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L’évitement comme politique de gestion des débats au Conseil des arts du Canada : le cas de l’appropriation culturelle et du racisme systémique
Le milieu des arts canadien a été secoué par des débats sur l’appropriation culturelle et le racisme systémique – débats dont la polarisation, de même que le caractère souvent acerbe et individualisé des critiques, tendent à provoquer un retrait des discussions hors de la sphère publique. Dans ce contexte, nous examinons la manière dont le Conseil des arts du Canada, pilier du soutien public aux arts, s’insère dans ces débats. Nous posons l’hypothèse que le Conseil, plutôt que de favoriser l’existence de discussions dans l’espace public, reproduirait plutôt la division sphère publique/sphère privée en renvoyant les débats vers des comités de pairs confidentiels et sans mandat ou formation spécifique. Nous argumentons que ce renvoi s’apparente à un processus d’évitement présentant un risque d’affaiblissement démocratique. Suivant les critiques formulées par Chantal Mouffe, nous formulons l’hypothèse que les débats ainsi refoulés pourraient favoriser la formation d’affects réactifs, susceptibles d’exacerber les divisions sociales plutôt que de les résorber. Nous affirmons en outre que cet évitement est symptomatique des modalités générales de gestion des antagonismes par le Conseil, sous la forme d’un participationnisme réduit limitant la circulation de la parole de la communauté artistique. Nous défendons, au contraire, que le maintien de cette parole dans l’espace public est essentiel à un déploiement démocratique des débats.Canada’s arts community has been shaken in recent years now by debates surrounding cultural appropriation and systemic racism — debates which, often involving sharp and individualized criticism, have had a polarizing effect and tended to result in players withdrawing from the public sphere. Against this backdrop, this paper looks at how the Canada Council for the Arts, the backbone of public arts funding, is engaging in these debates. We put forward the following hypothesis: that the Council, rather than trying to bring these discussions back into a public space, is in fact creating a public-private sphere division by confining debates to 1. impenetrable spaces and decision-making processes; and 2. confidential peer committees without specific mandates or training. This paper argues that the Canada Council’s dismissal amounts to a form of evasion that has the potential of weakening democratic processes. Drawing on critiques advanced by Chantal Mouffe, this paper presents the hypothesis that the repression of these debates could foster reactive affects more liable to exacerbate social divisions rather than to reduce them. The paper further claims that such evasion is emblematic of the Council’s modus operandi when managing antagonisms, which is characterized by a restricted participationism that hinders the circulation of speech in the artistic community
Fragilité artistique et défense d’une autonomie illusoire de l’art : une relecture des réactions des artistes établi·e·s aux manifestations contre SLĀV et Kanata
Les débats sur l’appropriation culturelle et le racisme systémique qui secouent le milieu des arts sont souvent lus en termes de relations ethnoculturelles, entre un groupe dominant et des communautés marginalisées, spoliées de leur histoire et de leur identité. Nous défendons l’idée qu’il existe un axe de division tout aussi important dans la compréhension de ces débats, cette fois entre un milieu des arts et le reste de la société. Selon cette perspective, on trouverait d’un côté une sphère artistique et, de l’autre, une sphère politique toujours à risque de l’envahir. C’est la perspective à la base de la notion moderne d’autonomie de l’art. Contre les théories qui ont donné pour morte cette notion, nous défendrons au contraire que celle-ci est très vivante, et qu’elle porte les discours défensifs d’une partie du milieu des arts lorsque celui-ci fait face aux discussions sur l’appropriation culturelle et la sous-représentation de groupes ethnoculturels. Nous avancerons que ces discours fonctionnent en masquant la présence pourtant réelle du politique au sein de la sphère artistique, selon une ligne de défense que nous nommerons « fragilité artistique » – en écho à la fragilité blanche de Robin DiAngelo. Nous baserons notre analyse sur les discours qui se sont déployés au Québec, en 2018, autour des manifestations contre les pièces de Robert Lepage SLĀV et Kanata.Debates about cultural appropriation and systemic racism in the arts are often read in terms of ethnocultural relations, between a dominant group and marginalized communities, robbed of their history and identity. We argue that there is an equally important dividing line in understanding these debates, this time between the arts community and the rest of society. According to this perspective, there is an artistic sphere on one side and a political sphere on the other, the former being permanently at risk of an invasion by the latter. This is the perspective at the root of the modern notion of the autonomy of art. In contrast to theories that claim this is a dead concept, we will argue that it is very much alive, and that it carries the defensive discourses of a part of the arts community when faced with discussions of cultural appropriation and the under-representation of ethnocultural groups. We will argue that these discourses operate by masking the real presence of politics within the artistic sphere, following a line of defense that we will call “artistic fragility”—echoing Robin DiAngelo’s white fragility. We will base our analysis on the discourses that unfolded in Quebec in 2018 surrounding the protests against Robert Lepage’s plays SLĀV and Kanata