraciĂłn. El HuĂ©sped (Anagrama, 2006), cuenta la transiciĂłn a la edad adulta de Ana, niña atormentada por una presencia ajena que crece en su interior, un doble monstruoso que ella rechaza pero que gana cada dĂ­a mĂĄs terreno, a la vez que va perdiendo la vista paulatinamente. Este texto, en las fronteras de lo fantĂĄstico, pone en escena la lucha del personaje contra la invasiĂłn de la alteridad para terminar aceptando al huĂ©sped a costa de varias metamorfosis. Este artĂ­culo usa el concepto de hospitalidad en el sentido propuesto por Derrida para entender las dificultades que supone una verdadera apertura al otro, ya que el otro, el visitante, el huĂ©sped, es alguien que no estĂĄ esperado, cuya visita puede trastornar todo. El concepto nos servirĂĄ para explorar uno de los sentidos posibles de la novela de Nettel: la alegorĂ­a que hace de este cuerpo habitado un paralelo al cuerpo social, igualmente atormentado por la presencia de la alteridad y el reto de la hospitalidad.Jeune voix de la littĂ©rature mexicaine, Guadalupe Nettel (Mexico, 1973) construit un univers personnel et singulier dans lequel le corps et les corps tiennent une place particuliĂšre, occupant de leur prĂ©sence envahissante l’espace de la narration. El HuĂ©sped (traduit chez Actes Sud en 2006) raconte le passage Ă  l’ñge adulte d’Ana, enfant tourmentĂ©e par une prĂ©sence Ă©trangĂšre qui grandit en elle, un double monstrueux dont elle ne veut pas mais qui gagne chaque jour du terrain, en mĂȘme temps qu’elle perd peu Ă  peu la vue. Ce texte, qui se situe Ă  la limite du fantastique, met en scĂšne la bataille que livre d’abord le personnage contre cette altĂ©ritĂ© qui l’habite pour finalement dĂ©crire son acceptation de l’hĂŽte et les mĂ©tamorphoses que cette acceptation implique. Cet article utilise le concept d’hospitalitĂ© dans le sens proposĂ© par Derrida pour comprendre les difficultĂ©s que suppose une rĂ©elle ouverture Ă  l’autre, car l’autre, le visiteur, l’hĂŽte, est celui que l’on n’attend pas, dont la visite peut venir tout bouleverser. Il s’agira d’utiliser cette notion pour Ă©clairer l’un des sens possibles du roman de Nettel, celui de l’allĂ©gorie qui fait de ce corps habitĂ© un parallĂšle au corps social, lui aussi constamment hantĂ© par la prĂ©sence de l’altĂ©ritĂ© et le dĂ©fi de l’hospitalitĂ©.Guadalupe Nettel (MĂ©xico, 1973) is a young Mexican writer in whose personal and singular world the corporeal body slowly invades narrative space. El HuĂ©sped (Anagrama, 2006) is the story of Ana, a girl transitioning to adulthood who is tormented by the presence of an alien being that lives inside of her, a monstrous double that she tries to fight off but that takes over her body with increasing frequency, making her suffer a slow death. Bordering on the fantastic, the novel stages the character’s struggle against threatening otherness and her eventual acceptance of “el huĂ©sped” (the host/the guest) through a process of metamorphoses. This article analyzes the difficulties related to an authentic opening to the Other through Derrida’s notion of hospitality as radical transformation. The aim is to question the allegorical relation Nettel weaves between embodied body and social body as they face the challenging experience of the hospitality towards otherness

    L' écriture de l'inquiétude dans les nouvelles de Raymond Carver, Richard Ford et Tobias Wolff

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    AIX-MARSEILLE1-BU Lettres (130012101) / SudocSudocFranceF

    « In Search of a Transnational Identity : Carmen Tafolla’s ‘La Malinche’ »

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    Issue d’un congrĂšs de l’Institut des AmĂ©riques (IdA) organisĂ© Ă  Aix-Marseille UniversitĂ© sur le thĂšme « Femmes dans les AmĂ©riques », la vingtaine d’études rĂ©unies dans cet ouvrage examine de quelle maniĂšre les femmes Ă©crivains confrontent leur Ă©criture Ă  la reprĂ©sentation d’une « expĂ©rience amĂ©ricaine » pour en exposer les anxiĂ©tĂ©s, les failles ou les parasitages idĂ©ologiques et fantasmatiques en recourant Ă  une subjectivitĂ© fĂ©minine travaillĂ©e par l’altĂ©ritĂ©. L’objectif d’ensemble n’est en aucun cas de circonscrire l’AmĂ©rique ou l’amĂ©ricanitĂ© Ă  un texte touchant Ă  une essence prĂ©supposĂ©e de l’identitĂ© littĂ©raire amĂ©ricaine mais, au contraire de prendre en compte des expĂ©riences locales, rĂ©gionales ou nationales permettant tout aussi bien de repĂ©rer des phĂ©nomĂšnes divergents que des processus comparables, des connexions, des circulations ou des interactions. ProposĂ©s dans trois langues (français, espagnol et anglais) et organisĂ©es en cinq grandes thĂ©matiques, ces travaux s’adressent aux enseignants, chercheurs et Ă©tudiants dĂ©sireux d’explorer la diversitĂ© et la pluralitĂ© des reprĂ©sentations littĂ©raires de l’amĂ©ricanitĂ© au fĂ©minin, mais aussi de voir de quelle maniĂšre elles rĂ©inscrivent l’identitĂ© du sujet fĂ©minin dans des trajectoires mouvantes esquissant une cartographie complexe des AmĂ©riques, tant sur le plan culturel et politique que sur le plan Ă©pistĂ©mologique et Ă©thique. C’est pourquoi, comme le souligne Deb Clarke dans sa postface, lire et Ă©tudier ces Ă©crivaines est plus que jamais utile pour dĂ©crypter les mĂ©canismes qui rĂ©gissent la sociĂ©tĂ© contemporaine.Les Ă©tudes rĂ©unies ici proposent d’examiner de quelle maniĂšre les femmes Ă©crivains « dans les AmĂ©riques » confrontent leur Ă©criture Ă  la reprĂ©sentation d’une « expĂ©rience amĂ©ricaine » pour en exposer les anxiĂ©tĂ©s, les failles ou les parasitages idĂ©ologiques et fantasmatiques en recourant Ă  une subjectivitĂ© fĂ©minine travaillĂ©e par l’altĂ©ritĂ©. Ouverte Ă  l’hĂ©tĂ©rogĂšne et encline au dĂ©placement et Ă  la traversĂ©e, leur parole singuliĂšre rappelle que l’AmĂ©rique est avant tout une « invention » (O’Gorman 1961), ce qui en fait le terreau fertile de l’imaginaire, susceptible de donner naissance aux formes les plus dĂ©liĂ©es de la crĂ©ation artistique ou littĂ©raire comme aux codifications les plus autoritaires du discours officiel et institutionnel. Loin de chercher Ă  Ă©vacuer ou Ă  lisser cette dualitĂ©, les textes analysĂ©s dans ce recueil se l’approprient pour faire jouer les oppositions et les ambiguĂŻtĂ©s dans le but de rĂ©vĂ©ler les rĂ©cupĂ©rations symboliques, de faire resurgir les Ă©lĂ©ments expulsĂ©s des constructions historiques et mĂ©morielles, et d’indiquer les potentialitĂ©s ou les limites de la capacitĂ© d’agir (agency) du sujet. D’oĂč l’attention portĂ©e par les auteurs de ces articles Ă  l’analyse textuelle proprement dite, au grain de la voix du sujet de l’énonciation, Ă  diverses figures de style (rĂ©ticence, hypallage, mĂ©taphore, allĂ©gorie), au brouillage gĂ©nĂ©rique, Ă  l’organisation rhizomatique du texte ou Ă  sa texture palimpsestique, Ă  l’acte ou au refus de nommer, ou encore au jeu poĂ©tique du vide et du blanc et Ă  l’inscription sur le territoire virtuel de la Toile. Au fil des pages se dĂ©voile toute la richesse d’inventivitĂ© de ces Ă©critures d’une « amĂ©ricanitĂ© » plurielle, inquiĂšte et rĂ©solument mobile dont nous allons tĂącher de souligner quelques-unes des grandes lignes de force. Revenons tout d’abord un instant sur la formulation employĂ©e pour introduire notre sujet. En effet, faire signe vers le domaine de la littĂ©rature des femmes n’est pas un geste neutre et appelle quelques prĂ©cisions sur les prĂ©supposĂ©s critiques qui orientent notre rĂ©flexion. Les analyses recueillies dans ce volume, pour la plupart inspirĂ©es de la pensĂ©e poststructuraliste, considĂšrent la littĂ©rature fĂ©minine avant tout comme une pratique dans un lieu d’écriture se situant Ă  la fois Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur de systĂšmes socioĂ©conomiques, politiques, culturels, philosophiques, linguistiques et littĂ©raires largement constituĂ©s par les hommes. Elles ne postulent donc pas l’existence d’une Ă©criture substantiellement fĂ©minine. Elles ne s’intĂ©ressent pas non plus Ă  des thĂšmes « fĂ©minins » tels la domesticitĂ© ou le monde intĂ©rieur, avec ses sentiments et ses Ă©motions, sinon pour les intĂ©grer Ă  une analyse de l’espace relationnel essentielle Ă  la pensĂ©e du fonctionnement politique moderne. Rappelons Ă  ce propos que le changement d’approche de la dichotomie sphĂšre publique / sphĂšre privĂ©e dans les littĂ©ratures nord- et latino-amĂ©ricaines remonte aux dĂ©buts des annĂ©es 1980. Observable chez des Ă©crivaines comme Marilynne Robinson (Housekeeping, 1980) et Sandra Cisneros (The House on Mango Street, 1984), il a conduit au recyclage et au rĂ©agencement des tropes, des pratiques et des espaces de la domesticitĂ©, ainsi qu’à l’émergence d’environnements « alternatifs » instables et hĂ©tĂ©rogĂšnes permettant de mieux prendre en compte l’altĂ©ritĂ©[2]. De maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, il est Ă©galement utile de remarquer qu’un grand nombre d’écrivaines amĂ©ricaines contemporaines prennent pour sujet des questions traditionnellement rĂ©servĂ©es au roman historique classique, comme l’histoire culturelle ou l’identitĂ© religieuse, pour les replacer dans un contexte transnational. Tel est le constat que dressait en 2002 l’universitaire de Cambridge et critique littĂ©raire Gillian Beer : « Les femmes ne se limitent plus dans le choix de leurs sujets : dĂ©sormais, elles n’hĂ©sitent pas Ă  Ă©crire sur la guerre, la famille, la communautĂ©, les mutations sociales, le terrorisme et l’histoire. / Women have freed themselves to write more forcefully about much larger networks – wars, families, communities, national change, terrorism and history » (citĂ©e dans Showalter 2002). Cet engagement, qui tĂ©moigne plus que jamais de la volontĂ© d’apporter une rĂ©flexion renouvelĂ©e sur le monde, s’appuie sur la notion de genre pensĂ©e comme une construction historique, sociale et mentale, et donc un outil d’analyse efficace des rapports de pouvoir. Selon cette approche, le refus d’une conception hiĂ©rarchique et trompeuse fondĂ©e sur les catĂ©gories du « masculin » et du « fĂ©minin » est le prĂ©alable indispensable Ă  la transformation discursive et sociale des identitĂ©s, des relations sociales et des relations avec le monde naturel. Le ferment anti-essentialiste de cette dĂ©marche pose inĂ©vitablement la question du lieu oĂč la littĂ©rature croise la question politique. De fait, si de nombreuses Ă©crivaines affirment que leurs constructions fictionnelles participent d’un geste politique[3], des voix se sont Ă©levĂ©es pour mettre en question l’efficacitĂ© d’une dĂ©marche qui, de par son hostilitĂ© Ă  l’unitĂ©, se rend potentiellement inapte Ă  proposer des moyens concrets d’amĂ©liorer la sociĂ©tĂ© et de fonder des mouvements collectifs facteurs de changement social[4]. S’agit-il lĂ  d’un vĂ©ritable point d’achoppement ou faut-il voir dans ce constat d’une rupture avec la logique des situations significatives la façon dont la fiction littĂ©raire opĂšre des significations et se donne la possibilitĂ© de travailler la politique et d’en redessiner les contours ? Cette question se trouve en filigrane au cƓur des prĂ©occupations de la plupart des analyses reprises dans cet ouvrage. Une deuxiĂšme remarque concerne le choix d’une perspective hĂ©misphĂ©rique. Porter le regard sur le continent amĂ©ricain dans son ensemble ne relĂšve en aucun cas de la volontĂ© de circonscrire l’AmĂ©rique ou l’amĂ©ricanitĂ© Ă  un texte touchant Ă  une essence prĂ©supposĂ©e de l’identitĂ© littĂ©raire amĂ©ricaine, mais, au contraire, de prendre en compte des expĂ©riences locales, rĂ©gionales ou nationales permettant tout aussi bien de repĂ©rer des phĂ©nomĂšnes divergents que des processus comparables, des connexions, des circulations ou des interactions. C’est dans ce sens que nous avons prĂ©fĂ©rĂ© la formulation « dans les AmĂ©riques », qui suggĂšre une dĂ©limitation sans dĂ©terminisme, Ă  la tournure gĂ©nitive « des AmĂ©riques ». Il s’agit donc d’envisager les pratiques littĂ©raires de l’amĂ©ricanitĂ© dans leur pluralitĂ© sans perdre de vue les rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques, culturelles et gĂ©opolitiques divergentes des États-nations amĂ©ricains, ainsi que le poids des hĂ©ritages sur les littĂ©ratures nationales. Ou, pour reprendre les propos des auteurs d’un rĂ©cent recueil d’essais critiques sur les relations culturelles et littĂ©raires entre les États-Unis et l’AmĂ©rique latine, de « ne pas abandonner le concept de nation mais d’adopter de nouvelles perspectives permettant d’envisager la nation au-delĂ  de ses autofabulations exceptionnalistes. / Not to abandon the concept of the nation, but rather to adopt new perspectives that allow us to view the nation beyond the terms of its own exceptionnalist self-imaginings » (Levander and Levine 2008 : 7). Il serait toutefois rĂ©ducteur de limiter cette « dĂ©territorialisation » des imaginaires nationaux Ă  l’échelle hĂ©misphĂ©rique. Comme les travaux rĂ©cents des historiens de la littĂ©rature nous y invitent, nous souhaiterions les replacer dans l’écheveau des rĂ©seaux atlantiques et transpacifiques qui forment l’espace « global » dans lequel ils se sont dĂ©veloppĂ©s au fil des siĂšcles. ReconsidĂ©rer l’histoire littĂ©raire nationale au prisme des dynamiques spatiales permet en effet de mettre au jour « des processus analogiques de convergence et de divergence plus complexes. / More complex, analogical processes of convergence and divergence » (Giles 2011 : 23). La littĂ©rature fĂ©minine dont ce livre se fait l’écho tĂ©moigne d’un dĂ©sir duel d’ancrer l’écriture des AmĂ©riques dans un cadre de rĂ©fĂ©rence spĂ©cifique tout en dĂ©jouant l’assignation identitaire Ă  l’origine gĂ©ographique. À travers le travail de la fiction, elle reprend les donnĂ©es de la rĂ©alitĂ© sensible pour en modifier les cadres, les repĂšres et les Ă©chelles, et ainsi crĂ©er un espace oĂč se nouent de nouveaux rapports et Ă©mergent de nouveaux affects. Dans l’écart produit par ce dĂ©placement se dessinent d’autres gĂ©ographies de l’expĂ©rience amĂ©ricaine. L’un des sites privilĂ©giĂ©s d’un investissement imaginaire visant Ă  souligner la contingence des rĂ©cits nationaux, voire leur rĂ©versibilitĂ©, est la frontiĂšre. Cela n’a rien pour surprendre si l’on considĂšre l’importance de la « FrontiĂšre » dans la construction du paysage culturel et symbolique nord-amĂ©ricain et latino-amĂ©ricain depuis l’orĂ©e du xixe siĂšcle. Rappelons pour exemple l’ambitieux exemple de rĂ©visionnisme inversĂ© proposĂ© par Leslie Marmon Silko dans son roman,Almanach of the Dead (1991) : en modifiant la temporalitĂ© historique et la rĂ©alitĂ© cartographique de la rĂ©gion frontaliĂšre Mexique–États-Unis, Silko rĂ©Ă©crit l’histoire de la rĂ©gion sous l’angle de la porositĂ© transfrontaliĂšre et des hybridations raciales (espagnoles, indigĂšnes et africaines). Aux Ă©changes standardisĂ©s du capitalisme amĂ©ricano-europĂ©en, elle substitue une culture amĂ©rindienne fondĂ©e sur la transmission orale et dialogique (relayĂ©e par une Ă©criture faisant la part belle Ă  la narrativitĂ©, aux sonoritĂ©s et au rythme, et invitant Ă  l’écoute Ă  travers l’introduction d’espaces blancs). Ainsi surgissent des hĂ©ritages « oubliĂ©s » par le discours doxologique fondateur. De maniĂšre cruciale, la dĂ©marche adoptĂ©e par Silko rappelle que l’expansion territoriale des États-Unis Ă  l’ouest du continent, au motif de leur « destinĂ©e manifeste », a fait de la frontiĂšre non seulement ce « qu’on traverse », mais aussi ce « qui traverse » le sujet et le langage[5], mettant au jour ce qui appartient Ă  l’altĂ©ritĂ© et Ă  l’hĂ©tĂ©rogĂšne. Dans cette mesure, elle peut se faire, dans l’écriture littĂ©raire, le lieu mĂ©taphorique d’une parole poĂ©tique permettant d’évoquer avec le plus de justesse l’expĂ©rience de sujets dont l’identitĂ© est loin d’ĂȘtre univoque, telle la figure lĂ©gendaire de la Malinche revisitĂ©e par Carmen Tafolla ou celle de la new mestiza contemporaine dĂ©crite par Gloria AnzaldĂșa : Because I, a mestiza, continually walk out of one culture and into another, because I am in all cultures at the same time, alma entre dos mundos, tres, cuatro, me zumba la cabeza con lo contradictorio. Estoy norteada por todas las voces que me hablan SimultĂĄneamente. (AnzaldĂșa 1987 : 77) Chez ces deux poĂ©tesses, le mĂ©tissage est une dynamique qui projette le sujet de l’énonciation au-delĂ  de l’opposition binaire (ici/lĂ , mĂȘme/diffĂ©rent, dedans/dehors), mais sans chercher pour autant Ă  rĂ©soudre les contradictions ni les ambivalences. Le brouillage des langues (l’anglais et l’espagnol) gĂ©nĂšre une subjectivitĂ© labile, ouverte aux changements et aux mutations. Ici aussi, l’amĂ©ricanitĂ© se construit comme une forme de rĂ©sistance aux interprĂ©tations Ă©litistes (patriarcales) et aux rapports de force qui en dĂ©coulent. Elle ne se veut pas tant expĂ©rience de l’« hybriditĂ© » (qui est, potentiellement, une autre forme d’essentialisme) qu’exploration de la langue dans son intimitĂ© et son Ă©trangetĂ©, Ă  la charniĂšre entre soi et l’Autre. Chercher Ă  approcher l’altĂ©ritĂ© par le biais de l’intimitĂ© est, de fait, un autre trait commun chez les Ă©crivaines envisagĂ©es dans ce livre. Sur ce point, il convient toutefois de se garder des poncifs. Dans un entretien rĂ©cent, la romanciĂšre et universitaire canadienne Lori Saint-Martin a ainsi pu s’agacer du fait que le terme le plus utilisĂ© pour parler de la littĂ©rature des femmes est l’adjectif « intime », connotant le domaine privĂ©, alors que le « masculin » continue Ă  ĂȘtre considĂ©rĂ©, y compris dans les milieux universitaires, comme Ă©tant « universel et reprĂ©sentatif » (Saint-Martin 2016). Devant la volontĂ© des Ă©crivaines contemporaines d’inscrire leur Ă©criture dans « de plus vastes rĂ©seaux » thĂ©matiques et sĂ©mantiques, pour reprendre l’expression de Gillian Beer citĂ©e ci-dessus, on conçoit l’impatience de l’écrivaine fĂ©ministe devant une forme insidieuse d’hĂ©gĂ©monie (qu’elle dĂ©signe par le terme de « manspreading culturel »), de toute Ă©vidence dĂ©passĂ©e. La preuve la plus flagrante a sans doute Ă©tĂ© apportĂ©e par des auteures comme Anacristina Rossi, MarĂ­a Rosa Lojo, Jayne Anne Phillips ou Bobbie Ann Mason qui, en adoptant directement le point de vue de combattants (hommes ou femmes) engagĂ©s dans des conflits armĂ©s, ont dĂ©montrĂ© que l’écriture de la guerre ne peut plus ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme relevant de la littĂ©rature « masculine » et que les normes genrĂ©es « fĂ©minin pacifique » et « masculin guerrier » sont aussi rĂ©ductrices qu’erronĂ©es. DĂšs lors, le constat Ă©tabli par Saint-Martin signale-t-il une sorte de double bind ? Ou bien rĂ©vĂšle-t-il une erreur d’apprĂ©ciation sur la place stratĂ©gique qu’occupe l’intime dans les choix narratifs des Ă©crivaines du continent ? Pour tĂącher de rĂ©pondre Ă  cette question, il est utile de revenir Ă  la perspective multiscalaire mise en avant par les thĂ©oriciens de l’espace littĂ©raire transnational afin d’établir une tension entre divers niveaux d’apprĂ©hension du rĂ©el (local, national, international ou global) permettant de mesurer la portĂ©e de l’acte narratif (individuelle ou collective) et l’importance de certains paramĂštres (notamment la mĂ©moire et la corporĂ©itĂ©). Le « tournant transnational / transnational turn » (Jay 2010) pris par les Ă©tudes littĂ©raires et culturelles au dĂ©but des annĂ©es 2000 invite en effet Ă  envisager la production des Ă©crivaines des AmĂ©riques Ă  la fois dans leurs frontiĂšres nationales et hors de celles-ci, autrement dit dans un espace Ă©largi oĂč l’on peut relever de nouveaux points de contact et transactions. Cette perspective s’avĂšre particuliĂšrement intĂ©ressante pour l’analyse critique du travail des auteures binationales ou appartenant Ă  la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration d’immigrĂ©s aux États-Unis (notamment Julia Alvarez, Edwidge Danticat, Alicia Obejas, Sandra Cisneros, DaĂ­na Chaviano, Jhumpa Lahiri, Cristina GarcĂ­a, Dara Horn ou Gish Jen). D’une part, elle jette un nouvel Ă©clairage sur la mise en relation de cultures locales disparates : si l’on ne s’est longtemps intĂ©ressĂ© qu’au lien conflictuel entre ancrage territorial propre Ă  l’exil et nostalgie du pays perdu, l’attention se porte dĂ©sormais sur leur interaction dynamique. Ceci permet notamment de recontextualiser certaines Ɠuvres dans l’espace hĂ©misphĂ©rique transtextuel. À titre d’illustration, on peut s’attarder un instant sur le roman de Sandra Cisneros, The House on Mango Street (1984). L’Ɠuvre de Cisneros Ă©tablit en effet, Ă  travers la rĂ©fĂ©rence manifeste Ă  un roman publiĂ© par Nellie Campobello en 1931, Cartucho,une analogie perturbante entre la vie quotidienne d’un quartier latino de Chicago Ă  l’époque contemporaine et celle d’un barrio au temps de la rĂ©volution mexicaine. En reprenant le point de vue semi-autobiographique, le type de focalisation et la structuration en vignettes adoptĂ©s par Campobello, l’écrivaine mexico-amĂ©ricaine Ă©voque de maniĂšre subtile la façon dont un lieu accablĂ© par la violence et la pauvretĂ© peut devenir le site d’une action individuelle et collective Ă  l’impact potentiellement « rĂ©volutionnaire ». Selon l’analyse rĂ©cente de Geneva Gano, l’inscription intime, redĂ©finie Ă  partir des coordonnĂ©es de la perspective transnationale, dĂ©termine la possibilitĂ© de penser le changement social (Gano 2015). D’autre part, la focale transnationale permet Ă©galement de ne plus s’enfermer dans une pensĂ©e binaire. Ainsi, dans le roman de Cisneros, le rapprochement entre des rĂ©alitĂ©s habituellement supposĂ©es distinctes, pour ne pas dire diamĂ©tralement contrastĂ©es, substitue Ă  l’opposition « nord-sud » (superpuissance Ă©tats-unienne et tiers-monde ibĂ©ro-amĂ©ricain) la mise au jour, Ă  l’échelle hĂ©misphĂ©rique, de similaritĂ©s troublantes et peut-ĂȘtre dĂ©rangeantes pour un certain lectorat. En outre, seule une analyse transnationale et globale permet de cerner les interactions de plus en plus complexes entre amĂ©ricanitĂ© et migration. Aux problĂ©matiques raciales, ethniques et genrĂ©es abordĂ©es par des Ă©crivaines comme Gish Jen (Typical American, 1991), Yanitzia Canetti (Novelita rosa/Soap Opera, 1998) ou Susan Choi (American Woman, 2003) pour mettre en relief les questions liĂ©es Ă  la citoyennetĂ©, Ă  l’affiliation et Ă  l’appartenance politique auxquelles les migrantes sont confrontĂ©es dans le pays d’accueil, s’ajoutent dĂ©sormais celles liĂ©es Ă  la circulation et Ă  l’articulation des espaces d’origine, de transit et de destination. Les travaux rĂ©cents des gĂ©ographes[6] rĂ©vĂšlent que la migration des femmes se conçoit aujourd’hui sous la forme de mouvements de va-et-vient, de retours et de nouveaux dĂ©parts, dessinant des territoires « plurilocalisĂ©s » ou « multisituĂ©s », ce qui conduit l’analyse littĂ©raire Ă  imaginer Ă  son tour « des modĂšles transnationaux prenant en compte l’espace global des dĂ©placements continus et des connexions transcontinentales / transnational models emphasizing the global space of ongoing travel and transcontinental connection » (Friedman 2006 : 906). Dans cette mesure, si des romans commeThe AgĂŒero Sisters (1997) de l’auteure amĂ©ricano-cubaine Cristina GarcĂ­a, ou, plus rĂ©cemment, Americanah (2013) ou Behold the Dreamers (2016), des Ă©crivaines d’origine africaine Chimananda Ngozi Adichi et Imbolo MBue, peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme appartenant Ă  la « littĂ©rature d’immigration », ils gagnent Ă  ĂȘtre examinĂ©s sous l’angle des processus sociaux et politiques qui lient des cultures nationales hĂ©tĂ©rogĂšnes et discontinues en rĂ©seaux. Cette approche a pour corollaire direct la remise en cause des notions d’identitĂ© linguistique unitaire et de rapport hiĂ©rarchique entre les langues : des Ă©crivaines qui, Ă  l’instar de Norma E. CantĂș ou Edwige Danticat, pratiquent la traduction de l’anglais vers leur langue d’origine[7]contribuent Ă  la circulation des Ɠuvres dans plusieurs traditions nationales et systĂšmes littĂ©raires diffĂ©rents. Chez d’autres encore (Julia Alvarez, Ruth Behar), le retour physique et imaginaire vers le pays d’origine amĂšne Ă  une requalification de l’expĂ©rience de l’amĂ©ricanitĂ© Ă  travers le vĂ©cu et la mĂ©moire diasporiques. Cette expĂ©rience conduit Ă©galement Ă  une rĂ©interprĂ©tation de la question identitaire envisagĂ©e en tant que notion individuelle liĂ©e Ă  la volontĂ© et Ă  la conscience, par-delĂ  des contingences strictement gĂ©ographiques. Convaincus de la portĂ©e heuristique de cet imaginaire transnational, de nombreux thĂ©oriciens de la littĂ©rature ont suggĂ©rĂ© que le terme « littĂ©rature d’immigration » soit dĂ©sormais appliquĂ© Ă  toutes les productions composant une culture littĂ©raire caractĂ©risĂ©e par une vision hybride, cosmopolite et transnationale de la vie sociale (Walkowitz 2006). Aux États-Unis, certains d’entre eux n’hĂ©sitent pas Ă  suggĂ©rer un changement paradigmatique permettant de repenser l’ensemble du systĂšme littĂ©raire : PlutĂŽt que d’envisager tout ce qui relĂšve de l’écriture littĂ©raire (artistique, musicale, filmique) aux États-Unis Ă  la seule lumiĂšre des textes Ă©crits aux xixe et xxe siĂšcles, il serait peut-ĂȘtre plus pertinent de s’intĂ©resser aux connexions avec des phĂ©nomĂšnes qui peuvent s’observer en AmĂ©rique latine, Asie, Europe et Afrique. What is being written (performed, composed, filmed) in the United States might most purposefully be approached less in connection to nineteenth- or twentieth-century U.S. texts and more in terms of is connections to Latin-American, Asian, European, and African phenomena.(Lauter 2010 : 4) Comme plusieurs Ă©tudes de ce volume le soulignent, un aspect important de cet imaginaire transnational rĂ©side en l’originalitĂ© d’une dĂ©marche testimoniale qui ne se contente pas de conserver la trace d’un moment-clĂ© dans la construction d’un rĂ©cit national, mais indique, comme on a pu l’observer chez Cisneros, la possibilitĂ© de le conjuguer Ă  un autre discours fondateur pour en conjurer la logique identitaire. En transitant d’un territoire Ă  l’autre, la mĂ©moire est, pour ainsi dire, nettoyĂ©e de ses scories patriotiques ou idĂ©ologiques. Elle porte donc, en puissance, un imaginaire d’échanges de « bon vois
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